COSTA-GAVRAS: Un film en retard

La dernière oeuvre de Costa-Gavras, « Le Capital », était attendue avec impatience, tant le sujet est brûlant d’actualité et le réalisateur mythique. Malheureusement, le film s’englue dans des considérations morales et naïves.

Un jeune loup entouré de vieux lions : qui va manger qui dans la jungle de la finance ?

Mille excuses, mais nous allons entamer cet article par une citation de Karl Marx. Allons-y : « Je ne peins pas en rose, loin s’en faut, le personnage du capitaliste et du propriétaire foncier. Mais ces personnes n’interviennent ici que comme personnification de catégories économiques, comme porteurs de rapports de classe et d’intérêts déterminés. Moins que toute autre encore, ma perspective, qui consiste à appréhender le développement de la formation économico-sociale comme un processus historique naturel, ne saurait rendre un individu singulier responsable de rapports et de conditions dont il demeure socialement le produit, quand bien même il parviendrait à s’élever, subjectivement, au-dessus de ceux-ci. » Costa-Gavras n’avait qu’à pas nous provoquer en intitulant son dernier film « Le Capital », d’après l’ouvrage central du fondateur du socialisme scientifique.

Ce personnage, ce « produit social », c’est Marc Tourneuil (Gad Elmaleh), brillant économiste sorti de Polytechnique, qui, après un détour au sein de la haute fonction publique, choisit d’engager sa carrière sur une voie bien plus lucrative, la banque privée. Au début du film, le président de la banque fictive Phénix (présentée comme la plus importante de France), est fortement diminué par un cancer qui ronge ses testicules. Marc, qui est en quelque sorte son bras droit, est alors propulsé à la tête de la banque. Les pontes qui ont mis en oeuvre cette nomination ne voient en lui qu’un homme de paille, jeune et inexpérimenté, qu’ils pourront manipuler à leur guise, en attente d’un nouveau vrai chef issu de leurs rangs. Mais voilà, les jeunes loups étant toujours plus affamés que les vieux lions repus, Marc affirme immédiatement son autorité et liquide les cadres récalcitrants en organisant en interne une révolution culturelle à la Mao. Très vite, il va cependant faire face à la gloutonnerie d’actionnaires américains, qui, par de subtiles manipulations boursières saupoudrées d’appâts sexuels, entendent prendre le contrôle de Phénix. Voilà pour la partie « thriller » politique.

Et c’est probablement cette partie qui sauve le film. Non pas que l’imbroglio soit d’un suspense haletant, mais il est correctement ficelé et, après tout, Costa-Gavras sait toujours tenir une caméra et raconter une histoire. Quant à Gad Elmaleh, dont on connaît les prouesses d’humoriste, ce fut pour lui la première occasion de camper un rôle dramatique, exercice auquel il s’adonne par ailleurs avec élégance. Elégance partagée avec la prestation d’Hippolyte Girardot qui joue le rôle du « good banker », ami et successeur potentiel de Marc, un peu manipulateur, mais, affirme-t-on, trop embarrassé de considérations éthiques.

Par contre, ce sont les considérations économiques et politiques du film qui laissent perplexes. Costa-Gavras serait-il un grand naïf ou en retard de 30 ans ? Nous sommes sévères pour une simple et bonne raison : si le propos était de faire un remake à la française (donc en plus lent) du formidable « Wall Street », Costa-Gavras aurait pu passer son tour. Tout a déjà été dit et bien mieux, sur le milieu de la finance, son cynisme, sa corruption et la débauche sexuelle avec de plantureuses prostituées, dans le film d’Oliver Stone, sorti en… 1987. Parfois, on se demande même si le réalisateur ne l’a pas inconsciemment plagié. Par exemple cette scène où Marc, invité à un déjeuner de famille, se fait prendre à partie par son oncle qui le confronte avec la destruction d’emplois qu’il provoque. Dans « Wall Street », le jeune trader incarné par Charlie Sheen subit des remontrances semblables de la part de son ouvrier de père.

S’y ajoute cette lutte que Costa-Gavras présente comme une contradiction : celle de la bonne vieille finance à l’européenne, cynique mais tout de même bornée par deux ou trois considérations humaines, confrontée à la finance américaine, moderne et rapace. Sauf que ce schéma n’est plus valable depuis des décennies, à supposer qu’il le fût un jour. Finalement, on n’ose presque pas y croire, mais le film fait tout pour nous y pousser : il semble que Costa-Gavras nous serve le mythe des « excès » du capitalisme financier dont la cause serait principalement à chercher du côté de la morale, ou bien plutôt de son absence. Cela aurait pu encore coller il y quinze ou vingt ans, où, à travers des organisations comme Attac, certains, dans une naïveté de bonne foi, commençaient à découvrir les « dérives » du capitalisme. Mais on en revient au titre : « Le Capital ». Si le marxisme est tout sauf une doctrine (mais plutôt une méthode), le principal enseignement de la vaste oeuvre de Karl le communiste était justement de rompre avec une analyse moralisante qui évite de considérer ce que certains appellent « excès », comme des conséquences logiques du système capitaliste. Costa-Gavras est grec. Et vu ce qui se passe actuellement dans son pays d’origine, on aurait pu attendre de lui un peu plus de pertinence. Et peut-être aurait-il pu intituler son film : « La Morale ».

A l’Utopia


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