POLITIQUE BUDGÉTAIRE: Equilibre difficile

Si le Luxembourg n’est pas pauvre, son budget national va pourtant mal. Entre réduction des dépenses et augmentation des recettes, les propositions de solution sont nombreuses mais peu populaires.

Jeudi de la semaine passée, les député-e-s ont débattu la situation financière du Luxembourg pendant près de cinq heures et demie. En fin de parcours, il y avait même un vainqueur inattendu : le tram. En effet, lors de son discours sur le sujet, Gast Gibéyrien (ADR) avait déposé une motion appelant à tout simplement abandonner ce « projet inutile » afin d’épargner l’argent du contribuable. A la fin du débat, la motion a été radicalement rejetée par 56 voix contre les 4 voix des membres du ADR. On peut donc conclure que les hésitations qui ont ressurgi ces derniers temps à propos de ce dossier semblent être sans objet. Tous les partis, à l’exception de l’ADR, s’y ralliant à cent pour cent, le ministre des finances, Luc Frieden, va dorénavant s’abstenir de citer le projet du tram comme une des premières victimes potentielles de l’exercice douloureux des coupes budgétaires.

Mais la journée aura aussi laissé un déçu : Etienne Schneider, le nouveau ministre de l’économie, est resté sur sa faim. Le débat inscrit au programme de la chambre des députés devait en effet porter sur deux notes que le Luxembourg est appelé à soumettre à la commission européenne : L’une sur les orientations de la politique budgétaire du gouvernement à la lumière du « semestre européen » et l’autre sur le programme national de réforme (PNR) dans le cadre du processus communautaire Europe 2020.

Si Etienne Schneider a pu, dans son discours introductif, exposer les « objectifs ambitieux » fixés dans le cadre du PNR pour « sortir renforcé de la crise et (?) tourner notre économie vers une croissance intelligente, durable et inclusive », il faut avouer que le débat qui allait suivre portait essentiellement sur les propos avancés au préalable par son collègue Luc Frieden à propos de la réduction du déficit budgétaire, estimé – si rien n’est entrepris – à plus d’un milliard d’euros à partir de 2013. Par ailleurs, ont comprend mal pourquoi la Chambre a regroupé ces deux dossiers, liés certes, dans un débat marathon, alors que des semaines durant il n‘ y avait pas de séance faute de matière à traiter.

Utile mais insuffisant

Pour Luc Frieden, par contre, la consultation a été « utile ». Il dit avoir découvert quelques pistes qu’il promet de suivre pour consolider son budget. Mais en même temps il a affirmé qu’en additionnant toutes les propositions avancées lors du débat, il resterait encore loin du compte des « premiers » 500 millions d’euros à épargner en 2013, auxquels il faudrait de toute façon rajouter un paquet identique supplémentaire les années suivantes.

« Mais cela, c’est bien sûr le boulot du gouvernement », continua Frieden, qui a néanmoins atteint son but : pratiquement tous les intervenants ont accepté que la réduction du déficit devra s’opérer du moins en partie par des réductions de dépenses dans les quatre grands axes budgétaires, les investissements, les transferts sociaux, les frais de fonctionnement et les salaires des fonctionnaires et du secteur conventionné. Même le représentant de la gauche s’est laissé prendre au jeu? en proposant des coupes du côté de l’armée et de l’Eglise.

Les libéraux ont réitéré leur reproche que le ministre des finances et du budget refusait de dire ouvertement quelles mesures il allait finalement proposer. S’il est vrai que, lors d’une interview à la radio, Luc Frieden avait indiqué quelques pistes, comme le remise en question du 13e mois chez les fonctionnaires ou l’abolition de l’ajustement des pensions à l’évolution générale des salaires, il n’a pas présenté, lors du débat, un inventaire voire un calendrier précis des mesures à prendre.

Sentant les divergences entre le CSV et le LSAP, les libéraux craignent qu’en discutant de tout, rien ne va sortir de cette coalition. A part l’idée d’une banque climat, qui devrait permettre aux personnes privées de rendre leurs habitations moins voraces en énergie sans passer par les subventions budgétaires, le porte-parole du DP a soigneusement évité de donner des pistes trop concrètes. Le sort des libéraux allemands ne semble guère donner envie de proposer trop de mesures impopulaires.

Pour les Verts, l’exercice était un tantinet plus difficile, car entre la volonté d’apporter des solutions durables à l’assainissement budgétaire et le besoin de réformer les bases même du fonctionnement de l’Etat, qui ne peut se réaliser sans moyens budgétaires supplémentaires, le choix est parfois difficile. D’emblée François Bausch, chef du groupe des Verts, a regretté la réforme fiscale d’il y a dix ans, qui a enlevé une certaine marge de manoeuvre à l’Etat.

Selon lui, le budget actuel recèle toujours des possibilités de coupes. Certaines dépenses comme les primes CAR-e, « qui ont permis aux gens de se procurer de nouvelles voitures avec quelques suppléments gratuits en plus », n’étaient jamais du goût des Verts, qui auraient aimé voir cet argent investi directement dans des programmes de réduction de la consommation d’énergie.

Alors que François Bausch ne pense pas qu’il faille remettre en cause le 13e mois des fonctionnaires, il a néanmoins traité le relèvement du point indiciaire des traitements des fonctionnaires – qui devait être signé un jour après le débat ? comme inacceptable à un moment où des coupes s’annoncent partout. Cette augmentation n’aurait été qu’une contrepartie pour une réforme statutaire mal aimée que la CGFP a su instrumentaliser intelligemment à sa guise.

Les différentes propositions d’adaptation des recettes via un relèvement de certains impôts sont moins du goût du ministre des finances. S’il a entendu dire certains des députés qu’il serait opportun de faire porter le fardeau de la réduction du déficit plutôt par ceux qui ont les « épaules larges », il a tenu à rappeler que déjà maintenant ce sont les « gros » qui contribuent le plus au budget de l’Etat. 40 pour cent des contribuables ne paient pas d’impôts au Luxembourg et, parmi ceux qui en paient, cinq pour cent contribuent à la moitié des impôts sur les traitements et salaires récoltés par l’Etat.

Du côté des impôts sur les collectivités, c’est (encore) le seul secteur financier qui rassemble 75 pour cent de la manne, alors que beaucoup de sociétés ne paient aucun impôt. Un relèvement trop important de ce type d’impôt comporterait selon le ministre des finances un fort risque de délocalisation, car il faudrait se mesurer non seulement par rapport à la grande région mais aussi par rapport aux centres financiers de Londres et de Zurich.

Dans sa prise de position, le président du groupe socialiste, Lucien Lux, a déploré que 83 pour cent des entreprises luxembourgeoises ne paient pas d’impôts sur les collectivités. Contrairement aux partenaires chrétiens-sociaux, les socialistes revendiquent un relèvement du taux d’imposition maximal sur les différentes formes de revenus, mais se prononcent contre le relèvement de la TVA. On est en droit de penser que cette position du LSAP restera lettre morte, étant donné que le chef de file des chrétiens-sociaux au parlement, Marc Spautz, s’est bien dit disposé à vouloir discuter de tout, mais peu enclin à accepter n’importe quoi.

TVA contre taux d’imposition maximal

Or s’il y a une augmentation des impôts sous Luc Frieden, ce sera essentiellement à travers une adaptation de la TVA. A 15 pour cent, ce taux est, ensemble avec la Chypre, le plus bas de l’Europe. Au plus tard en 2015, lorsque le régime sur le e-commerce changera et que le Luxembourg récoltera 600 millions en moins sur les commandes passées via les portails luxembourgeois, ce trou supplémentaire devra être bouché en partie par un relèvement du taux de TVA.

Frieden s’est défendu contre l’argument que cette taxe serait peu sociale et frapperait tout le monde de la même façon : « Celui qui gagne plus, consomme plus et paie donc plus de TVA que les moins riches ». Si la TVA est relevée d’un ou de deux points en 2015 – ce qui se fera sous un nouveau gouvernement – elle risque de devenir définitivement la catégorie d’impôt la plus importante sur laquelle se construira la politique budgétaire de l’Etat. En 2012, ce rôle revient encore aux impôts sur les traitements et salaires (2,65 milliards d’euros) devant la TVA (2,40) et loin devant l’impôt sur les collectivités (1,55) et la taxe d’abonnement des fonds de placement (0,63).

En abaissant le barème d’impôt au début des années 2000, le couple Juncker/Frieden avait permis à un grand nombre de ménages de ne plus payer d’impôts ou de réduire fortement leur contribution. Mais les vrais gagnants ont été les gros et moyens revenus, car, en chiffres absolus, leur cadeau était bien plus important. Juncker et Frieden ont ainsi créé le paradoxe que le Luxembourg a un des régimes d’impôts sur les traitements et salaires connaissant à la fois une forte progression sur les revenus moyens – très fortement ressentie par cette catégorie de personnes – tout en opérant une ponction absolue relativement faible.

La non-adaptation du barème en fonction de l’indice des prix a augmenté le sentiment d’injustice parmi les classes moyennes. Ce qui a conduit les syndicats, normalement peu enclins à des baisses d’impôts quand il s’agit d’éviter des coupes budgétaires, à solliciter une adaptation du barème. Ce qui reviendrait, de fait, à une baisse des recettes par rapport à ce qui est actuellement prévu. Le trou que Frieden voit devant lui risquerait donc encore de s’agrandir.

Tôt ou tard, Luc Frieden sera donc forcé de revoir intégralement le système des impôts et de relever certains taux. Près de 15 ans après la plus grande réforme d’après-guerre, le Luxembourg reviendrait donc à la case départ, à un régime fiscal qui aura eu le mérite de mettre sur pied un système économique et social des plus équitables du continent.


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