CATTENOM CONNECTION: Cousu de fil jaune

En présentant une étude favorable à la connexion au réseau français, Jeannot Krecké a déclenché une levée de boucliers. Les arguments des antinucléaires sont aussi bien techniques que politiques.

Le rideau se lève … sur un Grand-duché électronucléaire? (photo: Raymond Klein)

„Ce n’est pas seulement une question de politique antinucléaire. Il nous importe de dire que la connection avec la France préconisée par Jeannot Krecké n’est pas justifiée du point de vue de la sécurité d’approvisionnement.“ En insistant sur les aspects techniques du dossier, le député européen Claude Turmes se situe sur le terrain-même de son adversaire, le ministre de l’économie Jeannot Krecké. Lundi dernier, celui-ci avait présenté une étude sur l’interconnexion des réseaux électriques luxembourgeois avec la France et la Belgique. En martelant que son objectif était nullement de promouvoir l’énergie nucléaire, mais d’assurer l’approvisionnement, suite au black-out de septembre 2004. Accessoirement, l’utilité de la fameuse ligne de haute tension connectant le réseau français à celui de la Sotel, qui alimente essentiellement les aciéries d’Arcelor, était aussi considérée.

C’est pourtant bien à cause de cette connexion directe „Cattenom-Arcelor“, à haute valeur symbolique, que la conférence de presse du ministre était attendue depuis longtemps. Greenpeace ne s’y était pas trompée: le matin-même, le ministère avait été couvert de symboles jaunes signalant une zone contaminée par le nucléaire. Beau joueur, le ministre a invité deux représentants de l’ONG à assister à la conférence de presse. Il a ensuite présenté les trois scénarios de connexion étudiés. La construction d’une ligne reliant le réseau français aux aciéries n’apporterait rien au Luxembourg en matière de sécurité d’approvisionnement. En effet, actuellement, le réseau Sotel, qui s’approvisionne en Belgique, n’est pas connecté au réseau Cegedel, approvisionné en Allemagne et qui alimente le reste du pays. L’interconnexion de ces deux réseaux, sans construction de nouvelle ligne, augmenterait la sécurité aussi bien pour Sotel que pour Cegedel. Mais, précise le ministère, „cette solution pourrait mener à des problèmes techniques au niveau de la qualité d’approvisionnement et ne renforcerait pas considérablement la sécurité d’approvisionnement nationale“.

Fromage et dessert

La solution favorisée par Jeannot Krecké est la troisième, qui revient à commander „fromage et dessert“: se connecter à la France et interconnecter les réseaux luxembourgeois. Ainsi l’idéal visé par la libéralisation européenne de l’électricité serait atteint. Le Luxembourg deviendrait un noeud entre les réseaux des pays voisins et pourrait faire jouer la concurrence entre les trois marchés. En tant que ministre de l’économie, Krecké espère offrir les meilleures conditions possibles aux entreprises implantées au Grand-duché: „Je ne voudrais pas qu’Arcelor délocalise parce que l’électricité est trop chère ou que l’approvisionnement est incertain.“ A ses yeux, il est indispensable de choisir une solution développant considérablement les capacités d’importation d’électricité – une étude de la Cegedel prévoit une augmentation de la consommation de 2,3 % par an.

Actuellement, le ministre et le député européen se livrent à un échange d’arguments à la fois hautement technique et bassement polémique. De cette manière, les enjeux – et non les moindres – sur lesquels il y a accord risquent de passer inaperçus. D’une part, Jeannot Krecké a embrayé le pas à Claude Turmes en matière de contrôle des réseaux de haute tension. Dans son rapport „Energie fir d’Zukunft“, celui-ci avait proposé un contrôle public pour l’ensemble de ces réseaux, afin de les soustraire aux appétits des grands opérateurs étrangers, et d’en assurer l’entretien et la fiabilité. D’autre part, les deux politiciens estiment qu’une interconnexion des deux réseaux nationaux est une condition nécessaire à la sécurité d’approvisionnement. Sur ce point c’est Turmes qui s’est laissé convaincre. Il y a six mois encore, le député recommandait de se contenter d’un dispositif d’interconnexion en cas de panne. Les inquiétudes d’alors, relatives aux fluctuations de tension qui dégraderaient la qualité d’approvisionnement, semblent s’être dissipées.

Consensus et polémique

Ces consensus n’empêchent pas Claude Turmes d’essayer de démonter l’étude ministérielle. Ainsi il rappelle que depuis le black-out de 2004, l’opérateur allemand RWE a procédé à des modernisations. Celles-ci rendraient une nouvelle panne au niveau de la connexion à l’Allemagne extrêmement improbable. L’argument, à contre-courant de la logique du principe de précaution, surprend quelque peu de la part d’un Vert. La critique la plus tranchante concerne l’existence d’une ligne belgo-luxembourgeoise de 150 kilovolts, ignorée par l’étude ministérielle. Cette ligne, plus ou moins parallèle à la connexion Sotel de 220 kilovolts, rendrait la situation moins dramatique en cas de panne du côté allemand que ce qui est indiqué dans l’étude. De plus, une extension de cette ligne à 220 kilovolts permettrait d’assurer un approvisionnement suffisant dans tous les cas de figure. Cette solution, qui rendrait superflue la connexion avec la France, est favorisée par les Verts. Tom Eischen, Commissaire de gouvernement à l’Energie, se montre sceptique: „Nous sommes en train de vérifier, mais cette option risque de se heurter à des goulots d’étranglement sur le réseau franco-belge. De plus, la ligne de 150 kilovolts traverse de nombreuses zones habitées.“

Enfin, les deux protagonistes mettent en doute leur neutralité respective. Claude Turmes reproche au ministre d’occulter des éléments du dossier et de pousser à une décision précipitée, insinuant qu’il cherche à imposer la connexion avec EDF. Réciproquement, Jeannot Krecké rappelle que les opérateurs belge et allemand ont des intérêts propres dans l’affaire. Faut-il en déduire que le député européen est un agent d’Electrabel ou de RWE?

Ce qui est certain, c’est qu’il maî trise les aspects techniques du dossier. A tel point qu’il a du mal à répondre à des questions plus politiques. Ainsi, pour s’opposer au nucléaire, il préconise l’achat d’électricité „propre“, comme le fait la ville d’Esch, et une réduction des crédits de recherche atomique européens. L’idée de déclarer le Luxembourg „zone non nucléaire“ ne l’effleure pas. En effet, cela mettrait en question les principes de la libéralisation, à laquelle le député vert est tout aussi attaché que le ministre socialiste.

Ce n’est pas leur seul point commun. Les Verts reprochent à juste titre au ministre d’être fataliste et de se plier aux soi-disantes nécessités techniques. Par exemple, Krecké suggère aux antinucléaires de faire comme lui: acheter du courant propre chez „Nova Naturstroum“. Cette confusion entre citoyens et consommateurs, entre la sphère du marché et celle du politique, dénote un abandon de toute ambition de „changer le monde“. De son côté, le ministre a beau jeu de se moquer du député: Claude Turmes dénonce régulièrement les prix de l’électricité trop élevés, alors que la mouvance verte, en principe, estime nécessaire une augmentation du coût de l’énergie. Finalement, les deux politiciens ont réussi, chacun dans sa position, à se faire respecter en tant qu’expert ou gestionnaire compétent, ce qui n’est pas évident vu leurs partis d’origine. Jusqu’à en oublier la dimension politique de leur engagement, malheureusement.

Cette conscience politique survit plutôt du côté des ONG. Pour Roger Spautz de Greenpeace, il s’agit clairement de contester l’option nucléaire prise en se connectant au réseau français, indépendamment des critères d’efficacité. Ils récusent l’argument de Jeannot Krecké que Cattenom est là de toute façon. Au-delà du cautionnement symbolique d’une énergie dangereuse, la connexion en question a des effets sur les stratégies des producteurs d’électricité: „Les contrats passés avec EDF encouragent les investissements dans de nouvelles centrales.“ Notons que l’attitude de Greenpeace a également évolué: au printemps elle avait combattu la ligne Sotel-EDF au nom de la préservation des zones de protection qu’elle traverserait. C’est sans doute devant le risque que Sotel modifie le tracé en conséquence que l’ONG a adopté une position plus politique, comme l’avait fait dès le début le Mouvement écologique.

Arçolaire, c’est possible

C’est Greenpeace qui a essuyé les tirs les plus violents de la part du ministre de l’économie. Pour excuser ses dérapages lors de l’interview avec le Kéisecker (voir woxx 828), il les a présentés comme une réaction aux inepties proférées par Greenpeace. Ce n’était vraiment pas fair-play, car les arguments auxquels Krecké se référait provenaient du tract distribué le matin même, et il n’en avait pas été question lors de l’interview. Greenpeace avait affirmé que „les grands consommateurs, comme Arcelor, doivent renoncer à la consommation d’électricité produite par des centrales nucléaires ou par des combustibles fossiles nuisibles pour le climat“.

„L’idée que les aciéries électriques pourraient fonctionner rien que sur base d’énergies renouvelables est complètement absurde“, a fulminé le ministre. A première vue, on pense à d’immenses surfaces photovoltaï ques et on lui donnerait raison. Or, l’étude sur laquelle Greenpeace base son affirmation prône une sortie complète du nucléaire à l’horizon 2050 en Europe, la consommation des autres énergies fossiles étant réduite à 25 % du mix d’électricité. Demander à Arcelor de se situer à la pointe du progrès peut être qualifié de téméraire, mais pas d’absurde. Evidemment, les études se contestent, qu’elles émanent de ministères ou d’ONG. Mais dans ce cas, Jeannot Krecké, en essayant d’effacer une bourde, en a sans doute commis une autre. Roger Spautz en tout cas est convaincu: „Fournir les aciéries avec du courant vert, c’est possible.“


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