MOHAMED DIAB: Tous des salauds ?

Avec « Les femmes du bus 678 », réalisé en 2011 par Mohamed Diab, le vent du printemps arabe souffle dans nos salles. Un film subtil, engagé, honnête et intelligent à la fois.

Ce n’est pas seulement la bureaucratie qui pose des problèmes aux femmes égyptiennes.

Le Caire en 2009. Avant le printemps arabe, l’hibernation sous Moubarak commence à peser lourd dans la société égyptienne, sclérosée aussi bien politiquement que socialement. Mais petit à petit, des craquelures commencent à apparaître dans la vie des gens. Et une des personnes qui craque en premier, c’est Fayza, une jeune femme coincée entre un boulot qu’elle n’aime pas, un mari peu attentionné et ses enfants pour lesquels elle ne manque certes pas d’amour, mais de temps pour s’occuper d’eux. Sa situation serait peut-être encore vivable sans les harcèlements sexuels permanents auxquels elle est exposée, en tant que femme voilée qui plus est.

Pour au moins comprendre ce qui lui arrive, et pour rencontrer des femmes qui, comme elle, n’en peuvent simplement plus, elle se rend au cours d’autodéfense féminine que dispense Seba, une jeune femme autonome et issue d’une riche famille qui a les bras longs et protecteurs sous le régime moubarakien. Seba a elle-même été victime d’attouchements sexuels, dans une foule en liesse après un match de foot. Son mari, qui n’a pas supporté la honte de ne pas avoir pu l’aider, l’a abandonnée à son sort, ce qui a mené à la destruction du couple. Au cours du film, les deux femmes vont rencontrer une autre consoeur, Nelly. Elle est aussi d’une famille aisée, elle aussi a été attouchée. Mais avec le courage et l’amour de son fiancé – un comédien de stand-up qui joue chaque soir dans un de ces théâtres où a éclaté la rage contre le régime en 2011 – elle porte plainte contre son assaillant. Elle ne se rend juste pas compte qu’elle est la première femme égyptienne à porter plainte pour agression sexuelle, alors que ces délits se multiplient au quotidien – étouffés par une tradition machiste et le tabou de la honte. Fayza, elle, n’a ni l’éducation, ni le courage de briser le mur du silence en s’en prenant publiquement à ses détracteurs. Mais elle va être, un peu contre son gré, à l’avant-garde d’une initiative autrement plus efficace?

Si la façon recoupée de raconter son histoire est clairement inspirée des films de Alejandro Gonzáles Iñárritu, que le réalisateur admet admirer beaucoup – et on ne peut guère lui reprocher cet emprunt -, « Les femmes du bus 678 » est un film qui dépasse cette inspiration en ce qu’il raconte plusieurs histoires parallèles, sur plusieurs strates, sans jamais perdre le fil rouge, sans jamais déséquilibrer le spectateur. Et surtout, même si son thème principal – des femmes courageuses qui prennent en main leur défense contre une société engluée dans un machisme millénaire que même les femmes, par leur éducation, par la reproduction sociale de leur asservissement avaient fini par ne plus questionner – est positif, il ne fait jamais dans l’idéalisme. « Les femmes du bus 678 » n’est pas un film qu’Hollywood adaptera, car il vise trop juste pour se permettre un vrai Happy End.

Mohammed Diab sait mettre en évidence les nuances qui séparent les raisons de l’engagement des trois femmes et il sait aussi bien montrer que non, pas tous les hommes égyptiens sont des porcs. Car le monde masculin, à travers les conjoints des trois protagonistes et surtout à travers la figure très intéressante et ambiguë du commissaire lancé à leurs trousses, souffre aussi de la situation. Même si les hommes en sont moins conscients et préfèrent souvent se cacher lâchement derrière les murs que leur a construit la tradition en se cherchant des raisons. Et c’est en montrant cette image juste, en rendant compte sobrement d’une situation complexe, que « Les femmes du bus 678 » transcende le thème du combat des sexes, qu’il devient un film sur le combat pour la liberté. En d’autres mots, un film à ne rater sous aucun prétexte, car il risque de devenir un classique d’un nouveau genre qui n’en est qu’à ses premiers balbutiements, le nouveau cinéma arabe.

A l’Utopia.


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