PENTECÔTISTES: Les bons conseils

Si l’église catholique est de moins en moins populaire, d’autres variantes du christianisme savent attirer les foules. Visite dans une communauté évangélique du quartier de la gare.

« Joy », « Peace », « Love » – Le service pentecôtiste se tient dans un décor simple.

Dimanche matin, dans une arrière-cour de la rue de Strasbourg, juste en face du « Dame Blanche bar ambiance », un homme aux cheveux grisonnants et en costume bleu prépare sa présentation PowerPoint. Derrière lui un jeune homme accorde sa guitare basse, à sa gauche un autre jeune homme installe une caméra vidéo. L’homme au costume bleu est Adama Ouedraogo, un pasteur pentecôtiste originaire du Burkina Faso. Dans les années 1990, il part à Bruxelles pour faire des études de théologie, puis retourne au Burkina. Mais en 2010 il déménage au Luxembourg pour diriger une des cinq églises pentecôtistes du pays.   

Les pentecôtistes font partie de la mouvance protestante évangélique. Leur mouvement a été fondé par le pasteur Charles Praham et le pasteur afro-américain William Seymour à Los Angeles il y a un peu plus de cent ans. Ce qui distingue le plus spécifiquement les pentecôtistes des autres dénominations évangéliques est leur croyance dans le baptême du Saint-Esprit qui se manifeste par la glossolalie, le parler en langues étrangères.

Soudain, le voyant rouge sur la caméra s’allume : le service sera diffusé au Brésil, en Belgique et dans quelques pays africains par l’internet. De jeunes enfants courent sans gêne à travers la pièce, çà et là des personnes bavardent. Mais soudain le choeur se lance, avec le gospel accompagné par l’orgue électronique et la guitare basse, l’ambiance change complètement. Les visiteurs suivent la cadence en battant des mains ou en tapant du pied. Les femmes sont soigneusement coiffées, elles ont mis des vêtements à la mode, les hommes portent des chemises et quelques-uns des lunettes en écaille.

« Alors, qui a tenu ses bonnes résolutions depuis le début de 2013 ? » : le pasteur commence son sermon plus enjoué que moralisateur.

Les tentations persistantes, comment les vaincre ? 

« Ah, les tentations persistantes, comment les vaincre ? » Adama ne s’attarde pas sur des spéculations théologiques ou des psaumes encombrants. La communauté pentecôtiste semble peu se préoccuper d’actes rituels, qui donneraient au pasteur un air mystique. Adama serait plutôt un coach donnant des conseils solides pour la vie quotidienne. Dans son plan en six points pour surmonter divers problèmes, il assure qu’il est important de connaître ses points faibles, de maîtriser ses désirs, de prier, de s’orienter vers le bien et de ne pas traîner avec de mauvais potes. « Ce n’est pas le diable qui nous amène à poursuivre nos mauvaises habitudes, mais tout commence avec les mauvaises pensées. » Des formulations qui pourraient aussi se trouver dans un livre de conseils psychologiques, déclare le pasteur.

Ce pragmatisme fait partie de la recette du succès du mouvement pentecôtiste. Celui-ci est aujourd’hui répandu sur l’ensemble du globe, compte entre 300 et 600 millions de membres et, parmi les branches du christianisme, est celle qui recrute le plus de nouveaux adhérents. La plupart des conversions s’opèrent en Afrique et en Amérique latine.

Voici que le pasteur, pour donner plus de poids à ses énoncés, se transforme en conteur : « Un jour, en Afrique, un fou attaqua un homme. Et vous savez que les fous en Afrique sont forts ! Il poussa l’homme attaqué par terre et se mit dessus. Un passant s’approcha et s’exclama : `Attention que le fou ne morde pas l’oreille de l’homme !‘ Et le fou, se remémorant qu’il peut mordre l’oreille de l’homme, l’a mordue. » Le pasteur lève les deux bras et exhorte : « Ne portez pas votre attention sur des pensées inutiles. » Au troisième rang, une femme d’une vingtaine d’années note sur son iPad les remarques du pasteur.

Après avoir regardé le documentaire américain « Jesus Camp » (2006) de Rachel Grady et Heidi Ewing, on pourrait s’attendre à un sermon plus endoctrinant. Le film relate un rassemblement d’évangéliques des Etats-Unis où l’on voit par exemple une femme pasteur condamner d’un ton agressif la lecture de « Harry Potter », celui-ci étant l’oeuvre de Satan.

Cependant le service du pasteur Adama Ouedraogo de l’église El Shaddai ne donne pas l’impression de ce zèle prosélytique.

La conversion de l’islam du pasteur Adama

Le pasteur donne des conseils psychologiques pour se motiver soi-même et sa communauté, mais la stratégie qu’il a appliquée pour s’arrêter de fumer dans sa jeunesse était différente. Pour lui-même, il a choisi le raccourci du religieux, l’intervention divine pour ainsi dire. Ainsi raconte-t-il, une semaine après le service, dans son bureau : « Dans ma jeunesse au Burkina, je fumais deux paquets de Gauloises par jour. Un vendredi soir je suis allé chez le pasteur et je lui ai demandé de m’aider à arrêter de fumer. Il a posé sa main sur mon front et a commencé à prier. Dès que je suis sorti de l’église, je ne supportais plus l’odeur de cigarette. » Ce qui l’a fait adhérer à la communauté pentecôtiste n’a tout de même pas été un miracle quelconque mais le comportement quotidien des pentecôtistes : « Au Burkina, beaucoup de jeunes de la ville se saoulent, font la cour aux filles, se moquent parfois d’elles, disent des cochonneries. Mais quand je suis venu au camp des pentecôtistes, alors là j’ai vu un comportement exemplaire ! » Il forme avec l’index et le pouce un ovale, montre du bout des doigts dans ma direction et insiste une fois de plus : « Un comportement exemplaire ! Les filles et les garçons restaient chacun de son côté et se respectaient mutuellement. » Le jeune musulman de Ouagadougou s’est du coup converti au christianisme.

Le caractère entrepreneurial des pentecôtistes

L’église dans le quartier de la gare rassemble plus de 25 nationalités. Des Congolais, Rwandais, Angolais, Burundais, Togolais et bien d’autres migrants de pays africains. Quand on établit son nouveau domicile au Luxembourg, tout est difficile au début. « D’abord rien que pour recevoir les papiers, trouver du travail, trouver un logement… Certains commencent à boire pour se consoler, d’autres deviennent dealers. Je le vois tous les jours, ici, dans la rue de Strasbourg, et il y a même des gens qui viennent se piquer ici devant la porte de l’église », explique Adama. 

Gisèle, qui est née au Congo et a été élevée à Bruxelles, n’a pas connu ces problèmes administratifs. Pourtant elle dit trouver chez El Shaddai ce que beaucoup de femmes recherchent à côté de la paix intérieure : du soutien.

Cette mère de quatre enfants a été quittée par son mari lorsqu’elle a déménagé de Bruxelles à Luxembourg pour travailler comme informaticienne. La communauté pentecôtiste apporte un soutien face à l’absence d’un mari et d’autres membres de la famille :  « Ici je trouve toujours quelqu’un chez qui les enfants peuvent rester et qui les aide à faire les devoirs à domicile. Mon fils avait des difficultés en maths, grâce à un membre qui lui a donné des cours d’appui il a pu s’en sortir. » Depuis des années l’ancienne catholique fait partie d’une église pentecôtiste. Comme pour beaucoup de femmes, le premier contact s’est fait à travers la sollicitation d’une amie.

Dans son livre  « Global Pentecostalism: The New Face of Christian Social Engagement », le sociologue des religions Donald Miller décrit le caractère entrepreneurial et le style « groupe de support » de ce genre d’église. Pas surprenant que Gisèle planifie avec une autre femme du groupe des ateliers coaching pour des femmes sans travail. « Le but de nos ateliers est d’analyser le parcours professionnel des participantes, pour après les diriger vers des institutions et des formations qui pourront les aider », explique Gisèle.

Comprendre la popularité de l’église pentecôtiste

Pour comprendre l’attractivité de l’église pentecôtiste, il faut selon le sociologue David Martin prendre en considération ces difficultés. Dans « Tongues of Fire: The Explosion of Protestantism in Latin America » il décrit que ces églises contrecarrent les processus d’aliénation qu’engendrent la migration, le chômage et l’individualisation. Elles fournissent un nouveau réseau social qui aide des individus et des familles qui s’installent dans un nouveau pays à surmonter les barrières sociales et institutionnelles. La volonté de s’établir va aussi de pair avec l’autodiscipline, car les pentecôtistes sont stricts dans certaines matières : pas d’alcool, pas de drogue, pas de liaison en dehors du mariage, pas de paris.

Une importance particulière revient au pasteur. Contrairement au prêtre catholique, au style de vie éloigné de celui de ses paroissiens, le pasteur peut être mari et père et parle le langage du peuple, un langage plus simple. Une autre raison de la popularité de l’église pentecôtiste est qu’elle valorise l’expression des sentiments et les expériences spirituelles personnelles. Le mouvement pentecôtiste attache une grande valeur aux chants, danses et aux témoignages personnels lors des services.

Ce dimanche-là, le témoignage n’est pas celui d’un ressortissant d’un pays africain, mais celui d’un Allemand. Peu avant la fin du service, Martin (nom changé par la rédaction) se met à côté du pasteur et raconte qu’il était alcoolique durant des années. Son récit en allemand est simultanément traduit sans difficulté par le lycéen africain Johnathan. La dépendance à l’alcool engendrait bien sûr d’autres difficultés sociales et économiques. « Un jour, lorsque j’étais assis sur un banc dans un parc d’une grande ville allemande, Susanne s’est assise à côté de moi et a commencé à me parler de l’Evangile », explique-t-il d’une voix timide. Peu après, sa future femme l’emmène dans un service pentecôtiste. Martin interprète le cours de sa vie : « Je suis convaincu que si je n’avais pas fait la connaissance de ma femme et trouvé la foi je n’aurais pas pu restreindre ma consommation d’alcool. »


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