ACCÈS A L’INFORMATION: Le droit de ne rien savoir

Il l’avait promis. Et il l’a fait : le « projet de loi relative à l’accès des citoyens aux documents détenus par l’administration » déposé début février par Jean-Claude Juncker n’est qu’un simulacre de transparence qui – adopté tel quel – risque d’empirer les choses.

« Avec cette loi, c’est comme avec la lasagne de boeuf avec de la viande de cheval : c’est une fausse étiquette », a déclaré Sven Clement du parti des pirates lors d’une conférence de presse cette semaine. Et il a bien raison. Le projet de loi numéro 6540 déposé par Jean-Claude Juncker se lit plutôt comme une défense de l’opacité qu’une invitation à sortir de la culture du secret, qui – après les affaires Wickrange-Livange, Cargolux, l’audit sur les usines Arcelormittal et enfin le Srel – nuit à notre démocratie. En distillant la méfiance dans la population contre la classe politique, qui résulte dans un désintérêt généralisé et une démobilisation politique, cette façon d’envisager de régner est surannée. Peut-être est-ce même voulu, mais c’est assez difficile de spéculer sur les vraies intentions d’un pouvoir qui préfère se cacher derrière des nuages de fumée.

Et pourtant, cela fera bientôt 13 ans que le Luxembourg tente de clarifier les relations entre Etat et citoyen. En 2000, le député socialiste Alex Bodry déposait un premier projet de loi – qui est gentiment mentionné dans l’exposé des motifs du récent projet – mais dont plus grand-chose ne subsiste. L’accès à l’information manquait aussi à l’appel en 2003, lors de la réforme de la loi sur la presse. Puis en 2008, le conseil de presse retoquait à l’unanimité un projet de loi qui ressemblait beaucoup à celui que Juncker vient de déposer – à une grande différence près : un droit de recours est inclus dans la nouvelle version. Sinon, le projet 6540 n’étonne pas si l’on considère qu’il émane d’une personne qui a appris à penser avec des jésuites. On y trouve les meilleures intentions du monde au début, mais dès que les choses deviennent sérieuses, les restrictions tombent. Ainsi, une administration peut refuser de communiquer un document s’il porte, entre autres, atteinte aux intérêts commerciaux et économiques de l’Etat, à la capacité de l’Etat de mener sa politique économique et financière et à des droits de propriété intellectuelle. Un verrouillage total de tous les audits, planifications et procès-verbaux donc, qui – même protégés par des droits d’auteur – ont été financés avec l’argent du contribuable. Plus grave encore, l’autorité peut rejeter une demande si elle considère que le document est en cours d’élaboration ou encore inachevé. Ce qui donne libre cours à toute administration de qualifier de brouillons tous les documents qu’elle considère comme trop brûlants pour sortir de ses murs.

Et même sortis des murs de la bureaucratie, tout document ainsi obtenu est soumis au point 3 de l’article 6, qui stipule : « L’exercice du droit à la communication ou à la consultation institué par la présente loi exclut, pour les bénéficiaires ou pour les tiers, la possibilité de reproduire, de diffuser ou d’utiliser à des fins commerciales, les documents en question. » C’est une claque au visage de la presse entière. Au lieu de s’ouvrir au citoyen et à la presse libre, l’Etat, par le biais de cette loi, ne fait qu’instaurer de nouveaux verrous. Par cette réglementation, il essaie de rendre impossible toute investigation journalistique honnête. C’est une vraie honte, surtout si l’on sait que le Luxembourg est un des seuls pays au monde à ne pas disposer d’une loi réglementant l’accès à l’information.

Que Juncker ne soit pas l’ami de la transparence est un fait connu. Mais la réussite de son petit exercice de casuistique ne dépend que de la société entière : la classe politique, le conseil de presse, les syndicats et toute organisation devraient montrer leur désaccord avec ce qu’on pourrait aussi qualifier d’énorme foutage de gueule.


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