CRISE D’ÉTAT: Laquais ou révolutionnaires ?

Jeudi dernier, le LSAP aurait pu être le parti qui aurait mèné le pays hors de sa crise institutionnelle. Or, il a choisi l’option du pouvoir – reste à savoir à quel prix.

Le LSAP sort divisé de ses contorsions face au CSV et au pouvoir. (Photo: LSAP)

Cela aurait pu être un triomphe pour les socialistes. Depuis une éternité, les espoirs placés dans ce parti n’avaient jamais été aussi élevés. Et pourtant, ils ont déçu, trahis pour certains, et en plus, ils ont été malmenés par leur partenaire de coalition, celui auquel ils venaient de sauver la peau. Car le CSV ne daignait même pas voter la motion socialiste – qui allait trop loin pour les conservateurs, en reconnaissant une faute à leur ministre Frieden, mais qui n’était pas assez osée pour l’opposition, déterminée comme presque jamais à voir rouler des têtes.

En même temps, ils ont été une sorte d’agent révélateur pour les pires contorsions du CSV que ce pays a vu depuis longtemps : attaques à la liberté de la presse, refus de prendre des responsabilités évidentes pour tout le monde, jeu de cache-cache exaspérant ? bref, l’arrogance d’un pouvoir devenu autiste. Dans le sens même du terme : le CSV est devenu incapable de comprendre l’opinion publique et ne sait plus s’exprimer avec cohérence. Le sauvetage des conservateurs par les socialistes ne sera pas oublié lors du prochain passage dans les urnes, qu’il soit en mai 2014 ou plus tôt. Les déçus du LSAP sont nombreux et ils se manifestent aussi sur les réseaux sociaux, les commentaires sur Facebook des députés et ministres du parti en témoignent. Et le vieux slogan « Wer hat uns verraten ? – Sozialdemokraten » a retrouvé une triste actualité, poussant même quelques activistes de base à rendre public le fait de renvoyer leur carte de membre du parti. Pourtant, prétendre que tout le parti a été mis sur une ligne ne serait pas honnête. Il y a eu des réticences envers l’attitude finalement adoptée à la Chambre des députés lors du vote des motions de confiance contre le gouvernement et au ministre Luc Frieden. Non seulement les jeunes loups – Taina Bofferding, Régis Moes et Franz Fayot – se sont rebellés contre cette position, mais même le secrétaire général du parti, Yves Cruchten, a publié un billet sur son blog qui laissait entendre son mécontentement quant à l’attitude de son parti. Les socialistes s’en sortent donc divisés. Et il n’était nul besoin d’attendre la lettre incendiaire du vieux lion Jacques Poos adressée au Tageblatt – que l’on pourrait tout aussi bien, selon le point de vue, interpréter comme un compliment – pour comprendre que le parti socialiste traverse actuellement une crise d’identité.

Ce qui s’est fait remarquer aussi à travers les agissements du parti au matin du 13 juin fatidique. Deux votes ont été pris en considération : le premier vote s’est déroulé au sein du comité directeur, le second au sein de la fraction parlementaire. Le premier aurait été plus divisé, voire même enclin à déclencher des élections anticipées. Par contre, des 13 députés socialistes, un seul, le député-maire de Sanem Georges Engel, aurait voté pour la démission tandis que les autres députés auraient choisi de continuer dans la droite ligne de coalitionnaire avec les conservateurs.

Le LSAP a révélé le visage hideux du CSV.

Une division qui ne traverse plus uniquement le parti, mais aussi la coalition CSV-LSAP. Comme le laisse entendre un communiqué de presse que le secrétariat général du CSV s’est empressé d’envoyer aux rédactions jeudi matin – en défense de leur ministre Luc Frieden – , la confiance entre coalitionnaires semble être au point zéro. Comment expliquer autrement une phrase assassine pareille : « Der Versuchung, aus Unterstellungen und Hörensagen politisches Kapital zu schlagen, konnte erstmalig am Mittwoch auch der Vorsitzende der LSAP nicht widerstehen » ? En attaquant son partenaire politique d’une telle façon, le CSV n’est pas seulement en train d’humilier davantage le LSAP, mais il met en question lui-même son avenir au pouvoir. Car qui veut encore d’un gouvernement divisé, en crise et où la méfiance règne avant tout – donc d’un gouvernement paralysé ?

C’est une question qui émeut aussi Taina Bofferding, conseillère socialiste à Esch-sur-Alzette et une des figures montantes du parti : «  J’ai l’impression que la confiance entre mon parti et le CSV n’existe plus vraiment. Pourtant, c’est un élément essentiel pour pouvoir faire de la politique. Je ne vois pas vraiment comment on peut continuer ainsi. » L’instabilité politique déclenchée par les révélations au compte-gouttes sur la façon dont les conservateurs, et non seulement eux, mènent leur agenda politique a surtout un effet notoire sur la population : la méfiance envers la politique. Une circonstance que Taina Bofferding déplore : « C’est le plus grand problème du moment, cette perte absolue de confiance dans le monde politique. Personne au CSV ne semble apte à prendre ses responsabilités. Vu de l’extérieur, l’image est désastreuse et on aura beaucoup de mal à regagner cette confiance, si on continue de la sorte. »

Et il est vrai que le monde politique luxembourgeois du moment est complètement tétanisé dans l’attente de ce qui va suivre. Pour la jeune socialiste, une seule voie, celle défendue aussi par presque toute l’opposition, pourrait être salutaire : des élections anticipées. « Je persiste sur ma position prise dans la lettre envoyée la semaine dernière. J’ai aussi voté contre les motions présentées par mon parti. Pour moi, la seule sortie honorable de cette embrouille, ce sont des élections anticipées. »

L’incapacité de prendre ses responsabilités ou de réagir.

Le problème du LSAP, et du reste du grand-duché, est et reste la confusion qui règne. Dans un tel état de choc permanent, c’est à celui qui interprète en premier la situation que revient en général la palme du vainqueur. Une discipline dans laquelle le CSV excelle. Non seulement à travers le communiqué de presse assassin qu’il a envoyé ce jeudi matin, mais aussi à travers sa façon unie de se manifester. Comme l’a démontré avec brio son président Michel Wolter, en lançant son attaque contre la protection des sources de la presse au nom de toute la fraction conservatrice. Une attitude qu’on ne retrouve pas chez les socialistes qui, eux, sont tout à l’image de la population : hésitants entre continuation et rébellion.

Pour Taina Bofferding du moins, les choses sont plus claires : « On attend avec impatience le rapport de la commission d’enquête sur le Srel. Si dans ce rapport, on mentionnait des responsabilités et des fautes commises par le premier ministre, cela doit avoir des conséquences. En d’autres mots : pour moi, il est hors de question de supporter encore un gouvernement Juncker s’il est mis en cause par un rapport du parlement. »

Reste à savoir si le reste de son parti la suivra dans cette logique. En tout cas, l’attitude d’Alex Bodry avant que Luc Frieden ne soit cité devant la commission juridique – d’où il est sorti blanchi – laisse entrevoir un brin d’espoir – même si cela lui aura coûté la confiance des conservateurs. Mais, face aux dysfonctionnements manifestes, il manque juste une chose aux socialistes : le courage de dire non. Car en cautionnant encore les agissements de certains politiciens conservateurs – Juncker, Frieden et Wolter – le LSAP ne s’enterre pas seulement lui-même, mais aussi toute la société démocratique au Luxembourg. N’oublions pas qu’à l’étranger des hommes politiques beaucoup plus puissants ont démissionné pour beaucoup moins.


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