INTERVIEW: „La Kulturfabrik traverse une crise de croissance“

Début novembre, le nouveau directeur de la KuFa, Serge Basso de March, débute officiellement dans ses fonctions. Mais woxx l’a déjà retrouvé derrière son bureau quelques jours plus tôt. Un entretien au seuil de l’ère Basso.

Plein d’energie et de bonnes idées, Serge Basso de March veut être au service de la création et du public, et ceci pour au moins cinq ans.

(photo: Christian Mosar)

woxx: La Kulturfabrik se présente-t-elle comme un tas de débris ou ressentez-vous au contraire une nouvelle dynamique?

Serge Basso de March: La Kulturfabrik est pour moi un lieu magique qui a un potentiel terrible, mais qui subit ce que subissent les êtres humains: elle traverse actuellement une crise de croissance, inhérente à ses structures. Il faut l’aider, lui donner des vitamines et la faire grandir pour qu’elle devienne un bel adulte responsable et serein. Et je ressens une volonté de la part du personnel et du conseil d’administration de s’ouvrir à une réflexion.

J’ai conscience que je suis le troisième directeur en peu de saisons. C’est à la fois une gageure mais aussi une chance. Ce dont la Kulturfabrik a besoin et ce que moi j’espère être, c’est un catalyseur. La Kulturfabrik existe, il y a une équipe et un conseil d’administration en place: tout le potentiel est là pour que la réaction chimique fonctionne, il manque l’élément qui fait qu’elle marche.

Les problèmes de structure concernent-ils aussi la structure interne de la Kulturfabrik, par exemple les modes de décision?

Quand on pose une réflexion sur un développement, on pose également une réflexion sur le rôle du personnel, sur les moyens, sur l’utilisation des locaux, etc. Mais les réformes nécessaires se feront dans les limites d’un projet cohérent.

J’espère pouvoir sortir en février un dossier de développement sur cinq ans que je vais présenter à mon conseil d’administration et à mes partenaires financiers, mais aussi à toute l’équipe, de la femme de ménage au cadre. Pour moi, c’est très important qu’on marche tous dans l’idée de ce que doit être ce site: un lieu de vie, d’échange, de plaisir, de réflexion. Cela vaut également pour le Kinosch ou la brasserie. Une brasserie qui est déconnectée d’un projet global et qui ne sert que de lieu de consommation, n’est pas intéressante.

Le soutien politique, sous forme de support financier par exemple, est-il suffisant?

Les structures culturelles ne sont jamais suffisamment subventionnées, mais la Kulturfabrik avec son passé, sa culture alternative et son type de structure un petit peu „friche industrielle“, a quelquefois plus de mal que les autres à se faire soutenir. Ceci dit, je dois reconnaître que la participation financière de l’Etat et de la ville d’Esch a augmenté ces derniers temps. Cela ne veut pas dire que ce soit suffisant. Mais je ne pourrai le prouver que lorsque moi j’aurai mis en place un projet.

Vous avez utilisé le terme de „culture alternative“. Ça signifie quoi pour vous?

D’abord, le lieu en soi me semble alternatif. Le grand débat actuel sur les friches industrielles qui deviennent des lieux culturels fait abstraction d’une Kulturfabrik qui est ouverte depuis 1983.

Une culture alternative est une culture qui peut, dans le monde qui nous entoure, proposer d’autres idées que les idées globales et générales. Ça peut signifier le refus de certaines manifestations dans la Kulturfabrik qui ne me paraissent pas intéressantes même si elles peuvent amener du beau monde. Et c’est par exemple le fait d’avoir le mois prochain une rencontre ici avec le groupe „Attac“.

On entend pourtant la critique que la production culturelle alternative à l’intérieur de la Kulturfabrik est freinée, par exemple celle des groupes de jeunes qui y font leur musique.

Je n’en sais rien à ce stade. Mais je vais rencontrer tous les groupes qui travaillent ici. Pour moi il est clair qu’ils ne peuvent pas être simplement des usagers de ce lieu, mais doivent rentrer dans la globalité de notre démarche artistique.

La Kulturfabrik souffre certainement plus que beaucoup d’autres de la forte baisse du bénévolat et de l’investissement citoyen des individus. Une chose qui me paraît hyper-importante, c’est la formation du citoyen, par exemple la formation à l’envie d’aller au spectacle. Je ne suis pas déconnecté, je ne suis pas uniquement au service de la création artistique – je suis à son service quand il y a un échange avec un public.

Les programmes mensuels de la Kulturfabrik sont devenus moins épais …

Il y a moins de programmations parce qu’il y a eu la fermeture, et l’absence d’un directeur pour prendre des décisions. Maintenant, il faut clarifier la situation budgétaire pour savoir ce qu’on peut ou ce qu’on ne doit pas faire.

J’ai l’intention de discuter régulièrement avec les deux programmateurs musicaux de leurs choix de programmation. Moi je m’orienterai plus sur la programmation théâtrale, un ou deux types de musique – le jazz ou les musiques classiques -, les arts plastiques, … mais je voudrais également instaurer un cycle de conférences, réintroduire les cours d’été. La culture scientifique et la culture sociale sont partie inhérente d’un lieu culturel.

J’espère pouvoir coopérer avec des événements comme Villerupt, la fête de la musique, la fête du patrimoine … Il faut travailler sur tous ces événements et réseaux qui existent. Le réseau transfrontalier est déjà en place, mais il faut développer le niveau local. Je veux collaborer avec les structures culturelles d’Esch – comme le théâtre municipal, le conservatoire, les écoles et les lycées -, mais aussi avec les associations culturelles de la commune, comme le club de jazz.

Ressentez-vous personnellement les préjugés courants qu’on peut rencontrer en tant que frontalier au Luxembourg?

Non. Le monde culturel est un monde très ouvert à l’autre et à la différence idéologique, ethnique, de peau et intellectuelle. De par mon passé à Longwy, j’avais déjà travaillé avec beaucoup de partenaires culturels à Luxembourg. Et puis, la Kultufabrik est de fait un lieu de rencontre transfrontalière.

Quelles ont été vos motivations pour venir briguer ce poste au Grand-Duché? Seraient-ce des raisons de salaire?

Ce n’est pas pour ça que je viens. Globalement, les salaires à la Kulturfabrik ne sont vraiment pas énormes, il y a même des enjeux sur les bas salaires dans cette maison. Venant d’une institution nationale, je connais les salaires et je peux dire que je gagnerais la même chose ou même un peu plus en France, où le milieu artistique est singulièrement bien protégé.

Ce qui m’intéresse, c’est cette région que je connais, j’y ai vécu, je l’aime bien. C’est une région de frontière, de métissage, de vie, de dialogue. Mais surtout, j’ai craqué sur ce lieu et sur le challenge. C’est vrai que j’ai des tonnes de problèmes à régler, je suis incapable de dire si je vais réussir. Mais j’aime relever des défis, ensemble avec un public, une équipe. Je n’ai pas la prétention d’être l’homme miracle, le sauveur de la Kulturfabrik. Il n’y a pas de secret, je l’ai dit officiellement dans cette maison: moi, je me donne cinq ans.

Interview: Renée Wagener


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