MINEURS EN PRISON: En prison, comme les grands

L’incarcération au Centre pénitentiaire d’une fillette de douze ans a au moins un mérite: celui de relancer le débat autour de l’archaïsme carcéral en matière de mineur-e-s.

Une „mesure de protection“ pour mineur-e-s à la luxembourgeoise: la cellule de prison.

Le Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig (CPL) est une source intarissable en matière de scandales. Qu’il s’agisse d’un incendie ou d’un mafieux fugitif, cette prison surpeuplée fournit régulièrement des histoires relayées par la presse et intensément débattues dans chaque bistrot du coin. Pour les fêtes de Pâques, la problématique de l’enfermement de mineur-e-s a été ressuscitée. C’est l’asbl Info-Prisons qui a cette fois-ci troublé la quiétude de ce début de printemps: les autorités luxembourgeoises auraient incarcéré une fillette de douze ans au CPL.

L’information plutôt fragmentaire recueillie par Info-Prisons se prêtait évidemment à la rédaction d’une question parlementaire urgente du député vert Felix Braz, adressée au ministre de la justice Luc Frieden. Le gouvernement peut-il confirmer l’information? N’y avait-il pas de solution plus adaptée? Avant même que Frieden ne réponde, la police grand-ducale sort un communiqué de presse avec quelques „précisions“. Le juge de la jeunesse aurait en effet placé deux jeunes filles – recherchées par les polices belges et allemandes – en prison. Elles seraient impliquées dans une „série de cambriolages“ et feraient partie d’une „structure criminelle, dont les organes dirigeants se trouvent à l’étranger“. Comme d’habitude, la police souligne l’appartenance ethnique des délinquants: ces filles ont aussi le tort d’appartenir aux „gens du voyage“, catégorie de personnes indésirables aux yeux des lois de ce pays.

Pourtant, l’incertitude plane au-dessus de l’identité des deux jeunes filles. Cela vaut tout particulièrement pour la cadette. Apparemment sans papiers et refusant de décliner son identité, les autorités judiciaires ont mis en doute l’âge qu’elle a prétendu avoir lors de son arrestation. „On peut voir à cent mètres qu’elle a bien plus que douze ans“, confie au woxx un membre de la justice pour enfants. Des examens radios de la taille de la mâchoire et de ses hanches auraient d’ailleurs confirmé que la fillette se serait rajeunie dans l’espoir de voir sa peine allégée. Il reste que si la fillette est peut-être une „jeune fille“, l’emprisonnement à Schrassig de mineurs très jeunes n’est pas une fiction. Selon Jeannot Schmitz, président d’Info-Prisons, cela aurait été le cas en 1996 avec un garçon âgé de onze ans.

Pas si rare que ça

L’incarcération d’un mineur dans un établissement pénitentiaire est toutefois conforme à la législation luxembourgeoise. La nuance par rapport aux adultes se situe au niveau juridictionnel, les mineurs étant déférés devant le juge pour enfants, qui décide de la mesure adéquate. Nuance supplémentaire: la peine infligée à un-e mineur-e n’est pas interprétée comme une „punition“. Comme l’explique le juge pour enfants Alain Thorn, la justice considère les mineurs en délinquance, à l’instar par exemple des cas psychiatriques, comme des personnes dépourvues de leurs „facultés de discernement“. La sanction prononcée à leur égard serait ainsi à considérer comme une „mesure de protection“.

Les mesures prononcées par le juge des enfants sont régies par la loi sur la protection de la jeunesse de 1992, mais celle-ci lui laisse une marge appréciable. L’article 6 de la loi est en effet assez élastique: „Si une mesure de placement dans un établissement ordinaire de garde, d’éducation ou de préservation est inadéquate en raison de la mauvaise conduite ou du comportement dangereux du mineur, le tribunal ordonne son internement dans un établissement disciplinaire de l’Etat“.

Qui plus est, le choix de placement est beaucoup plus restreint pour les filles mineures. Si les mineurs de sexe masculin peuvent être placés au centre socio-éducatif de Dreiborn, dans la commune de Wormeldange, les filles, en raison du caractère non-mixte de l’établissement, ne peuvent y accéder. Par ailleurs, si les garçons mineurs sont en principe séparés des adultes au CPL, ce n’est pas le cas des filles qui y cohabitent avec leurs aî nées. Ceci serait dû, paraî t-il, au plus faible peuplement de la section féminine de la prison.

Politique de l’escargot

Il n’empêche. Si la mesure d’enfermement de mineurs dans un établissement pénitentiaire n’est pas contraire à la loi, elle est régulièrement montrée du doigt par différents organismes. Ainsi, le rapport annuel de 2006 de l’Ombuds-Comité fir d’Rechter vum Kand (ORK) rappelle que „l’urgence de trouver une solution au problème est soulignée depuis 1992“. Car le surpeuplement du CPL, intervenu surtout depuis l’accession de Luc Frieden au ministère de la justice, pose de réels problèmes. Dans son rapport, l’ORK n’y va d’ailleurs pas de main morte: „En attendant, le scandale des jeunes placés dans une prison continue et s’est même empiré: en raison de la surpopulation du Centre pénitentiaire, les jeunes ne sont plus matériellement séparés des adultes. Aurait-on voulu créer une école pour le crime, on ne s’y serait pas pris autrement!

D’où la revendication, relayée depuis 1997 par le Comité pour la prévention de la torture, de construire une unité de sécurité. Après des années de conflits et de désaccords entre l’Etat et la commune de Wormeldange qui accueillera ce centre, un accord définitif a pu être trouvé en mars 2007. Dans une réponse au député libéral Carlo Wagner, le ministre des travaux publics Claude Wiseler confirme ainsi que „les délais de construction peuvent être estimés à 24 mois“.

Toutefois, Jeannot Schmitz s’interroge au sujet de la mixité de cette unité. Car si, à l’instar du centre socio-éducatif, elle reste réservée aux seuls garçons, le problème de l’enfermement des filles à Schrassig ne sera pas résolu. Jusqu’à ce jour, même le ministère des travaux publics n’a pas été en mesure de répondre à cette question. Interrogée par le woxx, la direction de „Dreiborn“ est pourtant étonnamment claire: l’unité de sécurité sera évidemment mixte. Il semble toutefois que cette décision vienne d’être prise tout récemment, car même un des principaux intéressés et responsables, à savoir Ernest Demuth, bourgmestre de la commune de Wormeldange, n’en était pas encore informé! A croire que l’affaire de la fillette de douze ans y serait pour quelque chose. Honni soit qui mal y pense.

David Wagner


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