PORTUGAL – LUXEMBOURG: Héros méconnu

La quinzaine du cinéma portugais est revenue pour la première fois sur un personnage longtemps ignoré : Aristides de Sousa Mendes, sans lequel 30.000 personnes auraient trouvé la mort pendant la Seconde Guerre mondiale.

Aristides de Sousa Mendes – un héros portugais resté longtemps aux oubliettes.

« La plus grande action de sauvetage menée par une seule personne pendant l’Holocauste », écrira Yehuda Bauer, un spécialiste des réfugiés juifs durant la guerre, dans son ouvrage « A History of the Holocaust ». On estime à plus de 30.000, dont environ 10.000 Juifs, le nombre de personnes sauvées par le diplomate portugais.

Dès septembre de 1939 et le début des agressions allemandes en Europe, Salazar annonce unilatéralement la neutralité du Portugal et signe avec l’Espagne un pacte de non-agression. Salazar, qui ne souhaite pas déplaire à l’Allemagne, ordonne, par la fameuse circulaire numéro 14 du 11 novembre 1939, à ses diplomates en poste en Europe de refuser l’octroi de visas aux catégories de personnes pourchassées par les nazis. Au début de 1940, Aristides de Sousa Mendes est formellement avisé par Salazar de ne pas délivrer de visas aux Juifs. Le cas échéant, « il ferait objet d’un procès disciplinaire ».

Entre-temps, Paris tombe sous la domination des troupes nazies le 14 juin. Le jour suivant, la ville de Bordeaux, où Aristide de Sousa Mendes est consul, est submergée de réfugiés. Bordeaux, une ville de 200.000 habitants, a désormais un million de personnes. « On aurait cru la fin du monde », écrira 30 ans plus tard dans ses mémoires Pedro Teotónio Pereira, principal accusateur d’Aristides de Sousa Mendes. Le 17 juin à Bordeaux, le maréchal Pétain demande l’armistice à l’Allemagne, en signant la défaite de la France et en s’engageant dans la politique de collaboration avec l’occupant. Les conséquences seront dramatiques pour des millions de réfugiés en France.

Désobéir

Ce même 17 juin à Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes déclare en présence de sa femme, Angelina, de leurs enfants Pedro Nuno, José et Isabel, de son neveu César, du rabbin Kruger et de ses proches collaborateurs : « A partir d’aujourd’hui je vais obéir à ma conscience. Je n’ai pas le droit en tant que chrétien de laisser mourir ces femmes et ces hommes. Mon gouvernement refuse les demandes de visa que je lui propose. J’ai actuellement le pouvoir et la possibilité de sauver des milliers de personnes venues de toute l’Europe et fuyant les troupes allemandes. Elles espèrent trouver asile au Portugal. Ce sont des êtres humains et leur position sociale, leur origine, leur religion ou leur couleur de peau me sont totalement indifférentes. Aussi, je déclare qu’à partir de cet instant, je donnerai gratuitement un visa à quiconque me le demandera, contre les ordres cyniques et injustes de mon gouvernement. »

A 8 heures du matin, Aristides de Sousa Mendes ouvre le consulat. Il demande à tous de se mettre au travail, d’aller chercher les passeports, de laisser entrer tout le monde. Aidé d’Angelina, de ses fils Pedro Nuno et José et du rabbin Kruger, de son secrétaire José Seabra et de qui peut les assister, il signe des milliers de visas et émet des passeports. Lorsque les réserves de documents officiels sont épuisées, il appose son tampon et sa signature sur de simples bouts de papier. Certains proposent de grosses sommes pour un visa. Il refuse et leur accorde les visas, comme aux autres, jusqu’au dernier.

En neuf jours, le bilan du sauvetage réalisé par Aristides de Sousa Mendes est exceptionnel. Il a réussi à délivrer près de 34.000 visas et à établir de nombreux faux passeports. Il est difficile d’avancer un chiffre exact car l’enregistrement des visas n’a été tenu que jusqu’au 18 juin et de nombreux porteurs de visas ne sont jamais parvenus à entrer au Portugal.

Concernant les entrées dans le pays, les archives de la police portugaise de sécurité des frontières font état de 40.000 réfugiés entrés en mai, juin et juillet 1940. Le capitaine Agostinho Lourenço, directeur de la Police de vigilance et de défense de l’Etat (PVDE) témoigne que la majorité des étrangers qui se sont présentés aux frontières portugaises de mai à juillet 1940 avaient des visas délivrés par de Sousa Mendes. Lourenço estime à plus de 30.000 le nombre de personnes entrées au Portugal munies de visas de Sousa Mendes ou de son vice-consul de Toulouse, Emile Gissot, dont 10.000 Juifs.

Le consul Aristides de Sousa Mendes n’a privilégié aucune catégorie de personnes. Il a délivré des visas et des faux passeports à toutes les personnes menacées. Parmi ces dernières on distingue aussi bien les membres du gouvernement belge que la grande-duchesse Charlotte de Luxembourg, sa famille, les membres de son gouvernement, les Habsbourg-Lorraine, Otto de Habsbourg, l’impératrice Zita de Bourbon-Parme et ses enfants, la duchesse de Parme, ainsi que les membres du gouvernement autrichien, Edouard, Henri et Robert de Rothschild, le général Leclerc et d’autres généraux, ainsi que bon nombre des fondateurs de l’État d’Israël.

La grande-duchesse Charlotte parmi les personnes sauvées

En arrivant au Portugal, le 4 juillet, Aristides de Sousa Mendes est démis de ses fonctions par Salazar. Ayant obtenu une licence de droit avant de débuter sa carrière de diplomate, il lui sera également interdit d’exercer le métier d’avocat. Le consul déchu et sa famille survivent grâce à la solidarité de la communauté juive de Lisbonne ; celle-ci permet à certains des enfants de Sousa Mendes de faire leurs études aux Etats-Unis. Deux de ses fils participent au débarquement en Normandie. L’ancien diplomate doit fréquenter, avec les siens, la cantine de l’assistance juive internationale. En 1945, tout en se félicitant hypocritement de l’aide que le Portugal a apportée aux réfugiés pendant la guerre, Salazar refuse néanmoins de réintégrer Sousa Mendes dans le corps diplomatique. La misère se fait alors plus pressante : vente des biens, mort de son épouse en 1948, émigration de tous ses enfants sauf un. Aristides de Sousa Mendes meurt dans la misère, le 3 avril 1954, à l’hôpital des pères franciscains de Lisbonne.

Des années plus tard seulement, sa mémoire fut justement honorée. Ainsi, en 1966, quand le Mémorial de Yad Vashem en Israël l’honore du titre de Juste parmi les nations. En 1986, le 15 novembre, il est décoré par le président de la République portugaise Mário Soares avec l’Ordre de la liberté au grade d’officier et sa famille reçoit des excuses publiques.

Lors de sa dernière visite au Portugal en septembre 2010, le grand-duc Henri rendit hommage au consul portugais de Bordeaux. Il évoqua « le rôle exemplaire et extrêmement courageux » qu’il eut pendant la Seconde Guerre Mondiale en autorisant le libre passage de sa famille et en distribuant massivement des visas. Beaucoup de Luxembourgeois juifs échappèrent ainsi « aux griffes du nazisme ».

Cercle culturel Aristides de Sousa Mendes au Luxembourg

Le Luxembourg a également depuis peu un Cercle culturel Aristides de Sousa Mendes. Fondée par deux Portugais et un Luxembourgeois (Bruno Cavaleiro, Gabriel Pinto et André Zwally) en juillet de l’an dernier, l’institution a été officiellement inaugurée le 30 mai dernier à Esch-sur-Alzette. Récemment, le film « Le Consul de Bordeaux » inaugura la Quinzaine du cinéma portugais au Luxembourg, actuellement en cours dans les salles d’Utopolis. Le réalisateur du film, Francisco Manso, déclara à la presse portugaise que « si nous avons un quelconque héros moderne, c’est Aristides de Sousa Mendes, une personnalité fascinante qui fut oubliée pour des raisons politiques et par laxisme national ».

La Quinzaine du cinéma portugais au Luxembourg se termine le mardi prochain.


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