REBECCA ZLOTOWSKI: Amour nucléaire

« Grand Central » marque le retour du réalisme social dans le cinéma. Rebecca Zlotowski réussit le pari de renouveler le genre sans pourtant le trahir.

Une histoire d’amour qui ne sert que de prétexte pour mieux montrer les conditions de travail abominables dans lesquelles doivent travailler et survivre les ouvriers précaires du nucléaire.

L’entretien d’embauche se fait, en passant, dans un couloir. « Tu comprends l’anglais ? » « Non », répond Gary. Mais peu importe, on le console d’un « Ça ira » lapidaire. Le désintérêt du recruteur en dit long sur l’attractivité du job : assurer des petits travaux d’entretien dans une centrale nucléaire. Sans diplôme, Gary (Tahar Rahim) accepte de travailler dans un contexte à haut risque. L’inconnu sorti de nulle part s’installe à quelques pas de la centrale dans un camping, là où quelques autres ouvriers ont trouvé une demeure dans des camping-cars modestes. Il se fait une nouvelle famille autour de son compagnon de misère Toni, gagne de l’argent, s’achète une nouvelle voiture, tout marche bien.

Mais c’est alors qu’un coup de foudre, une passion dévorante le prend, et celle-ci a un nom : Karole (Léa Seydoux). Le hic : c’est aussi la copine de Toni. « Comment se ressent une overdose de radioactivité ? », veut savoir Gary. Karole se lève, marche vers lui, l’embrasse sans prévenir. Puis elle conclut : « La peur, la tête qui tourne, les genoux qui tremblent, c’est ça la dose. »  Une liaison interdite et compliquée se trame sur fond de contaminations radioactives.

Dans « Grand Central », Rebecca Zlotowski peint le portrait d’une communauté fermée et marginalisée, un peu autarcique et brusque. C’est le portrait de ceux qui font le sale boulot de l’Hexagone, les prolétaires du nucléaire. Depuis Tchernobyl, les risques de la contamination radioactive sont connus du grand-public. C’est pourquoi bosser dans une centrale nucléaire n’est pas un job de rêve. Les grandes compagnies, EDF et Areva en tête, en sont conscients, et c’est pourquoi elles préfèrent sous-traiter ces emplois mal payés et dangereux.

La vie des travailleurs se déroule dans deux cadres presque opposés. D’un côté le spectateur côtoie avec les protagonistes les lieux anxiogènes, aseptiques mais mortellement dangereux de la centrale nucléaire. De l’autre il se retrouve sur un camping près d’une rivière, ensoleillé, vert, presque idyllique. Ces lieux correspondent aussi au déchirement intérieur qui gagne peu à peu Gary.

Et la situation empire lorsqu’il est victime de plusieurs contaminations à l’intérieur de la centrale nucléaire, tandis qu’au camping il risque la galère à cause de sa liaison clandestine avec Karole. Le film reprend le style du réalisme social qu’on connaît des frères Dardenne et le mélange avec une plastique qui invite à l’embarras, qu’on connaît d’une Claire Denis. Par moments « Grand Central » prend des airs de documentaire. Cela par le réalisme du contenu, qui est le fruit de l’étroite collaboration entre la réalisatrice et l’auteur du livre « Je suis décontamineur dans le nucléaire », Claude Dubout. Dubout y raconte le quotidien des travailleurs qui y sont presque aussi discrets que la radio-activité – qui n’a ni couleur, ni odeur.

« Grand Central » est un film lent, parfois presque trop lent, mais il nous récompense avec des bijoux de narration et des tableaux éblouissants soulignés par un son off dissonant. Dommage que les dialogues ne soient pas plus perspicaces.

A l’Utopia.


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