Henri Cartier-Bresson: Des Européens

A propos de H.C.B.Il prenait des photos sur le vif, comme des flagrants délits: le photographe français Henri Cartier-Bresson.

Les „Bords de Marne“ enregistrés par Henri Cartier-Bresson en France en 1938.

En 1955 un des éditeurs d’art les plus réputés de Paris, Tériade, publie „Des Européens“, illustré par les photographies de Henri Cartier-Bresson. La couverture jaune est de Joan Miró. Voyageur insatiable, H.C.B. (né en 1908) était parti à la découverte de l’Espagne et de l’Italie en 1932, en compagnie du poète André Pieyre de Mandiargues. Il poursuit ses voyages vers le nord, à travers l’Europe de l’après-guerre, en Belgique, en Allemagne, en Pologne, en Tchécoslovaquie, etc. Aujourd’hui ces images, prises à travers vingt-deux pays de l’Europe, sont présentées par la galerie d’art contemporain „Am Tunnel“ à l’occasion d’une exposition monographique.

Dans une conversation avec Gilles Mora (Paris, janvier 1986), H.C.B. raconte que l’éditeur grec Tériade, souhaitant une introduction pour son premier livre „The Decisive Moment“ („Images à la sauvette“) qu’il allait publier en 1952, lui avait demandé, en lui forçant un peu la main: „Pourquoi fais-tu cela depuis vingt ans? Allez, mets ça sur papier“. C’est de cette façon que H.C.B. produit le fameux texte qui deviendra une référence obligée et durable pour toute une génération de photographes: „L’instant décisif“. Il y écrit: „J’avais découvert le Leica; il est devenu le prolongement de mon oeil et ne me quitte plus. Je marchais toute la journée l’esprit tendu, cherchant dans les rues à prendre sur le vif des photos comme des flagrants délits. J’avais surtout le désir de saisir dans une seule image l’essentiel d’une scène qui surgissait“.

Regard intuitif

Marqué par le surréalisme selon la conception de André Breton, surtout par „le rôle du jaillissement et de l’intuition“, il avait aussi beaucoup appris dans le domaine du visuel dans l’atelier du peintre André Lhôte. Mais, ne supportant plus son côté théoricien, il le quitte et, „avec le goût pour l’aventure“, il part en 1931 pour la Côte d’Ivoire. Il commence réellement ses débuts dans la photographie seulement à son retour en Europe. En 1935, il vit aux Etats-Unis et s’initie au cinéma avec Paul Strand. C’est ainsi que de 1936 à 1937 on le retrouve comme second assistant de Jean Renoir. Fait prisonnier par les Allemands en 1940, il réussit à s’évader après trois ans de captivité et rejoint la Résistance. En août 1944, il photographie la Libération de Paris; il réalisera même un documentaire sur le retour des prisonniers et des déportés.

Voyageur discret

„Ce n’est que plus tard, en regardant le travail de mes amis du métier et les revues illustrées, et en travaillant à mon tour pour elles que peu à peu j’ai appris à faire un reportage. J’ai beaucoup circulé, bien que je ne sache pas voyager. J’aime le faire avec lenteur, ménageant les transitions entre les pays. Une fois arrivé, j’ai presque toujours le désir de m’y établir pour mieux encore mener la vie du pays.“ C’est ainsi qu’en 1947, il devient cofondateur, avec Robert Capa, David Seymour et Roger Rodger, de l’agence coopérative Magnum Photos. Il en sera membre jusqu’en 1966 et dans ce contexte il réalise d’innombrables reportages qui vont constituer l’essentiel de son oeuvre: Inde, Pakistan, Indonésie, Chine, Japon, URSS, Cuba, Mexique, etc. Ces images sont publiées dans „Paris-Match“, „Vu“, „Life“, etc. et dans divers ouvrages dont „D’une Chine à l’autre“ (1954); „Moscou, vu par Henri Cartier-Bresson“ (1955), etc.

A partir de 1974, il se consacre presque exclusivement au dessin et à la peinture, abandonnant la photographie professionnelle. Ce passage au dessin, qu’il avait d’ailleurs toujours pratiqué, lui permet d’arrêter le temps, car comme il dit: „la photographie reformule constamment le problème de l’espace/temps. (…) Mais avec le dessin, je suis fondamentalement dans la méditation (…)“.

Lorsqu’on regarde ses photographies on reste fasciné par leur lyrisme discret et par la grande cohérence avec laquelle il nous communique un ensemble d’expériences qui étaient enfin les siennes. En fait, comme on l’a justement remarqué à plusieurs reprises, ces images sont faites pour suffire à elles-mêmes, décourageant ainsi quelconque discours critique.

En essayant à tout prix d’analyser ce qui fait la spécificité de l’image bressonienne, on peut parler d’une esthétique du hasard, de l’intuition, mais en allant au-delà de ces simplifications, nous pouvons facilement nous apercevoir que ses photographies naissent vraiment du „pressentiment de la vie“. Dans le texte qui précède „Images à la sauvette“, le photographe lui-même l’explique en définissant le reportage photographique: „une opération progressive de la tête, de l’oeil et du coeur pour exprimer un problème“.

Ce qui est vraiment remarquable, c’est que son art du cadrage et de la composition tend virtuellement à épurer la photographie. Les êtres, les choses et les événements s’ordonnent autour d’axes internes, en se conformant souvent aux règles de la géométrie. Ce qu’il retient, c’est le côté vie/visuel qu’il extrait du flux continu du réel, en choisissant pour l’acte photographique l’instant décisif. „Il n’y a rien dans le monde qui n’ait un moment décisif“ était la phrase du Cardinal de Retz qu’il avait utilisée comme en-tête de son texte d’introduction à „Images à la sauvette“. Instant des choses qu’il s’agit bien de faire superposer à la conscience du photographe de cet instant. Instant décisif donc où, dans une pratique ludique qui fait tout le style de Henri Cartier-Bresson, les formes s’organisent en un ensemble signifiant où la structure des choses et les émotions sont offertes au spectateur.

Sandra M. Petrillo

Henri Cartier-Bresson, „Des Européens“. Jusqu’au 24 février à la galerie d’art contemporain „Am Tunnel“ de la BCEE. Ouvert du lundi au vendredi de 11h à 17h30 et les dimanches de 14h à 18h. Tél. 4015 – 2450.


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