ARCELORMITTAL: The same procedure?

La baisse des chiffres de l’acier continue, tout comme les fermetures d’usines et les licenciements de masse. Pourtant, Arcelormittal continue à verser des dividendes et même à essayer d’engloutir des concurrents. Ce qui apparaît comme un paradoxe est en fait une méthode rodée.

Industrie sidérurgique abandonnée en Pennsylvanie – le futur pour la Grande Région ?

2.855 millions d’euros de pertes opérationnelles en 2012, dans le segment Plats carbone en Europe, dont 2.221 millions d’euros au dernier trimestre. Ce sont des sommes tellement énormes qu’on a du mal à les saisir – du moins si on appartient au commun des mortels. En tout, Arcelormittal aura fait 3,7 milliards de pertes en 2012, contre un bénéfice de 2,26 milliards en 2011. Pourtant, cela ne l’a pas empêché de verser 1,2 milliards d’euros en dividendes à ses actionnaires – donc majoritairement à la famille Mittal elle-même – en mai 2012, alors que déjà à l’époque les pronostics étaient mauvais, voire fatalistes, et que devant les portes de l’assemblée générale où furent décidés ces beaux cadeaux des métallos lorrains protestaient. Encore moins que cela n’a pas contrecarré les projets de recapitalisation de l’actionnariat d’Arcelormittal.

Ajoutons-y que le géant de l’acier est toujours chouchouté par les gouvernements en place en matière de fiscalité : pas d’impôts payés en Belgique en 2010, le crédit d’impôt du gouvernement socialiste français rapportera quelque 30 millions d’euros par an qui pourraient servir à couvrir les « promesses » d’investissement à Florange? Et au Luxembourg, il profite de l’optimisation fiscale locale et l’Etat prend toujours en charge les cellules de reclassement et les préretraites sans vraie contrepartie – excepté les promesses de Mittal, qui n’engagent vraiment que ceux qui veulent bien y croire encore : même le chef de l’Etat s’était offensé du manque de fair-play d’Arcelormittal concernant les terrains d’usines abandonnées. Tout n’est donc pas bien rose.

Toujours le même schéma

D’un côté, un dialogue social expéditif, avec dénonciation unilatérale des conventions collectives, fermetures par à-coups sans informer ni les syndicats, ni les gouvernements, – une mort lente et préprogrammée de la sidérurgie locale. De l’autre, un chef d’entreprise qui semble déconnecté de la réalité verse quelques larmes de crocodile sur ses pertes et les usines qu’il doit fermer. Pour autant, il ne songe pas à réinvestir dans ce qu’il a déjà acquis pour faire fonctionner sa branche européenne. Tout au contraire : la fièvre expansionniste n’a toujours pas lâché Lakshmi Mittal. Comme la « Frankfurter Allgemeine » et le « Wall Street Journal » l’ont révélé vers la mi-janvier, Arcelormittal serait prêt à payer 1,5 milliard de dollars pour une usine Thyssen Krupp en Alabama.

Certes, cette usine serait un investissement stratégique pour le groupe, déjà bien implanté au Nord des States, comme dans le Michigan par exemple, où il est – et était bien avant la reprise d’Arcelor en 2006 – un des principaux producteurs pour l’industrie automobile. Et vu le sauvetage par l’administration Obama de celle-ci il y a quelques années et la reprise conséquente de cette industrie, cela pourrait être une bonne affaire. D’ailleurs pas uniquement pour Arcelormittal, mais aussi pour le constructeur italien Fiat, qui vient de communiquer qu’il rachètera la totalité de Chrysler au plus tard en 2014. Pourtant, avec la fermeture définitive de la phase à froid de Liège, qui implique la liquidation de 1.300 emplois, l’abandon du projet « Ulcos » à Florange, pourtant généreusement cofinancé par l’Union européenne et les perspectives maigres pour l’acier en Europe, cela laisse un doute sur la stratégie industrielle d’Arcelormittal. Le géant de l’acier semble mettre un frein à sa stratégie d’intégration verticale – qui va vers une autosuffisance totale en contrôlant toute la chaîne de la mine d’acier jusqu’à la logistique pour le produit fini -, ce qui est un signe qu’il comprend la gravité de la crise.

Mais d’un autre côté, le mode opératoire est toujours le même. Là où une industrie sidérurgique locale est en crise, Arcelormittal arrive et rachète. D’abord, il s’agit de s’assurer la bienveillance des gouvernements et responsables locaux, ce qui, monnayant des promesses de reprise et de stabilité économique, est un exercice assez facile. Puis vient une phase d’exploitation massive des usines fraîchement achetées. Les hauts-fourneaux, laminoirs et tréfileries tournent jour et nuit, l’illusion d’une vraie reprise est parfaite. Mais assez vite, la situation se dégrade. Par exemple, les investissements nécessaires au maintien des équipements complexes et sensibles ne sont plus garantis. Ou, soudainement, une filière devient non rentable. C’est là que la descente commence, toujours selon la même chorégraphie : d’abord, Arcelormittal ferme les hauts-fourneaux parce qu’ils ne seraient plus rentables du tout.

Réactions chaudes et froides

En même temps, la firme promet des investissements faramineux pour « sauver » les filières dites « froides », du finissage de l’acier et de la logistique. Puis on attend que la situation se dégrade davantage, on provoque aussi les syndicats jusqu’à ce qu’ils claquent la porte, pour pouvoir dire que de toute façon le dialogue social ne fonctionne pas. Et puis, comme à Liège, vu que ces bornés de syndicalistes ne veulent rien savoir, on ferme aussi les filières « froides » restantes. Pendant tout ce temps, Arcelormittal a engrangé des subventions étatiques, payé un minimum d’impôts et a investi dans le prochain pays où le même scénario est prêt à être rejoué.

Et cette « stratégie » industrielle n’est plus vraiment un secret. Elle a même déjà été romancée par l’écrivain liégeois Nicolas Ancion dans son roman « L’homme qui valait 35 milliards », où des jeunes vauriens kidnappent Lakshmi Mittal pour lui dire leurs quatre vérités. Et sur ce point ,les réactions gouvernementales peuvent étonner. Tandis qu’en France, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, n’hésite pas à qualifier les méthodes d’Arcelormittal de chantage et qu’il n’est plus vraiment disposé à négocier avec le géant sidérurgique, en Belgique aussi l’heure est à la révolte, comme le témoignent les manifestations violentes qui ont eu lieu à Namur et mercredi aussi à Strasbourg devant le Parlement européen. Et au Luxembourg ? Les yeux du président de l’OGBL, Jean-Claude Reding, pétillaient légèrement lorsqu’il évoquait la venue prochaine d’une manifestation de l’alliance syndicale « Industri’All » – qui regroupe les syndicats métallurgistes lorrains, belges et luxembourgeois – vers la fin du mois. Pour une fois, les camarades belges ou français peuvent compter sur la solidarité active des Luxembourgeois sur le terrain. Surtout que la situation luxembourgeoise n’est pas au beau fixe non plus, après la fermeture de la tréfilerie de Schifflange.

Il reste pourtant un doute sur la volonté du gouvernement luxembourgeois à vraiment passer le cap et à ne plus faire confiance à Arcelormittal. Par exemple, le célèbre audit Laplace Conseil sur les industries européennes – qui dit en somme que les sites locaux au Benelux et en France seraient rentables – n’a toujours pas été rendu public. Au contraire même, le ministre de l’Economie Etienne Schneider s’est offusqué en novembre 2012, devant la commission parlementaire économique, que des détails de cet audit auraient fuité dans la presse, en l’occurrence chez nos collègues du « Lëtzebuerger Land ». Cette publication aurait provoqué des « réactions aigries » de la part d’Arcelormittal, comme l’a noté dans son blog Jerry Weyer, la tête pensante derrière le service au citoyen « Politikercheck.lu », une initiative qui oeuvre pour plus de transparence en politique.

Pas étonnant qu’Arcelormittal ait mal digéré ces révélations, puisqu’en somme elles disent le contraire de ce que la firme prêche depuis des années avant de fermer des usines. En tout cas, après la nationalisation avortée en France, la catastophe liégeoise – et la débandade d’Arcelormittal dans le cas « Ulcos » qui compromet ses promesses -, l’heure n’est plus vraiment aux négociations, mais à la confrontation. Espérons juste que les politiciens ne se laisseront plus aveugler. Une chance à prendre sera le 12 février prochain lorsque les ministres luxembourgeois, belges et français rencontreront la Commission européenne.


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