SACHA BACHIM: Apocalypse elo

Les films de guerre luxembourgeois suscitent toujours l’attention du grand public, et « Heemwéi » n’est donc pas une exception. Pourtant, ce film rompt avec une longue tradition de nanars patriotiques.

« Heemwéi » éclipse l’image du Luxembourgeois héroïque et résistant avec brio.

Encore la Seconde Guerre mondiale et encore l’enrôlement forcé. Les films à cent pour cent luxembourgeois ont beaux être rares, mais cette époque et ce sujet au moins n’auront pas été occultés. Rien que ces dernières années, deux films très oubliables ont été consacrés à l’incontournable figure mémorielle qu’est l’enrôlé de force : « Réfractaires » (2009), mélodrame confus sur fond d’occupation et « Emile » (2010), un nanar patriotique sans sève ni subtilité. Le message qu’ils diffusaient était si stéréotypé et si sclérosé, si soumis aux discours institutionnels inlassablement ressassés par les mêmes personnes depuis des décennies que les personnages principaux faisaient penser à des vieillards grimés en gamins.

Et maintenant voilà « Heemwéi », et on comprend soudain que les jeunes conscrits luxembourgeois dans la Wehrmacht ont véritablement été jeunes, que leurs aspirations, leurs fantasmes, leurs doutes et leurs désirs étaient les mêmes que ceux qui peuvent agiter aujourd’hui leurs petits et même arrière-petits-enfants.

La comparaison avec les films précédents est d’autant plus cruelle qu’ils datent tous de la même période. Bien que « Heemwéi » vienne de sortir cette semaine, il a été tourné à l’été 2008. Etirée sur plus de cinq ans, la postproduction a été plus longue que l’occupation allemande. C’est que l’équipe, essentiellement bénévole, a dû se débrouiller avec un budget dérisoire de 25.000 euros. Le résultat n’en est que plus remarquable.

Le principal mérite de ce film est qu’il donne chair à l’histoire. Frenz et Jos ne sont pas des héros, ce ne sont pas non plus des salauds, ni résistants ni collabos : des garçons et pas des stéréotypes. S’ils ont été contraints de porter l’uniforme de l’occupant, ils ne rejettent pas pour autant tout ce qui est allemand (ni même tout ce qui est nazi?). De même, ils ne désertent pas en premier lieu – ni peut-être même du tout – par patriotisme, mais parce qu’ils veulent sauver leur peau. C’est le désir de vivre qui les fait avancer, aiguillonné, en ce qui concerne Jos, par le souvenir du corps chaud d’une femme. Pour arriver à leurs fins, ils n’hésitent pas non plus à se salir les mains, notamment en traquant un Allemand dans les bois, comme du gibier. Pour ne pas courir le risque d’être dénoncés ils doivent le tuer. La traque s’achève au moment où, blessée, à terre, la victime ne peut plus aller nulle part. Jos tire, mais mal. Ne fait que transpercer d’une balle le ventre de l’Allemand qui va agoniser pendant de très longues secondes avant que, au bout de deux nouveaux essais, son tueur hypernerveux ne finisse par l’achever.

La scène est un hommage au magistral à « Impitoyable » de Clint Eastwood. Les références cinématographiques apparaissent d’ailleurs tout au long du film, dont la forme de plongée au coeur des ténèbres est inspirée d‘ « Apocalypse Now ». Ecrit tel quel, cela paraît grandiloquent, pourtant le résultat est très équilibré, très naturel, parce que les citations ne sont pas prétentieuses mais témoignent simplement d’un amour démesuré pour le cinéma. C’est précisément parce que le projet a été porté par cette passion, non par la volonté d’éduquer la jeunesse et de diffuser un message édifiant, qu’il parvient à se rapprocher de certaines vérités historiques jusqu’ici marginalisées.

Aux Utopolis Kirchberg et Belval.


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