SREL: Particules élémentaires

La plateforme crée par les espionnés du Srel n’est certes pas au centre de la marée de polémiques courantes, mais elle rappelle ses débuts et l’essentiel : le cas d’un Etat qui se croit au-dessus de ses propres lois.

« Les concernés sont en train de tomber dans l’oubli, face aux révélations quotidiennes », s’indignait Abbes Jacoby à la conférence de presse jeudi matin. « Or, nous ne comptons pas laisser les choses comme elles sont. Car dans ce dossier, le mensonge est devenu une chose courante. » Et de rappeler les amnésies fâcheuses de l’ancien chef du Srel Charles Hoffmann ou encore de son responsable politique de l’époque, l’ancien premier ministre Jacques Santer.

Les personnes qui ont demandé et obtenu – après maintes tergiversations bureaucratiques – leurs dossiers sont toutefois en mesure de confirmer au moins deux choses : premièrement, que Jean-Claude Juncker n’a pas dit la vérité quand il prétendait que l’espionnage politique intérieur avait pris fin en 1990, car certains dossiers ont encore été actualisés au moins jusqu’en 1996 – quand Juncker était déjà aux commandes, alors que jusqu’ici, il avait toujours soutenu avoir interdit ces pratiques dès son accession au pouvoir. Et puis, l’assertion de Hoffmann, selon lequel seuls étaient espionnés celles et ceux qui avaient voyagés dans des pays « ennemis » n’est pas plus vraie, comme l’a rappelé Justin Turpel, en assurant n’avoir jamais entrepris un tel voyage dans cette période. Dans son cas, « il suffisait que sois identifié en tant que trotskyste », soutient-il.

Espionnage intérieur jusqu’en 1996

D’autres choses qu’a découvert la trentaine de personnes qui s’est réunie une première fois cette semaine, font également froid dans le dos : ainsi, le Srel n’aurait pas hésité à espionner des personnes mineures, n’aurait pas fait halte devant le secret bancaire et – au contraire des dires de Hoffmann et d’autres – des organisations entières auraient été passées au crible par le service secret. Pour étayer cette thèse, Turpel a brandi devant la presse le dossier concernant l’ASLN (Association solidarité Luxembourg-Nicaragua) qu’il venait de recevoir, où le Srel s’était même intéressé aux simples sympathisants.

De plus, les membres de la plateforme se plaignent que leurs dossiers seraient incomplets, avec parfois des trous de plusieurs années et que beaucoup de pages resteraient classifiées. C’est pourquoi ils revendiquent avant tout que les archives soient confiées à une institution indépendante encore à créer, et donc hors de portée des services de police, de sûreté ou encore de l’armée. « Nous sommes persuadés que d’autres archives existent et que le bon sens commande de tout confier à une autorité indépendante », explique Turpel. De plus, ils préconisent la « solution suisse » au problème : en 1989, lors d’un scandale de renseignement au coeur de la Confédération helvétique, les autorités ont informé toutes les personnes touchées par des observations de la part des barbouzes de leur dossier et leur en ont garanti l’accès. Un service public à mille lieues de la politique luxembourgeoise, « où c’est encore le Srel qui fait les copies, et qui décide ce que nous avons le droit de savoir ou non », comme l’a souligné Jacoby. La plateforme va en outre communiquer ses revendications à la commission d’enquête parlementaire et espère que celle-ci aura le bon sens de les transcrire dans son rapport final, attendu le 9 juillet.

On ne peut pas réparer ce passé, certes, mais pourtant, les petites bribes qu’ont pu ramasser les ex-espionnés témoignent d’un Etat qui n’a pas su s’adapter au monde de l’après-guerre froide. L’« ennemi » historique avait beau avoir disparu, les méthodes avec lesquelles la « police dans la police », dixit Robert
Biever, n’ont pas changé pour autant. Au contraire même, en se cherchant de nouvelles bases, les barbouzes ont importé une logique de guerre – froide – dans une société théoriquement paisible. Un fait qui, une fois étayé sur la place publique comme maintenant, risque de faire soit rouler quelques têtes et provoquer un changement de moeurs politiques au grand-duché, soit d’ébranler davantage le peu de confiance du citoyen dans l’Etat qui subsiste encore.


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