FESTIVAL DES MIGRATIONS: Globalement positif… ou presque

D’année en année, le Festival des migrations accueille une foule de plus en plus importante. Mais le succès populaire ne doit pas masquer un certain nombre de désaccords de fond.

Place Guillaume, il y a 30 ans de cela. La deuxième édition du Festival des migrations avait encore lieu en plein air.

Le décompte n’est pas encore tout à fait terminé, mais tout porte à croire que le « Festival des migrations, de la culture et de la citoyenneté », qui s’est tenu le weekend dernier à la Luxexpo au Kirchberg, a franchi un nouveau cap en termes d’afflux. Ce qui était palpable dès samedi, s’est confirmé le lendemain, avec une affluence massive. Franco Barilozzi, le secrétaire général du Clae (Comité de liaison et d’action des étrangers), la fédération responsable de l’organisation du festival, n’est pas encore en mesure d’établir un débriefing complet, mais tient pour possible que le nombre de visiteurs ait bel et bien dépassé les 30.000. Ce qui est certain, et plus facile à comptabiliser, ce sont les 45 organisations supplémentaires présentes avec un stand. Si le tissu associatif luxembourgeois est particulièrement développé, ces organisations arrivent en bonne partie de pays limitrophes, comme des associations turques venant d’Allemagne.

C’est une évidence : le festival, qui en était à sa 29e édition, peut se féliciter de s’imposer comme un événement national, un rendez-vous à la popularité croissante. Pour Barilozzi, il contribue même à donner une autre image du grand-duché aux visiteurs étrangers : « Ne connaissant que très peu le Luxembourg, ils arrivent avec des idées toutes faites. Une fois au festival, ils constatent que ce pays est bien plus qu’une place financière. » Le festival, une cause quasiment patriotique ? Une idée qui devrait charmer quelques-uns de ses détracteurs que l’on retrouve très à droite, au sein de la jeunesse de l’ADR, et qui ont récemment appelé – via facebook – à boycotter l’événement, lui reprochant de faire la part belle aux cultures romanophones, reniant la « germanité » du Luxembourg.

Mais ces critiques marginales et provenant d’une sensibilité politique rejetant par principe le caractère multiculturel du pays, ne devraient pas impressionner grand monde. Toutefois, malgré son succès, le festival fait également l’objet de critiques issues du milieu associatif. Car depuis 1981, date de sa première édition – en plein air au « Knuedler » – il a non seulement changé de lieu, mais également d’organisateur (passant de l’Asti au Clae). Et selon certains, il aurait perdu son esprit militant et revendicatif.

Le premier à en faire part n’est personne d’autre que l’ancien président de l’Asti, Serge Kollwelter, celui-là même qui a donné naissance au festival. Sur sa page facebook, il n’y va pas par quatre chemins, donnant les raisons de son absence du festival : « Les exposants et les visiteurs sauront-ils, à force de se frayer un chemin à travers les odeurs culinaires, découvrir les trois ou quatre préoccupations (politiques) essentielles – immédiates ou à moyen terme – des organisateurs ou bien seront-ils contraints de rechercher ces préoccuvendications (sic) dans la presse de lundi ? Quel potentiel de rencontre, de collaboration, d’union autour de perspectives d’un vivre ensemble laissées en friche ! »

Des critiques auxquelles se rallie également Guy Reger, président d’Amitié Luxembourg-Portugal ainsi que de la Maison des associations. « Trop de kermesse, pas assez de citoyenneté », tranche-t-il. Franco Barilozzi ne l’entend pas de cette oreille. A ses yeux, le caractère revendicatif du festival est toujours présent et il ne voit pas de mal à ce que des associations puissent renflouer un peu leurs caisses en vendant de la nourriture ou des boissons. Or, selon Reger, ce seraient les prix élevés des stands qui pousseraient à la recherche de rentrées commerciales.

Kermesse ou politique ?

Quant au porte-parole de l’Asti, Jean Lichtfous, il souhaiterait que le festival fasse quelques efforts au moins au niveau de l’expression des revendications : « Cette année, on aurait pu imaginer un slogan tel que `Non à la diminution de l’aide sociale aux demandeurs d’asile‘ et qu’on propose un autocollant aux associations qui partagent cette revendication, à la coller sur leur stand. » Indirectement, Lichtfous fait référence aux débuts du festival qui imposait alors aux associations désirant disposer d’un stand d’adhérer à la revendication de soutenir le droit de vote des étrangers.

Les critiques portent également sur des points qui pourraient être considérés comme étant symboliques. Ainsi, la présence du sponsor « Western Union » fait grincer les dents des dirigeants de l’Asti. Cette société, qui assure des transferts d’argent, est souvent critiquée par des organisations de solidarité avec les pays en voie de développement, car elle prélève une commission très élevée sur les virements que des ressortissants vivant en Europe font parvenir à leurs familles. Barilozzi est conscient de cette contradiction, connaît cette critique et la partage, mais il souligne également qu’elle constitue un des rares moyens de transfert sécurisé.

Pour Barilozzi, « il y a plusieurs niveaux de faire de la politique ». Il rappelle que le Clae fait du travail de terrain au jour le jour : « Les revendications, nous les portons régulièrement lors de prises de position publiques ou au sein du Collectif réfugiés. » Il se dit sceptique si un autocollant revendicatif apporterait une plus-value significative. « De toute façon, l’Asti et le Clae, ce n’est pas la même chose », affirme-t-il. « L’Asti a le privilège d’être majoritairement constituée de Luxembourgeois et dispose ainsi d’une facilité spécifique pour pénétrer dans d’autres milieux. »

L’Asti et le Clae, deux mondes séparés ? La chanson n’est pas nouvelle. Et récemment, elle vient d’être officialisée. Lors de la dernière assemblée générale de l’Asti, le conseil d’administration avait été chargé de réfléchir à un retrait du Clae, et cela vient de se concrétiser. En effet, Car jusqu’à présent, l’Asti était membre de cette structure confédérale. Mais pour Lichtfous, ce pas était nécessaire et même propice pour relancer sur de nouvelles bases les relations tumultueuses entre l’Asti et le Clae : « Ces derniers temps, nos relations se sont apaisées. De plus, nos deux organisations viennent d’élire un nouveau et une nouvelle présidente à leur tête. Et nous avons convenu de nous voir une à deux fois par an. » Lichtfous admet que cette séparation devenait également nécessaire, car elle entretenait une gêne auprès des interlocuteurs du monde politique. Il n’empêche que les deux organisations continuent à se côtoyer, voire à collaborer, notamment au sein du Collectif réfugiés, partageant le plus souvent des points de vue identiques. Mais, d’une certaine manière, les conflits et divergences de vue entre associations, cela fait peut-être aussi partie de la diversité citoyenne.


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