BERLINALE: Entreprise de séduction

La Berlinale a été une nouvelle fois l`occasion pour le Luxembourg, en tant que lieu de production reconnu, de mener une offensive de charme sur le marché du film international.

Fondée au début des années 1950 par l’administration américaine pour servir de « vitrine du monde libre » dans l’enclave qu’était Berlin-Ouest, la Berlinale s’est progressivement dépolitisée, tout en gardant un profil plus engagé que d’autres festivals. Ne cherchant plus à diffuser les valeurs du « monde libre » mais à refléter les bouleversements dont la planète est témoin, le Festival du Film de Berlin s’est incrusté en tant que date phare du calendrier cinématographique international. Avec ses centaines de films au programme, il est l’occasion pour un public d’initiés, comme pour des néophytes, de découvrir quelques perles rares qui ne seraient autrement pas présentées dans les salles obscures. Un festival comme la Berlinale est aussi l’occasion pour un jury de faire passer un message, chaque décision prise pour départager les films en compétition étant le fruit d’un savant mélange de critères artistiques, de préférences personnelles et probablement aussi d’impératifs politiques.

Mais pour les professionnels du cinéma européen le festival est aussi une date immanquable pour d`autres raisons. Chaque année, il permet à environ 15.000 représentants de la branche de rencontrer de potentiels associés pour de nouvelles collaborations, de découvrir de nouveaux films à distribuer (notamment dans le cadre du European Film Market, troisième marché mondial de films au monde) ou tout simplement d`entretenir ses réseaux de contacts et revoir des connaissances de longue date. A la différence du Festival de Cannes, qui attire une public global de professionnels, la Berlinale, bien qu`elle soit très internationale, réunit un public plus ciblé, constitué de professionnels des pays germanophones, néerlandophones, scandinaves et des pays de l`Est. Ce public plus spécifique fait du festival un complément pertinent au rendez-vous cannois.

Parlons affaires

Le marché du film permet donc aux agents de ventes ou aux distributeurs de donner une nouvelle dimension à leur films en assurant la vente des droits de projections pour l`étranger. Et c`est aussi l`occasion pour chaque pays de montrer ce qu`il sait faire en matière de production cinématographique. Une tâche à laquelle les représentants de l`industrie du film luxembourgeois s`adonnent également.

Car si le rôle remarqué de Vicky Krieps dans « Formentera » d’Ann-Kristin Reyels constitue la seule présence luxembourgeoise au programme officiel du festival, les maisons de production du pays, mais aussi des institutions comme le Filmfund Luxembourg, sont bien présentes pour participer à cette opération de séduction, à laquelle l`ambassade n`hésite pas à donner un petit coup de pouce en organisant une réception.

Présenter et distribuer les films luxembourgeois

Pour les distributeurs et producteurs du cinéma luxembourgeois, la Berlinale représente un double défi. Il s`agit d`abord de parvenir à ce que les films soient remarqués dans la marée de productions présentes, car avec sa dizaine de long-métrages par an, le Luxembourg garde une masse de créations modeste au niveau européen où chaque année près de mille films sont produits. Mais au-delà de la présentation de films pour le marché extérieur, il s`agit de conforter l`image du pays comme partenaire fiable pour la réalisation de coproductions internationales.

Bien sûr, la tâche de vendre un film luxembourgeois peut être ardue, surtout s`il traite une thématique purement luxembourgeoise. « Un film comme `D`Belle Epoque‘, n`intéressera probablement que le public luxembourgeois, alors que `The Road Uphill‘ rencontre beaucoup d`intérêt à l`étranger, » estime le producteur Paul Thiltges. Présent à la Berlinale, il organise la vente des droits pour l`étranger du documentaire de Jean-Louis Schuller sur les frères Schleck, qui est le seul film luxembourgeois à avoir eu droit cette année à deux projections dans le cadre du marché du film du festival. Avec un certain succès, puisque des acheteurs venus de nombreux pays dont l`Allemagne, l`Australie et même du Japon ont manifesté leur intérêt, mais il reste encore à négocier les conditions pour finaliser les contrats. Quoi qu`il en soit, Thiltges estime que la qualité des productions et coproductions luxembourgeoises s`améliore. Une qualité qui pourrait payer, si elle parvient gagner en teneur : « Si un jour nous avons une histoire universelle à raconter à partir du Luxembourg, nous toucherons un large public tout comme le font par exemple les Danois ou les Finlandais ».

Mais la spécificité luxembourgeoise ne doit pas être vue comme une barrière, même en ce qui concerne la langue. Pour Bernard Michaux, producteur également présent à la Berlinale, le langue luxembourgeoise « peut même être vue comme un atout pour certains festivals qui cherchent des films ?exotiques` ».

Les coproductions, une carte de visite d`une industrie audiovisuelle performante

Mais le Luxembourg est loin de se spécialiser dans les films traitant des histoires « 100% luxembourgeoises ». La production nationale se concentre majoritairement sur les coproductions internationales, où les maisons de production luxembourgeoise collaborent avec un ou plusieurs autres producteurs.

Ces coproductions sont fondamentales pour la profession puisqu`elles permettent à l`industrie cinématographique du pays de prendre une dimension plus importante. En étant présentes à la vente lors d`un festival comme la Berlinale elles servent de carte de visite du savoir-faire cinématographique du pays, de ses infrastructures et de ses techniciens et confirment la renommée que le Luxembourg s`est progressivement forgé sur la scène européenne.

Pour Bernard Michaud, le pays a clairement gagné le pari de se lancer dans l`industrie audiovisuelle, en particulier vis à vis de l`international : « Le Luxembourg est très demandé. Une très bonne réputation qui permet au Filmfund Luxembourg de pouvoir bien choisir les projets qu`il soutient. Il est loin d`accepter n`importe quelle proposition. En plus des financements, un avantage de notre système de production est la taille réduite de ses structures, ce qui permet de rester flexible. Et alors qu`en France, il est prévu de tourner en français, exception culturelle oblige, le Luxembourg ne pose pas de conditions linguistiques. » Paul Thiltges le confirme « les coproductions sont vitales pour que le Luxembourg ait sa place en Europe. »

Guy Daleiden, le directeur du Filmfund, ne le dit pas sans un brin de fierté. « Si des personnalités reconnues comme Al Pacino ou Carole Bouquet font confiance au Luxembourg ce n`est pas un hasard. Nous avons environ 500 professionnels du cinéma qui font un travail d`une grande qualité, qui s`améliore même d`année en année, comme on pourra le voir au prochain Filmpräis. » Le 9 mars prochain, le Lëtzebuerger Filmpräis récompensera les meilleures contributions au cinéma luxembourgeois. Ce succès repose financièrement sur les épaules du Filmfund, qui soutient par son système de subventions les productions plus axées sur le Luxembourg tout comme les projets de coproductions internationales. Organisme sous la tutelle des ministères de la Culture et des Communications, le Filmfund a distribué environ 4,7 millions d`euro en 2010 à 23 projets (6 aides à l`écriture ou au développement et 17 aides à la production) sur un total de 36 demandes. Pour les producteurs étrangers l`intérêt est indéniable puisque le système leur permet de réaliser leurs films dans des conditions favorables. Mais la question du « retour sur investissement » peut émerger pour le Luxembourg si le contenu du film subventionné n`évoque pas ou très peu la culture du pays.

« Dans tous les cas, ces financements ne sont pas de l`argent perdu, » précise Guy Daleiden, « car il sont bien réinvestis dans le pays : les tournages se déroulent au Luxembourg et permettent d`employer les professionnels de l`audiovisuel luxembourgeois. Et le produit résultant est bien un produit culturel luxembourgeois. Prenez un film comme `Hot Hot Hot‘ par exemple. Bien qu`il ait été tourné en anglais, on y trouve une réalisatrice et des acteurs luxembourgeois. » Peut-être que la spécificité actuelle du cinéma luxembourgeois réside dans cette capacité à réaliser des films sans s`embarrasser des frontières. Comme le résume une étudiante en cinéma à l`université de Munich également présente à la Berlinale : « Beaucoup de Luxembourgeois sont originaires d`horizons très différents, faire des films au Luxembourg sans penser au delà des frontières est inconcevable ».

Une vision transnationale qui en perdurant peut confirmer le Luxembourg en tant que centre de production cinématographique. Et peut-être que ce terreau international permettra aux jeunes réalisateurs luxembourgeois de trouver l`histoire universelle tant recherchée qui saura séduire les jurys et les publics des festivals internationaux, dont ceux de la Berlinale.


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