SYRIE: Adopter la révolution syrienne ?

Dix mois après le début du printemps syrien, la répression ne cesse de s`abattre sur la population. Pour pallier l`inefficacité de la communauté internationale, Elias Perabo a lancé à Berlin l`initiative Adopt a revolution, une plate-forme de financement participatif en ligne pour soutenir le mouvement.

Elias Parebo est un politologue de 31 ans. Après avoir travaillé avec des activistes syriens à Beyrouth, il a fondé à Berlin l’initiative Adopt a Revolution, pour qui il travaille en tant que bénévole.

woxx : Quels sont les objectifs de Adopt a Revolution ?

Elias Perabo : En premier lieu, nous voulons permettre aux citoyens du monde entier de soutenir la résistance non-violente des Syriens. Grâce à notre initiative, il est possible de financer un comité de résistance spécifique. Ces comités existent dans tout le pays et ont été formés dès le début du soulèvement en mars dernier. En encourant de grands dangers, leurs membres organisent des manifestations pacifiques et renforcent la société civile. L`argent récolté par notre site permet de garder ces groupes opérationnels. Ainsi, ils peuvent se procurer des caméras pour documenter les violations des droits de l`Homme ou du matériel pour imprimer des tracts ou des banderoles. En outre, cet argent aide des activistes entrés dans la clandestinité à trouver des appartements où se cacher, à se nourrir ou à obtenir une connexion internet sécurisée. De plus, notre initiative vise à amplifier la sensibilité des Allemands sur la question syrienne. Nous voulons devenir un pont entre les sociétés civiles des deux pays.

Comment est-ce que l`initiative a été fondée ?

Je ne suis pas un spécialiste de la région, mais j’ai voyagé à deux reprises en Syrie et au Liban en mars et avril de l’année dernière. A Beyrouth, j’ai rencontré des membres de la Coordination des comités locaux, une organisation basée dans la capitale libanaise qui fédère les comités de résistance en Syrie. Quelques semaines plus tard, j’ai décidé de quitter mon job en Allemagne dans une ONG environnementale pour intégrer leur équipe de communication internationale. Et puis, en septembre, alors que nous réfléchissions à impliquer la société civile européenne, cette idée à fait l’unanimité.

A quel point votre initiative connait-elle du succès ?

Nous avons lancé le site fin décembre et les résultats ont dépassé toutes nos attentes. En l’espace de quatre semaines, nous avons trouvé plus de 600 donateurs qui nous permettent de faire parvenir tous les mois et à chaque groupe entre 700 euros et 900 euros. Ainsi, un total de 15 groupes locaux peuvent être soutenus, un chiffre en constante évolution. Nous venons de conclure notre premier transfert d’une somme totale d’environ 12.000 euros. L’idée est de créer une forme de parrainage dans la durée, c’est pourquoi nous préférons des contributions régulières à de grands montants ponctuels.

Comment pouvez-vous être sûr que votre argent ne finance pas des groupes armés ?

La Coordination des comités locaux nous a envoyé une liste de groupes qui adhèrent catégoriquement à la non-violence. C’est ainsi que nous faisons nos choix. Bien sûr, nous ne pouvons pas révéler identité des activites, mais nous sommes en contact direct avec eux. Pour atteindre la Syrie, les dons doivent passer clandestinement par les frontières turque et jordanienne, puisque tout virement risquerait de mettre en danger la vie des bénéficiaires. Une fois l’argent arrivé, les comités doivent le confirmer et nous spécifier comment ils l’ont dépensé. En outre, ils nous informent, sur notre site, de l’évolution de la situation sur place.

Quels rapports entretiennent les comités locaux, que vous soutenez, et l’Armée syrienne libre (ASL) ?

Ces deux acteurs agissent parallèlement l’un à côté de l’autre, sans être contradictoires. Les comités s’occupent du côté organisationnel des manifestations, alors que l’ASL accomplit le rôle de la protection des manifestants. Les membres de l’ASL sont des soldats de métier qui ont déserté l’armée de Bachar al-Assad par conviction. La sécurité qu’ils apportent aux manifestations est très bien accueillie par la population. Si nous soutenons les comités locaux et acceptons l’ASL dans son action protectrice, c’est pour que les rôles restent partagés entre une population engagée et pacifique, d’un côté, et des militaires professionnels, de l’autre. L’extraordinaire engagement non-violent des Syriens, qui perdure depuis dix mois malgré les morts et la répression, doit pouvoir se poursuivre. Si la résistance pacifique devient matériellement impossible, la population risquerait de prendre les armes en dernier recours. En laissant les armes dans les mains des soldats de métiers, nous espérons éviter les débordements qui ont eu lieu en Libye.

L’ASL ne risque-t-elle pas de manipuler les manifestants et de leur imposer ses vues ?

Je n’ai pas entendu parler de cas où l’ASL aurait profité d’une manifestation pour prendre l’initiative et lancer une attaque. Elle se cantonne à un rôle défensif. Pour la population c’est un gage de sécurité si une manifestation s’organise sous sa protection. Il fait aussi garder à l’esprit que l’ASL reste modeste et qu’elle n’est pas active dans tout le pays. Un grand nombre de manifestations ont lieu sans que l’ASL ne soit impliquée.

Selon des informations du quotidien The Times, l’Arabie Saoudite et le Qatar fourniraient des armes à l’ASL. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas en mesure de confirmer ni d’infirmer un financement international de l’ASL.

Peut-on imaginer pareil scénario pour les comités locaux que vous financez ?

Les activistes avec qui nous travaillons, qu’il s’agisse des membres des groupes locaux en Syrie ou de la Coordination à Beyrouth, n’ont, à ce que je sache, reçu aucun autre financement venant de l’étranger.

Que se passe-t-il vraiment en Syrie ? Pouvons-nous nous fier au bilan humain donné par l’opposition ?

A mon avis, les chiffres commu-niqués par l’opposition sont très crédibles. Il existe des listes claires avec les noms entiers des victimes, leur âge et leur adresse. L’opposition complète les listes très minutieusement, par exemple sur ce site www.vdc-sy.org.

Comment évaluez-vous le niveau de sensibilisation de la société occidentale sur la situation en Syrie ?

J’observe que le niveau d’information général est bien inférieur pour la Syrie que pour l’Egypte et la Libye. Dans ce sens, la stratégie du régime a payé. En expulsant les journalistes étrangers, Al-Assad est parvenu à réduire le nombre d’images témoignant des exactions. La Syrie reste étrangère, inconnue, ce qui empêche un sentiment d’identification avec les manifestants. Seules quelques vidéos Youtube de mauvaise qualité parviennent à filtrer. La révolte égyptienne, de part son côté très médiatique, a obtenu une vague de sympathie bien plus importante.

Que répondez-vous lorsqu’on vous reproche de vous immiscer dans les affaires internes d’un pays étranger ? En définitive, vous intervenez dans une guerre civile…

Dans le sens où nous ne soutenons que la résistance non-violente, nous n’intervenons pas dans la guerre. Ce que nous voulons, c’est permettre aux Syriens d’exercer leur droit de manifester et de s’exprimer librement. La société civile syrienne paie un lourd tribut dans la défense de ses droits. En tant que citoyens attachés aux droits de l’Homme, à des valeurs humanistes universelles, il est de notre devoir de la soutenir.

Avez-vous été critiqué pour votre action ?

Très rarement. Mais effectivement, une partie de la gauche allemande émet des réserves à l’econtre d’une implication trop forte dans le conflit. Six députés de Die Linke ont déposé mi-janvier une déclaration au Bundestag pour condamner l’embargo et de prétendues préparations de guerre contre la Syrie. Adopt a revolution, tout comme l’opposition syrienne, est contre une intervention militaire de l’Occident en Syrie. Ce que l’opposition souhaite, c’est que l’Onu avalise une intervention humanitaire, et non militaire !

Votre initiative se dit-elle pacifiste ?

Certains de nos partenaires, le réseau Friedenskooperative notamment, sont membres du mouvement pacifiste international, mais je ne pourrais pas nous décrire comme essentiellement pacifiste. Nous positionner sur cette question nécessiterait un grand débat interne, qui nous ne paraît pas pertinent aujourd’hui.

Avez-vous reçu des réactions ou des menaces de la part du régime ?

Non, ni le régime en soi, ni les partisans d’Al-Assad ne se sont manifestés. Les activistes à Beyrouth sont également en sécurité, bien que les services secrets syriens soient actifs au Liban.

Qu’est ce que vous espérez de la politique internationale pour résoudre la crise ?

D’un côté, l’Allemagne et les autres pays européens doivent augmenter la pression sur le régime syrien, de l’autre, ils doivent mettre des aides humanitaires à disposition des réfugiés présents dans les pays limitrophes de la Syrie. La pression doit venir de l’extérieur comme de l’intérieur, c’est le meilleur moyen de provoquer la fin de la dictature. Une intervention militaire serait une catastrophe, nous n’avons pas besoin d’une deuxième Libye.

La Russie a d’importants intérêts stratégiques en Syrie. Elle y a effectué sept pour cent de ses ventes d’armes en 2010 et y possède sa dernière base en dehors de l’espace post-soviétique. Mardi, le pays s’est une nouvelle fois opposé à une résolution sur la Syrie au Conseil de sécurité. Comment dépasser ce blocage ?

Pour que la Russie fasse un pas dans la direction de la communauté internationale, il va falloir que les Occidentaux acceptent d’apporter aux Russes un certain nombre de garanties. C’est donnant-donnant.

http://www.adoptrevolution.org/


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