DENIS VILLENEUVE: Quand Dieu ne répond pas

« Prisoners », du réalisateur franco-canadien Denis Villeneuve, est sûrement le thriller le plus intense et le plus réussi de l’année – porteur d’espoir pour le cinéma et d’une critique acerbe de la religiosité à outrance.

La suspicion, la peur et la haine justifient-elles tous les moyens ?

Déjà que la vie dans un petit bled perdu de Pennsylvanie n’est pas toujours facile, les habitants connaissent aussi les soucis de tous les Américains : la précarité au coin de la rue, les maisons qui risquent de disparaître sous le poids des hypothèques et une peur permanente de la catastrophe. Mais quand un drame auquel personne n’aurait pu les préparer arrive à deux familles de cette petite ville, les nerfs sont à vif et les drames vite arrivés. L’enfer que doivent vivre les deux familles Dover et Birch, c’est l’enlèvement de leurs deux petites filles, Anna et Joy, le jour de Thanks-giving. Un crime horrible, mais dont ni les motifs, ni le déroulement ne sont imaginables. Certes, la police arrête un premier suspect, Alex Jones, un jeune attardé mental qui parcourt la région dans un camping-car délabré. Mais vu son handicap et le manque de preuves, l’inspecteur Loki, un jeune ambitieux portant en lui aussi son lot d’histoires tragiques, doit le relâcher.

C’est là que le père d’Anna craque. Keller Dover est un « self-made man », un charpentier qui travaille dur pour permettre à sa famille de se maintenir dans la classe moyenne américaine – ou du moins ce qu’il en reste. De plus, c’est un ancien alcoolique qui a trouvé Dieu et qui, dans la manie absolue de vouloir protéger sa famille contre tout ce qui peut arriver, a installé dans leur cave un véritable bunker. Se trouvant pris au dépourvu par cette situation qui lui échappe totalement, il décide de prendre les choses en main et d’enlever à son tour le principal suspect à ses yeux, Alex Jones, pour extraire ses aveux par la torture. En même temps, l’inspecteur Loki n’avance que par petits pas dans une enquête qui devient de plus en plus compliquée et moche?

Plusieurs éléments contribuent à la réussite de « Prisoners ». D’abord, les acteurs : Jake Gyllenhaal dans le rôle de l’inspecteur Loki sent le soufre de son propre enfer, il poursuit son idéal de justicier à l’américaine, mais se brise aux difficultés qui lui barrent la route. Absolument étonnante aussi, l’intensité de Hugh Jackman dans le rôle de Keller Dover. Le « Wolverine » et « Sexiest Man Alive » réussit à démontrer qu’il sait parfaitement incarner un caractère complexe, aux limites et prêt à tout dépassement juste pour rétablir son petit monde parfait. On pourrait éventuellement déplorer que « Prisoners » ne laisse pas assez de place aux rôles féminins, mais ce serait une injustice par rapport au scénario brillant, qui à chaque nouvel élément ajoute une nouvelle incertitude, gardant le spectateur recroquevillé dans son siège jusqu’à la dernière minute.

Et puis, il y a aussi l’atmosphère : Villeneuve filme une Pennsylvanie où le temps n’est jamais beau, où il neige, pleut et vente dans chaque scène. Et sa caméra ne montre aucune pitié devant les revers du « rêve américain » – pâtés de maisons délabrés, hôpitaux et autres institutions à bout de souffle, en veux-tu en voilà.

Mais ce qui frappe surtout, c’est la subtile critique de la religion et du patriotisme à l’américaine que Villeneuve a tissée dans son film. Ainsi, la question de la légitimité de la torture exercée par Keller Dover sur le jeune handicapé mental hante tout le film – et devient une sorte de « re-enactment » de ce que les Etats-Unis font à un niveau plus élevé à Guantánamo ou dans d’autres bases secrètes.

Donc, pour les amatrices et amateurs de sensations fortes mais subtiles, « Prisoners » est le film à ne pas rater.

Aux Utopolis à Kirchberg et à Belval.


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