CONFLIT DANS L’ÉDUCATION: « Brave New World »

Le conflit qui oppose deux syndicats d’enseignants au gouvernement est entré dans la phase de médiation, la dernière avant la grève. Les syndicats fourbissent leurs armes : idéologiques et militantes.

Salle de classe vide : scénario probable si la médiation entre les syndicats et le gouvernement échoue.

« Plan de réussite scolaire », « Cellule de développement scolaire », « Agence qualité », « Evaluation externe des établissements scolaires »… De tous ces termes il est vrai peu ragoûtants, les syndicats d’enseignants SEW (OGBL) et Apess en ont assez. Mais la terminologie (et l’esprit qui se cache derrière) n’est pas l’unique raison qui a eu raison de leur patience. Ce n’est évidemment pas une nouveauté : depuis le 26 octobre, on sait que les négociations entre les deux syndicats et le gouvernement se sont soldées par un échec et que c’est désormais l’étape de la médiation, dernière précédant le déclenchement d’une grève, qui est en cours. Le médiateur en charge du dossier aura fort à faire : il s’agit du conseiller d’Etat Albert Hansen, un de ces « hommes de l’ombre » du CSV.

Un premier problème porte sur la forme : en sa qualité de ministre de la Fonction publique, le ministre Biltgen conteste la représentativité des deux syndicats, car il considère qu’il s’agit là d’un « litige généralisé », c’est-à-dire qui concerne l’ensemble de la fonction publique. « Faux », lui rétorquent les syndicats, soutenus en cela par la CGFP, le litige ne porte que sur le corps enseignant, et sur ce point, leur représentativité ne saurait être mise en doute. Second problème de forme : Biltgen ne veut pas entendre parler de négociation avec son ministère. Il estime que les syndicats doivent s’adresser à la ministre de l’Education nationale, Mady Delvaux-Stehres. La situation est biscornue : certes, il s’agit d’une réforme des carrières des enseignants et donc d’un corps de la fonction publique, mais elle a un impact direct sur la manière d’organiser et d’exercer la profession, ce qui relève de l’Education nationale. C’est donc avec aisance que les deux syndicats retournent le reproche qui leur est souvent adressé de lier la réforme du statut à la réforme de l’enseignement : « Nous n’avons jamais été demandeurs », explique Patrick Arendt, président du SEW, « c’est le gouvernement qui a choisi de mener ces deux réformes simultanément. »

La proposition du ministère de la fonction publique serait en effet un préalable pour pouvoir ensuite débattre des « modalités » avec la rue Aldringen. « On se croirait dans un abattoir où l’on ne demande pas à la bête si elle veut être abattue, mais uniquement de choisir la façon de la mise à mort » : c’est ainsi que le président de l’Apess, Daniel Reding, résume la situation. Mais contrairement au bétail, les enseignants disposent du droit de grève. Et ils entendent bien en faire usage. La mobilisation battrait déjà son plein et les deux syndicats assurent que leur appel sera suivi même si le plus grand syndicat du secondaire, le SNE, n’y participe pas. Pour preuve, le SEW et l’Apess revendiquent 4.500 signatures apportées à leur « manifeste », qui s’oppose à l’« application des quatre principes marquants de la réforme prévue de la Fonction publique à l’enseignement ».

Le manifeste des 4.500

Car c’est finalement sur le fond de la réforme elle-même et plus loin l’idéologie qui la sous-tend que les esprits divergent – et c’est peu dire. Les « quatre principes » donc : il s’agit de la « gestion par objectifs », de l‘ « évaluation des écoles et des enseignants », de la « hiérarchisation des carrières » et finalement de la « réduction salariale pour les carrières de base de l’instituteur et du professeur ». Pour motiver ce dernier point, les syndicats partent d’un calcul : la réforme prévoit la création d’une nouvelle fonction au sein de l’enseignement, à savoir les « postes à responsabilités particulières ». Il est prévu qu’ils représenteront de 15 à 20 % de l’ensemble des enseignants. Ces derniers jouiraient de 25 points indiciaires supplémentaires. Or, en vertu de la « neutralité financière » de la réforme voulue par le gouvernement, il faudra bien reprendre quelque part ce que l’on donne ailleurs. Les syndicats affirment ainsi que le gouvernement déshabillera Pierre pour habiller Paul : et les Pierre sont les nouveaux entrants. En gros, la réforme prévoit que pendant la première année de stage, un stagiaire du secondaire ne percevra que 80 % de l’indemnité actuellement en vigueur et 90 % durant sa deuxième année. « C’est une perte de salaire globale de quatre pour cent sur l’ensemble de la carrière qui ne sera plus jamais récupérée », résume Guy Foetz, vice-président du SEW.

D’une manière générale, ces postes à responsabilités particulières font grincer les dents des syndicalistes car il remettraient en cause le principe d’égalité entre les enseignants, la profession étant une « carrière plane ». Or, ces nouveaux postes mèneraient à une « hiérarchisation » entre les enseignants et encourageraient « l’esprit de favoritisme et de flagornerie ».

Esprit de favoritisme et de flagornerie, mais aussi esprit de concurrence directement inspirée de « think tanks » néolibéraux comme l’OCDE. Le dernier rapport de l’OCDE paru cette semaine donnerait « malheureusement raison » aux syndicats dans leur défiance. Ces réformes ne seraient pas le fruit du hasard, mais répondraient à une action coordonnée menée à un niveau international. Daniel Reding n’y va pas par quatre chemins : « Lors de la présentation de ce rapport à l’Hôtel Maximin (siège du ministère des Affaires étrangères, ndlr), l’une des auteures dont il paraissait évident qu’elle n’a jamais fait l’expérience du terrain, nous décrivait les réformes comme étant le nec plus ultra. Nous étions dans un `Brave New World‘. » Pour Reding, si la « gestion par objectifs » par exemple, voulue par le ministère, serait applicable au sein d’une entreprise, qui a besoin d’évaluer ses rendements selon l’« input » et l’« output ». Mais tel ne serait pas le cas de l’école, qu’il compare à la médecine ou à la gériatrie. « L’enseignant doit savoir prendre son temps avec les élèves, être à leur écoute. Ce n’est pas une entreprise dont le succès se mesure au rendement productif. »

Question productivité, on peut se demander quel sera le bilan du ministère. L’impopularité des réformes croît auprès des enseignants. A ce rythme, tout porte à croire qu’à la fin du second mandat de la ministre de l’Education, en 2014, dix années auront été perdues. Et c’est dommage.


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