LULU AU PAYS DE L’OR NOIR: Qatar ou double

Alors que le premier ministre a l’affaire Srel sur les bras, son dauphin est empêtré dans l’affaire Cargolux. Excédé par le modèle social luxembourgeois et l’obsession de la transparence, Luc Frieden demandera-t-il l’asile au Qatar ?

Ils étaient faits l’un pour l’autre, cela ressemblait à un conte des mille et une nuits, et pourtant … Non, nous n’évoquons pas une histoire d’amour entre un prince luxembourgeois et une princesse qatarienne, quoique cela aurait fait un joli happy end. Hélas, la tentative d’établir un partenariat stratégique entre deux petits Etats parmi les plus riches du monde semble avoir échouée, et, comme dans les histoires d’amour qui tournent mal, désormais on lave le linge sale en public et on ressort les petits détails sordides. Mercredi dernier à la Chambre, lors de l’interpellation sur « la nature des relations d’affaires » entre les deux Etats, demandée par le député Serge Urbany (Déi Lénk), le gouvernement a tenté d’expliquer comment on en était arrivé là. Et a dû donner le feu vert à une motion des Verts et du DP demandant un rapport sur les négociations avec les investisseurs qatariens ayant conduit à l’entrée de l’émirat dans le capital de Cargolux.

Rappelons que le conflit entre les intérêts des syndicats et des actionnaires institutionnels luxembourgeois et ceux de Qatar Airways et de la famille royale a conduit à la rupture et au rachat des actions de la compagnie de fret par le grand-duché. Car même si les syndicats ont brandi des arguments relatifs à la nature peu démocratique du régime qatarien, au Luxembourg, les décisions de politique économique se font indépendamment de ce type de considérations, comme l’illustrent les relations florissantes avec des pays douteux. De surcroît, parmi les monarchies du Golfe, le Qatar est celui qui mise le plus sur le soft power et cherche à éviter les violations des droits humains les plus voyantes … sauf dans les cas d’« outrage à émir » (woxx 1192).

Selon la version gouvernementale, disons plutôt la version de Luc Frieden, ministre des Finances et dauphin de Jean-Claude Juncker, tout se serait déroulé normalement. L’entrée du Qatar chez Cargolux aurait été arrangée par Frieden – qui n’avait aucun mandat de négociation – sans que cela soit lié aux négociations sur la reprise des banques BIL et KBL, pour lesquelles le ministre était effectivement en charge. Frieden assure qu’il n’a fait que poursuivre des négociations déjà entamées, et estime qu’il a agi dans l’intérêt du pays. Sans aller jusqu’à défendre les positions des Qatariens lors du conflit au sein de Cargolux, le ministre continue à plaider pour un certain réalisme : en matière de flexibilité des conditions de travail et de salaire, le Luxembourg aurait le choix entre se plier aux exigences d’une économie mondialisée et se replier sur lui-même.

Les critiques du ministre se fondent sur les analyses et révélations de journalistes comme Jean-Claude Franck de la radio socio-culturelle, qui publie dans « forum », ou Véronique Poujol du « Lëtzebuerger Land ». Ainsi, Frieden aurait fait cavalier seul, en imposant le partenaire qatarien aux autres acteurs luxembourgeois et – de manière explicite ou implicite – en faisant un lien avec les négociations pour la reprise des banques. Et en acceptant, voire en appuyant les exigences qatariennes en matière de restructuration de la compagnie de fret luxembourgeoise, le ministre des finances aurait en quelque sorte trahi le modèle luxembourgeois.

Le rapport que devra publier le gouvernement montrera sans doute que l’initiative de Luc Frieden était mal conçue et qu’il avait mal évalué les complications qui en découleraient. Quant à la bonne foi du ministre, elle sera peut-être rétablie après le « remariage » prochain de Cargolux. En effet, le gouvernement exclut de garder le contrôle intégral de la compagnie, et, comme a prévenu Frieden, un nouveau partenaire aura de nouvelles exigences. Hélas, la mondialisation libérale n’est pas un conte de fées.


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