« DROGUE DU VIOLEUR »: Crimes presque parfaits

C’est, la plupart du temps, le crime parfait : la victime ne se rappelle rien, se sent humiliée et ne peut souvent même pas prouver qu’elle a été mise sous influence. Le GHB est devenu un outil non seulement pour violeurs, mais est aussi utilisé pour des vols.

Le danger est au fond du verre.

Quand on entend, ou lit, les histoires de victimes du GHB (acide 4-hydroxybutanoïque), communément appelée aussi la « drogue du violeur », une question revient toujours : mais qu’est-ce qui se passe dans la tête de ces gens, qui utilisent une substance chimique, dangereuse de surcroît, juste pour arriver à leurs fins ? Une attaque au GHB peut aussi avoir des conséquences graves, voire létales sur ses victimes, car la réaction dépend fortement des dimensions corporelles de la victime et aussi de sa tolérance aux psychotropes. Et vu que les criminels qui utilisent cette méthode ne sont en général pas des médecins qui savent ce qu’ils font, une erreur fatale n’est pas à exclure.

Le schéma d’une attaque au GHB est toujours le même : elle a lieu dans des environnements festifs, discothèques, concerts, cafés – en bref, des lieux où la consommation d’alcool – et le verre de trop – est communément admise. Des endroits où personne ne s’étonnera de voir une personne désinhibée, désorientée voire proche du coma éthylique. En effet, comment savoir si une personne a été droguée au GHB ? Une ou deux gouttes mises dans un verre, dans une bouteille ou même dissimulées dans un plat suffisent amplement pour atteindre les effets voulus. Et vu que le GHB est inodore, incolore et insipide, on ne peut pas le remarquer au goût. En général, les effets se font ressentir dix à vingt minutes après l’ingestion. Cela peut se manifester d’abord par des accès d’euphorie, par une envie surpuissante de communiquer – des symptômes que l’environnement peut attribuer à l’ingestion d’alcool, voire d’autres drogues comme l’ecstasy, les amphétamines ou la cocaïne, qui produisent des effets similaires.

Pourtant, ces accès euphoriques sont souvent la dernière chose dont se souviennent les victimes. Après, leur mémoire est totalement effacée. Les personnes que le woxx a pu contacter le répétent toutes : cette perte de mémoire n’a absolument rien à voir avec les fameux « trous » de mémoire, qu’on a après avoir trop bu. Dans le cas d’une perte de mémoire due à une overdose d’alcool, il y a toujours des choses qui restent, des impressions – et généralement, lorsqu’une autre personne raconte le lendemain ce qui s’est vraiment passé, la mémoire se reconstruit petit à petit. Alors que dans le cas du GHB, c’est le trou noir absolu.

Inodore, incolore et insipide

Et c’est dans ce trou que les malfrats opèrent. Et leurs victimes ne sont pas toujours féminines, comme le veut le cliché. Selon Marc (nom changé), ça s’est passé comme cela : « Je me rappelle avoir dîné dans un restaurant avec des amis, et après on est allés dans un club dans la rue de Hollerich. C’est là où on doit avoir mis le GHB dans mon verre. J’ai seulement un souvenir partiel de ma présence dans ce club. » Après, pour Marc, c’est le trou noir. Cinq heures en tout de sa vie qui sont parties en fumée. « Pourtant, je ne suis pas un grand buveur et je sais que je n’avais pas bu excessivement ce soir-là non plus. J’étais légèrement bourré et puis c’est tout », insiste-t-il.

Ce n’est que le lendemain que Marc a réalisé que quelque chose clochait. Alors qu’il était sûr d’avoir encore une certaine somme, assez importante, dans son portefeuille, et qu’il n’avait bu que quelques bières, l’argent avait disparu. « Et puis les symptômes n’avaient rien à voir avec une gueule de bois normale », raconte-t-il. « J’étais entre dépression et accès de panique – un état qui a perduré pendant plus d’une semaine. Il m’a fallu plusieurs heures pour que je réalise que probablement j’avais été drogué et volé. » Il a appelé toutes les personnes qui étaient avec lui pendant cette soirée pour voir si elles aussi avaient des symptômes similaires – certaines oui, d’autres semblaient avoir été épargnées.

Marc a ensuite voulu porter plainte contre X à la police : « Mais on m’a dit que sans une analyse de sang, qui prouverait que j’avais été mis sous influence, on ne pourrait pas donner suite à ma plainte. Or, je savais que le GHB se dissout dans le sang après quelques heures, qu’il n’est plus détectable et qu’une analyse serait donc du temps perdu. Du coup, j’ai laissé tomber. Je ne veux pas dire que le policier n’a pas été aimable avec moi, mais je sentais qu’il ne s’intéressait pas vraiment à mon problème non plus. Malheureusement, j’étais toujours un peu groggy et je n’avais pas envie de me disputer. »

C’est l’autre atout, qui rend ces crimes presque parfaits : le GHB une fois absorbé, il n’est détectable que pendant quelques heures. C’est pourquoi des analyses de sang n’apportent rien dans la grande majorité des cas. Pourtant, la substance reste détectable pendant beaucoup plus longtemps dans les cheveux, même pendant des années. Mais ces analyses sont fort coûteuses et ne sont employées généralement que dans le cas où un criminel suspecté d’avoir utilisé ces méthodes est pincé.

Non détectable

Cela a été le cas récemment en Belgique avec l’arrestation de Dady N. – un violeur en série, qui a pendant longtemps nargué les services de police, tellement il était sûr de son coup. Mathilde (nom changé), une étudiante luxembourgeoise qui compte parmi ses victimes et qui assiste en ce moment à son procès, raconte que Dady N. approchait toutes ses victimes de la même façon : « Il s’approchait dans la rue, racontait que c’était son anniversaire, mais que ses amis étaient déjà partis, et demandait si on ne voulait pas prendre un verre avec lui. Et puis il baratinait pendant des heures, sans jamais flirter pour éviter tout soupçon. Il se donnait des airs très cultivés. » A un certain moment, il constate que son dernier train est parti et demande de passer la nuit chez la fille, sur son canapé. Si elle accepte, c’est l’erreur fatale : « Une fois arrivé chez moi, il m’a proposé de boire une dernière bière. Après quelques gorgées, je me suis sentie très mal et je me suis couchée. » Au réveil, ses comptes en banque étaient plumés, tout ce qui avait de la valeur dans son appartement manquait. Pire encore, à côté du lit elle retrouve un emballage de préservatif vide. C’est le comble de l’humiliation et la raison pour laquelle la justice belge croit qu’il doit avoir fait plus de victimes que les sept pour lesquelles il est en ce moment poursuivi. Une ligne téléphonique a été mise à disposition pour d’éventuelles autres victimes.

Pourtant, même s’il se retrouve sur le banc des accusés, il n’est pas sûr qu’il soit effectivement puni pour les viols et l’utilisation du GHB. Dady N. admet les vols et les vidages de comptes en banque – mais nie en bloc le reste. Le problème reste la charge de la preuve : si la justice ne peut pas prouver l’utilisation du GHB, elle ne peut pas le condamner pour cela. C’est pourquoi les criminels qui l’utilisent peuvent se sentir en sécurité.

Surtout que la drogue est assez facile à se procurer : le GHB est utilisé médicalement contre la narcolepsie. Il peut facilement être commandé par Internet, mais peut aussi être fabriqué artisanalement à partir d’un composant qu’on trouve dans les détergents et dans les vernis. Même s’il existe des campagnes pour interdire ce composant – que l’on ne nommera pas ici – celles-ci n’ont pas abouti.


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