RÉVOLTE: Deux poids, deux mesures

La mobilisation en faveur des punk-rockeuses et activistes russes de Pussy Riot est certainement louable, mais elle démontre aussi que l’engagement est une dynamique aux vecteurs très variables.

Il l’a fait. Vladimir Poutine, ou le système de justice russe qui est à ses ordres, vient de faire envoyer en Sibérie pour deux ans Nadejda Tolokonnikova, Ekaterina Samoutsevitch et Maria Alekhina – les trois membres du groupe Pussy Riot qui ont été arrêtés lors de leur action coup de poing dans la cathédrale moscovite du Christ-Sauveur le 21 février 2012, deux autres membres ayant pu échapper aux policiers. Le président russe s’inscrit donc dans la meilleure tradition du stalinisme et du tsarisme, qui aimaient bien exiler les opposants politiques dans le froid éternel.

Mais Poutine ne serait pas lui-même s’il n’avait pas d’autres desseins cachés derrière cette condamnation plus que ridicule. En laissant l’église orthodoxe au premier plan des accusateurs, il s’est habilement tiré de la ligne de mire, même si personne n’est dupe de la justice politisée instaurée sous son règne. Et puis, il a misé avant tout sur la division des forces oppositionnelles, dont beaucoup sont des chrétiens orthodoxes pratiquants et donc particulièrement choqués par cette action « blasphémique ». Même si les trois inculpées n’ont cessé de répéter qu’elles ne voulaient en aucun cas blesser les sentiments religieux de leurs compatriotes, mais au contraire mettre en évidence la mainmise du Kremlin sur l’église orthodoxe, leur message n’est pas passé.

Ce qui est passé par contre, c’est la « causa Pussy Riot » en Occident. Trois jeunes et belles femmes face à une machine de justice implacable, cela suscite l’empathie, et puis c’est sexy de s’engager pour elles. Tellement, que même les jeunes Verts luxembourgeois sont tombés dans le panneau et ont monté une action devant l’ambassade russe, déguisés en Pussy Riot. Cela promet pour les costumes d’Halloween. Et puis, cela ne changera rien, car le système Poutine a bien sûr incorporé cet effet dans ses calculs : cela lui permet d’encore mieux se démarquer d’un Occident incompréhensif par rapport à la Russie, comme il est montré dans les médias sous contrôle étatique, et de s’enfoncer encore davantage dans l’autisme autocratique.

Mais surtout, en donnant une telle exposition aux trois activistes russes, leurs ardents défenseurs font de l’ombre à tous les autres opposants politiques qui croupissent dans des geôles partout dans le monde. Et même à celles et ceux qui ne sont pas vraiment politiques. Par exemple en Afghanistan, la semaine dernière, dans la province de Helmand, les talibans ont décapité 17 personnes, dont deux femmes, tout simplement parce que ces personnes avaient osé écouter de la musique et de danser. Où sont les cris scandalisés de l’opinion publique occidentale face à ce crime qui dépasse l’entendement et par rapport auquel deux ans en Sibérie ne pèsent pas vraiment ?

C’est la face cynique de l’engouement pour les Pussy Riot. Les talibans ne sont pas tellement pop, ni vraiment sexy. Mais leurs victimes ne sont pas les seules à être oubliées par le public. Qui parle encore d’un Bradley Manning qui croupit dans une cellule isolée aux Etats-Unis, parce qu’il est suspecté d’avoir livré des informations à Wikileaks ? Qui parle des autres opposants politiques enfermés en Russie, en Chine, en Arabie Saoudite et dans des tas d’autres régimes autocratiques ou pseudo-démocratiques ? Ces gens là doivent attendre leur tour pour être illuminés du projecteur de l’opinion publique, et puis ils retomberont dans l’oubli dès que le prochain martyr se présente. Et il y en aura toujours.


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