UNION EUROPEENNE: Comme si de rien était …

La semaine prochaine, les dirigeants européens se réuniront pour réanimer le traité constitutionnel. Deux ans après l’échec en France et aux Pays-Bas, ils font mine d’en ignorer les véritables causes.

„Ce qui est en train d’être discuté n’a rien à voir avec les raisons des rejets français et hollandais. Les soucis des gens étaient liés à l’impact matériel du traité sur leurs vies et non à la Charte des droits fondamentaux“. Au moins, le député vert Felix Braz a eu le mérite, lors du débat d’orientation portant sur le Conseil européen (les 21 et 22 juin) qui fixera le mandat pour la Conférence intergouvernementale, de recentrer la discussion sur des questions fondamentales au sujet du traité constitutionnel. A l’approche de ce Conseil, les prises de position se sont multipliées cette semaine. A l’exception de l’ADR, les autres partis représentés à la Chambre (CSV, LSAP, DP, Verts), ont fait preuve d’une totale unanimité de principe sur la question. Ce consensus des raisonnables rappelait étrangement celui qui précédait le référendum où le oui l’avait emporté de justesse.

L’Union européenne est en crise, cela ne fait aucun doute. Et pourtant, tout avait si bien commencé. Avant qu’il n’entre dans le débat public, le projet de traité constitutionnel européen n’avait pas trop d’adversaires. Le principe même d’une constitution était accepté, même à la gauche des socialistes. Nombre de citoyens avaient conscience que l’UE devait se doter d’instruments institutionnels plus clairs et démocratiques. Mais voilà, les familles politiques traditionnelles qui dirigent l’Union depuis sa création n’avaient pas pris en compte que si les citoyens voulaient bien d’une Europe plus politique, ils n’adhéraient pas forcément aux politiques menées par cette entité supranationale. En intégrant dans ce traité indigeste, notamment dans sa troisième partie, les logiques économiques et sociales de l’Union – sur lesquelles les citoyens n’ont quasiment jamais été consultés – les insatisfactions accumulées au cours des dernières décennies leur sont retournées tel un boomerang en pleine figure. Désormais, celles et ceux qui sont à l’origine de la débâcle doivent réparer les pots cassés.

Joseph Daul, membre de l’UMP de Sarkozy et fraî chement élu à la tête du groupe parlementaire du Parti populaire européen (PPE) – difficilement d’ailleurs, en raison de ses démêlés avec la justice française – a souligné, ce lundi en visite au Luxembourg, qu’il ne fallait pas oublier que seuls deux pays (la France et les Pays-Bas) ont refusé de ratifier le traité, alors que 18 l’ont fait, les autres ayant préféré ne pas se prononcer. C’est le credo en vogue: à la tribune de la Chambre, le député CSV Laurent Mosar semblait visiblement agacé en constatant que „le fait que les deux tiers aient dit oui ne semble plus jouer de rôle“.

Cet argument a la vie dure, mais frôle la malhonnêteté intellectuelle. Sur les 20 pays ratifiant, seuls quatre se sont prononcés par référendum. Sur ces quatre, seuls deux l’ont approuvé (le Luxembourg et l’Espagne) alors que la France et les Pays-Bas l’ont rejeté. Autres bémols: le oui espagnol est le fruit d’une campagne qui s’est illustrée par son iniquité, réservant quasiment la totalité du temps paroles aux soutiens du oui. Quant au Luxembourg, le faible score d’à peine 56 % a donné des sueurs froides au gouvernement. Si l’ensemble des Etats membres avaient organisé des référendums à la suite de débats équitables, gageons qu’il aurait fallu revoir le nombre des 18 ouistes à la baisse. Après tout, une ratification parlementaire en France aurait aussi donné le oui gagnant.

Argumentation bancale

L’ironie de l’histoire veut que les non français et hollandais étaient surtout dus aux dispositions de la troisième partie, alors que désormais les âpres négociations avec la Pologne ou la Grande-Bretagne, entre autres, portent sur des questions institutionnelles et symboliques. D’ailleurs, Laurent Mosar ne s’y est pas trompé en rappelant qu’au Luxembourg „les débats portaient sur les dispositions matérielles du traité et très peu sur les questions institutionnelles“ et en admettant que les non étaient motivés par la troisième partie „à cause d’une orientation politique qualifiée de libérale“.

Mais le parlement européen ne semble, dans sa majorité, pas encore doté de la même lucidité. Le rapport des députés européens Baron Crespo (PSE) et Elmar Brok (PPE) explique à sa manière tout à fait particulière les non français et néerlandais: „une large part des réserves exprimées étaient liées au contexte, plutôt qu’au contenu, et (…) les questions qui préoccupaient le plus la population (…) ont été résolues entre-temps“. „C’est ce qui s’appelle se rassurer à bon compte!“, jugea Francis Wurtz, président du groupe de la Gauche unitaire européenne / Nordic green left (GUE/NGL), lors de la séance plénière à Bruxelles le 6 juin.

Ainsi, il semble que certain-e-s dirigeant-e-s politiques n’aient toujours pas mesuré à leur juste valeur les refus populaires. A l’image de Joseph Daul, qui veut „vendre plus d’Europe“ en incluant davantage les élus nationaux dans le mécanisme décisionnel européen. Même Charles Goerens, président de la fraction DP au parlement, et connu pour incarner la fibre libérale-sociale, pose la question, lors de la conférence de presse de son parti, d’une „politique de communication intelligente“. Dans la même logique, il a souligné au parlement ce mercredi qu’un sondage donnait désormais le traité constitutionnel gagnant aux Pays-Bas, ce qui l’a poussé à conclure, devant les hochements de tête approbateurs du ministre délégué aux affaires européennes, que le camp du oui comptait désormais 19 Etats. Tout est bien qui finit bien, donc! Ce n’était qu’un gros malentendu …

Aussi Goerens plaide-t-il pour un laps de temps aussi étroit que possible lors du processus de ratification – deux semaines au maximum -, proposition partagée par la majorité de la Chambre. Hormis le fait que le nouveau traité, qui n’aura plus le qualificatif de „constitution“, doit entrer en vigueur au plus tard pour les élections européennes de 2009, il s’agit pour Goerens d’éviter le „développement d’une contre-dynamique et d’une contagion“, comme se fut le cas en 2005. Rien n’exclut en effet que de nouveaux référendums soient tenus, comme en Irlande, qui y est contrainte en vertu de sa constitution.

Les dirigeant-e-s européen-ne-s ont donc décidé que les questions sociales et l’orientation libérale de l’Union ne sont plus en cause. Ce qui les mène à pinailler sur le drapeau frappé des douze étoiles, sur l’hymne à la joie, sur la manière d’intégrer la Charte des droits fondamentaux ou la pondération des voix de la Pologne. „Le non de gauche n’est plus là, il ne reste plus que le rejet de droite“, a constaté à la Chambre Felix Braz. C’est un constat amer: la gauche du non est dans le contexte actuel inaudible ou fortement affaiblie – voir le champs de ruines en France. Ce qui laisse les mains libres au gouvernant-e-s qui peuvent se chamailler en toute tranquillité sur des problématiques secondaires.


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