CLAE: Savoir d’où l’on vient …

Milenko Keserovic et Franco Barilozzi, respectivement vice-président et secrétaire général du CLAE (Comité de Liaison et d’Action des Etrangers), nous parlent d’identité, d’intégration, de leurs convictions et de leurs espoirs en un avenir ouvert à toutes les cultures.

woxx: Pouvez-vous raconter votre biographie luxembourgeoise?

Franco Barilozzi: Je suis arrivé à l’âge de 9 ans, en 1966, avec ma mère. Mon père y était déjà. Vers 18 ou 19 ans, à la fin de l’école, des amis m’ont amené dans un milieu où l’on discutait politique, intégration, revendications … Et je me suis engagé. Pendant six ans, à côté de mon travail de technicien, j’ai milité dans une section d’un syndicat italien. En 1989, j’ai commencé à travailler à l’ASTI et j’étais aussi un des représentants italiens du CLAE, qui était né en 1985.

Milenko Keserovic: Je suis né en Belgique, de parents serbes. Enfant, je ne me suis jamais senti Belge. Je suis arrivé au Luxembourg en suivant celle qui est devenu ma femme. Je suis entré en contact avec le CLAE et j’ai décidé de m’engager.

Comment vous, Milenko, avez-vous perçu l’accueil des „dinosaures“ du CLAE? Et vous, Franco, comment vivez-vous l’intégration de nouvelles personnes au CLAE, vous, qui y êtes depuis si longtemps …

M. K.: J’ai pris un train en marche et j’ai été accueilli très chaleureusement.

F. B.: On constate malheureusement un vieillissement du monde associatif, il est difficile de trouver des bénévoles qui s’engagent. Pour pouvoir avancer l’arrivée de nouvelles personnes est nécessaire.

Chez les anciens y aurait-t-il une certaine perte d’espoir …

F. B.: Parfois il faut attendre de longues années avant que certaines revendications n’aboutissent. C’est un travail de longue haleine et pas tout le monde a la même patience.

Milenko, né en Belgique, d’origine serbe, vous dites ne jamais vous avoir senti en tant que Belge. Cela a-t-il provoqué un malaise en vous?

M. K.: Oui et non. Oui, simplement à cause de mon nom. Si j’allais à une administration, on remarquait tout de suite que je n’étais pas Belge. Et non, parce que j’étais dans un milieu extrêmement étranger. Peut-être était-ce ce qui provoquait cette impression de ne pas être Belge, même si j’étais né en Belgique. A l’école, en première et en secondaire, dans une classe de 25 ou 30 élèves, il n’y avait que quatre ou cinq Belges. Mais, en fait, qu’aurait représenté ce sentiment d’être Belge?

Et au Luxembourg, comment vous sentez-vous?

M. K.: Je ne me sens pas plus Belge qu’avant et je ne me sens pas Luxembourgeois. Je reste toujours fort attaché à mes origines serbes. Et aujourd’hui je me sens plutôt citoyen d’une grande entité, de l’Europe.

Et vous, Franco?

F. B.: J’ai un passeport italien, mais je ne me sens pas cent pour cent Italien. Je retourne de temps en temps en Italie, mais mon chez-moi se trouve au Luxembourg. J’aime bien la société et le pays luxembourgeois. A force de côtoyer, au sein du CLAE, des gens d’origines très différentes, j’ai pris un peu de chacun.

En quelle langue parlez-vous à vos enfants?

F. B.: Moi, en italien, et ma femme en luxembourgeois. C’est un choix. Je voulais qu’ils parlent l’italien, pour qu’ils puissent communiquer avec la famille quand on va en Italie et aussi parce que je pense qu’il est bien de posséder une langue supplémentaire.

M. K.: Ma femme leur parle en français et moi uniquement en serbe, pour leur donner la possibilité de communiquer avec leur famille là-bas et parce que, s’ils connaissent la langue, ils pourront mieux connaître les origines de leur père et de leurs grands-parents et leur culture en général.

Parlez-vous luxembourgeois?

M. K.: Non, ma femme a décidé de prendre des cours de luxembourgeois, car nos enfants iront à l’école ici et qu’on va y vivre un certain nombre d’années. Moi, pour le moment, je n’y pense pas. Au Luxembourg, dans un groupe de 100 personnes, au moins 40 connaissent et pratiquent une langue autre que le luxembourgeois. La langue de communication de la société où je travaille est le français et il n’y a pas un seul Luxembourgeois!

F. B.: J’ai suivi des cours. J’arrive à suivre un peu les conversations. Quand je suis dans des réunions où l’on parle luxembourgeois, je regrette de ne pas le connaître mieux. Mais c’est très difficile, d’autant plus qu’au quotidien je pratique d’autres langues.

Ce n’est pas une sorte de refuge, voire d’aliénation, ce travail, qui, d’une part, agit pour l’ouverture de la société, mais d’autre part contribue à nous faire vivre fermés dans un milieu qui reste celui des étrangers?

M. K.: Mon père est arrivé en Belgique en 1966 et ma mère en 1968. Aujourd’hui ils n’écrivent pas le français et ne le parlent pas correctement. Ils étaient complètement dépaysés, avec une autre langue, une autre culture, et mon père a toujours travaillé dans un milieu où il n’y avait que des Yougoslaves. D’une part, cela n’a pas vraiment favorisé le besoin de l’apprentissage du français et d’autre part le fait de sentir l’appartenance à un groupe leur procurait un sentiment de sécurité.

F. B.: Les premiers temps on reste dans son milieu d’origine, car cela donne un sentiment de protection. Aux débuts du CLAE nous nous disions qu’il fallait s’acheminer vers une société où les nationalismes n’aient plus leur place. Pourtant, il y a encore des sentiments d’identité nationale très forts. Ce n’est pas encore ce qu’on souhaitait. Pour le CLAE, parler de citoyenneté et de résidence, signifie que la personne qui vit au Luxembourg, d’où qu’elle soit, si elle a choisi de vivre ici, doit pouvoir s’exprimer. Ce n’est pas encore pour demain, tout ça!

Est-il si important de considérer une identité comme la „nôtre“? Est-ce que „son“ identité ne peut pas aussi devenir un piège qui nous éloigne du „véritable“ combat pour l’intégration?

M. K.: Tôt ou tard, la plupart d’entre nous se demande d’où on vient. Il est primordial d’avoir „son identité“, rattachée à ses propres origines, son éducation, sa culture … pour pouvoir mieux apprécier celle des autres ainsi que l’identité plus globale dont nous faisons partie.

F. B.: Une identité se compose de multiples variables qui nous viennent de l’endroit où nous sommes nés, de notre éducation, de notre formation, de notre mode de vie, de la langue. Mais une identité se façonne tous les jours. Il faut rester ouvert à notre milieu ambiant, aux nouvelles expériences, à l’apprentissage culturel.

Quel avenir envisagez-vous pour vos enfants? Croyez-vous vraiment que votre engagement va leur servir à mieux vivre?

M. K.: Pour eux je ne crains pas vraiment un problème d’identité, d’intégration, ou de langue: par leur éducation, ces aspects ne seront pas des obstacles, mais plutôt des avantages, ils feront partie de leur vie quotidienne.. Je crains plutôt qu’ils doivent faire face à un monde où les choses risquent de ne pas être „idéales“: multiplication des conflits, pollution croissante, course à la richesse …

F. B.: J’espère que notre travail pour une meilleure éducation, pour une société plus démocratique et ouverte à toutes les influences culturelles, où l’immigration sera vue comme un enrichissement et non comme un problème, portera des fruits et permettra à nos enfants de mieux vivre, en restant attentifs aux problèmes de société et en s’investissant pour une société plus tolérante.

Interview: Paca Rimbau Hernández


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