POLITIQUE CULTURELLE: Miser sur les plus-values

Nommé récemment à la tête du Fonds culturel national (Focuna), Jo Kox, le directeur administratif du Casino – Forum d’art contemporain, veut adapter les besoins du Fonds aux défis du futur.

Rendre les subventions plus durables, c’est une des prérogatives de Jo Kox, à la tête de la Focuna, directeur administratif du Casino – Forum d’art contemporain et coordinateur des « Stater Museen ».

woxx : Quel est le rôle du Focuna à côté des autres institutions qui donnent des subventions aux artistes ?

Jo Kox : Le Focuna est un organe indispensable à la survie d’une multitude d’organisateurs, d’orchestres, de groupes de théâtre et d’artistes individuels. Le Fonds est exclusivement alimenté par l’ONS – l’Oeuvre nationale de secours grande-duchesse Charlotte – qui gère la Loterie nationale. Ils décident chaque année de la dotation du Focuna, en plus de ce qu’ils donnent aux oeuvres caritatives ou sportives. La somme que nous recevons annuellement est de 600.000 euros. Elle est gérée par le comité directeur qui n’est heureusement composé que de trois personnes. Dans cette perspective nous sommes relativement flexibles, peu bureaucratiques et rapides. Ainsi, nous pouvons rapidement débloquer des sommes pour des projets. C’est un de nos grands avantages, car en ce moment il n’y a pas de vrais critères qui détermineraient qui a droit à quoi. Et la clientèle est pourtant à 80 pour cent la même qui fait la manche auprès du ministère de la Culture et des autres institutions.

C’est donc une source d’argent complémentaire au ministère de la Culture. Est-ce aussi parce que les sommes sont moins importantes ?

Absolument. Même si en général, les sommes octroyées par le ministère de la Culture sont supérieures à ce que nous donnons. Mais le cas contraire peut aussi arriver. Et il y a des structures, qui, sans l’apport de la Focuna, devraient mettre la clé sous le paillasson, comme récemment les Jeunesses musicales, car on représente tout de même 20 à 30 pour cent de leur budget annuel.

Quel est le suivi des projets ?

A chaque subvention qu’on donne, on clarifie dans la lettre qui l’accompagne qu’on a besoin d’une preuve que la manifestation ait eu lieu. Voire pour les éditeurs de nous envoyer des exemplaires des livres – la même chose vaut pour les musiciens qui doivent nous envoyer leurs disques. En plus, nous exigeons des rapports d’activité et des coupures de presse. Nous le faisons automatiquement. Mais le grand avantage du Focuna, c’est que nous donnons l’argent en amont du projet pour que les artistes aient déjà les fonds nécessaires avant de commencer le travail. Car le mode opératoire du ministère de la Culture, et c’est le cas partout à l’étranger aussi, c’est que les artistes ne reçoivent l’argent qu’une fois le projet achevé. Et c’est ce qui restera, même après la restructuration et la réorientation du Focuna, car c’est notre plus grand avantage. Mais il faut aussi accepter l’échec de l’un ou l’autre projet, ce qui est le risque du métier.

Qu’est-ce qui arrive dans le cas de l’échec d’un projet déjà financé à l’avance ?

Dans ce cas, l’artiste ou l’organisateur est bien sûr prié de rendre l’argent.

Des moyens de répression existent-ils?

Cela dépend de la bonne volonté et de l’honnêteté de la personne. Si nous apprenons qu’un projet n’a pas eu lieu et qu’il ne nous rend pas l’argent en toute conscience, il est forcément mis sur une liste noire. Mais c’est extrêmement rare, vu que 80 pour cent de notre clientèle est composée des `usual suspects‘ et nous savons exactement que Jail ou le festival de Marnach mettent sur pied des manifestations régulières et que de toute façon l’argent sera utilisé. Dans d’autres cas de productions plus sporadiques, cela peut être le cas. Mais si de telles fautes devaient néanmoins être commises, ce serait dû en grande partie à un manque de personnel, vu qu’une seule personne est chargée de faire – entre autres tâches – le suivi.

Avec la réorientation promise, comment le Focuna veut-il rendre possible une gestion culturelle durable ?

Ce que nous devons faire, c’est trouver un accord avec le ministère sur ce qui est la mission principale du Focuna. Et là, le syndrome luxembourgeois frappe à nouveau, c’est-à-dire celui des réformes structurelles lacunaires. En ce moment, nous appuyons des maisons d’édition, des organisateurs de festivals et des associations diverses indépendamment de leur programme. Donc, nous leur donnons des subventions substantielles, ce qui n’est pas la mission du Focuna. Et nous voulons, à partir de 2014, nous orienter vers des subventions uniquement liées à des projets. Et là, le problème se pose au niveau des subventions récurrentes liées à des manifestations annuelles. A partir de ce moment, nous choisirons des projets dans leur programmation selon certains critères que nous sommes en train de définir en coulisses. Même si cela implique aussi un revers de la médaille : en établissant trop de critères, on élimine plus de monde et on devient plus bureaucratique. De plus, on doit déterminer si ce n’est pas contre-productif par rapport à ce qui s’est passé les années précédentes. La question sera de trouver le bon équilibre. C’est un projet de longue haleine. Je viens de commencer par la littérature, car j’estime qu’elle n’est pas soutenue comme elle le mériterait.

Surtout par rapport à la musique?

La musique est entre de bonnes mains avec beaucoup d’institutions nationales et communales. Donc, en premier lieu nous visons les éditeurs. Beaucoup de questions se posent dans ce domaine : combien de projets pourrons-nous soutenir par année ? Faut-il imposer des limites ? Qu’en est-il de la représentation d’auteurs luxembourgeois à l’étranger ? Ferons-nous la distinction entre auteurs professionnels et semi-professionnels ? Si je regarde la situation actuelle, je peux compter sur les doigts d’une seule main les auteurs qui ne vivent que de leur plume. Il faudra donc appliquer d’autres barèmes.

Une telle mesure ne risque-t-elle pas de stopper net un auteur en cours de professionnalisation ?

C’est plutôt le contraire. Car où travaillent ces auteurs généralement ? Ce sont souvent des fonctionnaires d’Etat, des enseignants. C’est pourquoi nous misons plutôt sur les plus-values. Un autre problème c’est les auteurs qui éditent eux-mêmes leurs livres. Comment les rendre plus connus ? Et puis, la grande question est de déterminer la qualité d’un manuscrit. C’est surtout le cas pour les jeunes auteurs. Nous n’avons pas de comité de lecture, pour l’instant du moins. C’est toujours difficile de sélectionner et de refuser des gens. Surtout au vu du syndrome de l’artiste national luxembourgeois. Celui-ci a une reconnaissance automatique qui le pare contre les autres critères de sélection.

C’est-à-dire que le Focuna va aussi s’en prendre à la « sainteté automatique » de l’artiste luxembourgeois ?

Evidemment. Il s’agit de se réorienter complètement et de proposer trois types d’aide : une aide directe, une aide à la diffusion et à la promotion et à l’exportation, qui est la même chose pour moi que l’importation. Si on prend l’exemple de la musique et de music : LX, 80 pour cent de leur activité est occupée par le booking. Mais un groupe de théâtre, un auteur ou un artiste plasticien ne peuvent pas être bookés comme un groupe de rock. C’est pourquoi nous proposerons par exemple à l’auteur untel : tiens, on te sponsorise le voyage et l’hôtel pour que tu ailles faire une lecture à Metz. Et quand tu es professionnel, tu recevras plus qu’un semi-professionnel. De plus, on invitera des auteurs, des éditeurs et des programmateurs au Luxembourg pour montrer la production locale – sur le modèle des Sonic Visions à la Rockhal. C’est le seul moyen de promouvoir les artistes luxembourgeois de façon durable à l’étranger. Cela pourrait commencer par exemple lors du premier « Literaturfest » organisé ce printemps par le Centre national de la littérature de Mersch. Pourtant, ces opérations devront être bien ciblées et bien encadrées.

Cela risque de produire des râleurs.

Bien sûr qu’il y aura des mécontents, mais pour moi ce n’est pas la question de donner plus à l’un et moins à l’autre, mais de faire en sorte à ce que les artistes en profitent.

Le contact avec le ministère de la Culture se passe bien. Mais qu’en est-il avec l’Education, qui, selon les souhaits du gouvernement, devrait pourtant coopérer plus avec la Culture ?

Nous sommes, non seulement avec le Focuna, mais aussi avec le Casino, au point mort. Prenez l’exemple de « Making Of », notre exposition récente, où de jeunes artistes créaient in situ leur expo : pas une seule classe de la section E n’a demandé de visite ! Je crois que le problème n’est pourtant pas à chercher du côté de la Culture, mais plutôt de l’Education, qui a simplement d’autres priorités. Même si nous avons un très bon partenaire au ministère de l’Education, Jean-Marie Kieffer qui fait le lien et passe le mot, mais si les enseignants ne réagissent pas, il ne peut pas les forcer.


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