SACHA GERVASI: Complètement psycho

Dans « Hitchcock », Sacha Gervasi tente de sonder l’âme du « Master of Suspense ». Un film divertissant, même si l’on commence à se lasser des réalisateurs qui jouent aux psys.

Tantôt paternaliste, tantôt obsédé… la psyché du grand maître du cinéma fait toujours rêver les réalisateurs.

Les biopics ont le vent en poupe. Cela a un double avantage : ne pas avoir à inventer une histoire, tout en s’assurant des entrées en surfant sur la popularité de la personnalité dépeinte. Cela permet également de donner « sa » version du personnage, par exemple en en laissant de côté des faits marquants. N’attendez par exemple pas de Spielberg des références aux influences socialistes du président Lincoln dans le film actuellement à l’affiche.

Hitchcock, c’est l’autre gros biopic du moment. Et félicitons la production pour son marketing : plusieurs semaines avant la sortie du film, l’avertissement donné dans les salles de cinéma concernant les sonneries des téléphones portables le fut par Alfred Hitchcock « himself », enfin plutôt sa doublure cinématographique (Anthony Hopkins). Un clin d’oeil aux méthodes publicitaires peu conventionnelles que le maître du suspense n’hésitait pas à employer afin d’attirer les foules.

On peut tourner un biopic de différentes manières : la plus classique consiste à retracer la vie du personnage du début à la fin. D’autres s’amuseront à jouer au docteur Freud, se concentrant sur une phase précise de la vie du personnage, tentant ainsi de dépeindre les tréfonds de l’âme de celui-ci, qui, du fin fonds de sa tombe, ne peut plus guère se défendre de cette psychanalyse post mortem accessible aux masses. C’est le choix de Sacha Gervasi, qui relate dans son « Hitchcock » la lutte du vieux maître pour mettre sur orbite le désormais classique « Psychose » (comme ça, vous aurez bien compris qu’il s’agit de « comprendre » la psyché du sujet).

Au début du film donc, on voit un Hitchcock déjà richissime et au sommet de la gloire. C’est l’époque où il avait quelque peu délaissé le cinéma au profit de la télévision, ces fameux épisodes de « Alfred Hitchcock Presents » où il apparaissait en introduction. Bien que cette activité soit très lucrative et lui assure une sincère célébrité populaire, Hitchcock, selon Gervasi, angoisse de ne plus être capable de se renouveler. Voilà qu’il se met alors en tête de porter à l’écran « Psychose », un roman très noir et horrifiant, tiré d’un fait divers authentique concernant le tueur en série Ed Gein. Mais l’idée n’emballe personne : ni sa femme et scénariste de talent à laquelle il doit une partie de son succès, Alma Reville (Helen Mirren), ni sa secrétaire Peggy Robertson (Toni Collette) et encore moins Barney Balaban (Richard Portnow), le très puissant président de la Paramount. Sans parler du comité de la censure, surtout très inquiet de certaines scènes, comme celle où Janet Leigh (Scarlett Johansson) meurt poignardée dans sa douche.

Nous connaissons évidemment la fin de l’histoire (c’est l’avantage des biopics) : finalement, malgré toutes les difficultés qu’Hitchcock rencontra pour le réaliser et l’incrédulité de son entourage, « Psychose » connaîtra un grand succès – ce qui est notamment dû au talent de Hitchcock pour court-circuiter le quasi-boycott publicitaire du distributeur.

L’essentiel de l’histoire tourne donc autour de la relation qu’Hitchcock entretient avec les femmes : la sienne ainsi que ses « blondes hitchcockiennes », ces caractères subversifs cachés derrière une façade de femmes lisses, belles, mais conventionnelles de la petite bourgeoisie. « Pourquoi me trahissent-elles toutes ? », lance-t-il lors d’un tête-à-tête avec Janet Leigh, avec laquelle il semble entretenir une relation oscillant entre l’attirance charnelle (à sens unique) et le paternalisme bienveillant. Il fait ainsi référence aussi bien à sa femme, dont l’idée qu’elle puisse collaborer gracieusement à un script de Whitfield Cook (Danny Houston) et éventuellement le tromper avec ce dernier, le plonge dans le désarroi, ainsi qu’à son comportement glacial envers Vera Miles (Jessica Biel), à laquelle il ne pardonne pas d’avoir préféré se marier et enfanter plutôt que de devenir « sa » nouvelle star.

Hopkins interprète ainsi un Hitchcock tantôt enfantin, capricieux, possessif et égoïste, tantôt tel un vieil homme à l’embonpoint débonnaire qu’il suffit de rappeler à l’ordre lorsqu’il dépasse les bornes. Malgré le jeu intéressant de Hopkins, on a néanmoins parfois l’impression qu’il joue un personnage distinct. Le maquillage est certes réussi, mais il tend à nous faire oublier le vrai Hitchcock. C’est aussi un autre problème des biopics : en fonction de la mort plus ou moins récente de la personnalité, la problématique de la ressemblance se pose différemment. Personne ne se souvient de l’aspect d’Alexandre le Grand, ce qui permit à Oliver Stone de transformer Collin Farrell en blonde peroxydée. Par contre, le physique d’Hitchcock est toujours gravé dans nos mémoires, ce qui rend l’exercice d’autant plus périlleux. Mais certainement moins que lorsque l’on tente de savoir ce qui se passait derrière le masque.

A l’Utopolis.


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