ARI FOLMAN: Matrice humaine

Méta-film? Monstre psychédélique et hybride ? Réflexion philosophique sur la machine hollywoodienne ? « The Congress » d’Ari Folman est tout cela et beaucoup plus : c’est un ovni et sûrement le film de l’année 2013.

Un congrès pas comme les autres.

Robin Wright, anciennement Robin Wright Penn quand elle était encore mariée à Sean Penn, est une actrice hollywoodienne de second plan. Elle ne fait plus la une des tabloïds et n’est plus systématiquement prise en chasse par les paparazzis quand elle sort faire un tour dans les collines de Los Angeles. Pourtant, elle est toujours suivie par des fans conscients de la qualité de son travail – même si sa carrière s’est essoufflée. Pas vraiment à cause de son âge, mais surtout parce qu’elle préfère s’occuper de son fils Aaron, atteint du syndrome d’Usher, une maladie héréditaire qui s’attaque à sa vue comme à son ouïe.

Miramount, son studio, en est parfaitement conscient et lui propose – ou plutôt la pousse à accepter – un nouveau pacte : si elle accepte d’être totalement scannée, elle n’aura plus jamais besoin de jouer dans un film, car les techniciens d’Hollywood le feront à sa place en maniant son pantin digital dans tous les films qu’ils veulent. Elle souscrit pour une durée de vingt ans. Après ce délai, en 2033 donc, elle est invitée à un congrès de futurologues, organisé par Miramount. Pour y entrer, elle doit inhaler le nouveau produit que son studio s’apprête à présenter au congrès : une drogue qui vous permet de devenir ce que vous voulez, donc aussi Robin Wright. Elle entre alors dans un monde animé où tout semble possible, y compris une rébellion armée contre Miramount. Prise dans les troubles et entre les fronts, Robin n’aura qu’un seul but : retrouver son fils Aaron, qu’elle a laissé seul pour la première fois de sa vie.

La seule chose que « The Congress » a encore en commun avec le film précédent d’Ari Folman – l’excellent « Waltz with Bashir » – est l’utilisation de la technique d’animation. Et encore, si « Waltz with Bashir » a marqué les esprits à cause de sa technique homogène, « The Congress » est un vrai feu d’artifice de styles différents. Pas étonnant, quand on sait qu’il s’agit d’une coproduction entre six pays, dont le Luxembourg. Mais croire que ce film ne porte aucun message politique serait se tromper. C’est un pamphlet contre la machine hollywoodienne, qui se sert pour cela de citations et de références issues du monde cinématographique. Folman a construit un vrai miroir de la société en assemblant des débris déformés et déformants. Mais en même temps, pour compliquer encore un peu plus l’histoire, « The Congress » est aussi une adaptation littéraire de « The Congress of Futurologists » de Stanislaw Lem – juste à la sauce Folman.

Sa façon d’entrer en matière n’est pas sans rappeler « Being John Malkovich » et « Adaptation » sortis de l’imagination du scénariste Charlie Kaufmann et mis en scène par Spike Jonze – vu qu’il reprend l’idée de faire jouer son propre rôle à une star hollywoodienne. Mais il surpasse ces deux films : sans aller jusqu’à la franche déconnade, il intègre des réflexions philosophiques et politiques sur la ligne d’horizon de l‘ « entertainment » qui nous éblouit tous, désarmés que nous sommes devant une réalité de plus en plus complexe et atroce. En d’autres termes : même Guy Debord aurait aimé « The Congress ». Car Folman en fait un voyage fou et dérangeant en jouant sur des notions qui nous sont proches et en même temps si lointaines. En ce sens, il rejoint aussi « Holy Motors » de Léos Carax, qui réussit à exaspérer et à foutre la trouille au spectateur avec un stratagème assez proche de celui qu’utilise Folman. Et comme Carax, il peut compter sur des acteurs brillants : Robin Wright bien sûr, mais aussi Harvey Keitel et Paul Giamatti.

Donc, « The Congress » est-il un film prophétique ? Peut-être plus qu’on aimerait le croire. Comme Ari Folman l’a remarqué dans la conférence de presse qui précédait l’avant-première cette semaine à l’Utopolis : « J’étais très étonné de savoir que le scanner que j’avais inventé pour mon film existait déjà bel et bien à Hollywood. » C’est à en avoir froid dans le dos !

A l’Utopolis.


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