JULIA LEON: Creuser dans le folklore pour mieux connaître son histoire

Julia León préserve la tradition de la musique séfarade. Le woxx a parlé avec la chanteuse de ses influences folkloriques. En concert à Luxembourg le 1er mars.

„Nous faisons la musique avec nos moyens, comme ils ont dû le faire aussi.“ Julia León présentera une musique du monde d’un autre siècle à Luxembourg.

Séfarade (Sefarad) est un mot hébreu signifiant „Espagne“. Son pluriel, sfaradim, désigne les descendants des Juifs de la péninsule ibérique. A l’époque de la domination islamique sur l’Espagne, (du VIIIe au milieu du XIIIe siècle), une importante communauté juive y vivait. En dehors des périodes de persécutions et de conversions forcées, les Juifs étaient tolérés et participèrent ainsi à une véritable symbiose culturelle et religieuse avec les Musulmans et les Chrétiens. La reconquête catholique de l’Espagne, et l’édit royal obligeant les Juifs à se convertir, mit fin à la cohabitation harmonieuse entre les trois religions qui avait duré plus de sept siècles. L’inquisition, instaurée au milieu du XVe siècle, accusa de nombreux „conversos“ (convertis, surnommés avec mépris „marranos“, porcs) de ne pas avoir totalement abandonné leur ancienne religion.

Le 31 mars 1492, le roi Ferdinand et la reine Isabelle, catholiques, signèrent un édit laissant quatre mois à tous les Juifs pour quitter le royaume sans emmener de biens. La plupart se réfugièrent dans l’Empire Ottoman (Salonique, Smyrne, Rhodes, Bosnie, Serbie, Bulgarie, Macédoine, Constantinople et Andrinople), mais aussi en Afrique du Nord (Tétouan, Tanger), en Italie (Livourne), en France (Marseille, Bordeaux) et dans le nord de l’Europe (Amsterdam).

Les expulsés d’Espagne emportèrent avec eux leur patrimoine culturel, leur langue, leurs contes, leurs récits narratifs et leurs chants, source majeure d’enrichissement spirituel, qui furent transmis, surtout par les femmes, de génération en génération. Durant cinq siècles, ils préservèrent leur langue, le judéo-espagnol (également nommé spaniol, spanioliko, djidio, djudesmo ou encore khaketia au Maroc, et ladino lorsqu’il s’agit de traduction de l’hébreu liturgique), espagnol médiéval enrichi de termes hébraïques (à l’instar du yiddish mais dans une moindre mesure) et, ultérieurement, de nombreux mots empruntés aux langues des cultures de résidence (turc, grec, arabe, français).

Suivant sa trajectoire variée et engagée, dans laquelle elle a été cofondatrice, en 1967, du mouvement musical „Canción del pueblo“ (Chanson du peuple), interprété des romances, des chansons du siècle d’or et a participé à des aventures comme „Forgesound“, a mis en musique des poètes comme, notamment, García Lorca, Miguel Hernández, Pablo Neruda, Nicolás Guillén, León Felipe et Antonio Machado, Julia León creuse depuis quatorze ans dans la musique produite par les „enfants de Sefarad“.

woxx: Comment êtes-vous arrivée jusqu’à cette musique?

Julia León: Tout d’abord, parce qu’elle est très belle. J’ai beaucoup travaillé sur le „Romancero“ et je suis arrivée ainsi au „romancero“ séfarade. J’étais en train de travailler sur la musique de fusion. Et quel meilleur exemple que cette musique d’une grande richesse, où coexistent des cadences orientales et occidentales. De plus, et comme beaucoup d’Espagnols, d’ailleurs, je porte deux noms de Juif conversé, León et Gozalo. Cela m’a permis de mieux connaître mon histoire. Je suis restée accrochée.

Quelles sont vos sources?

J’ai eu recours aux gens, et cela m’a permis de rencontrer des familles séfarades en Espagne, au Maroc et en Israël, comme celle d’Isaac Lévi, qui m’a ouvert toutes les portes, qui s’est montrée désireuse de m’apprendre les chansons. Partout j’ai eu des facilités. J’ai organisé deux cycles de musiques séfarades à Madrid et à Valencia, ce qui m’a aidée à rencontrer des artistes et notamment des femmes.

Est-il vrai que la langue s’est maintenue comme à l’époque de leur expulsion?

Absolument! Ils se sentent séfarades et ils tiennent à garder leurs traditions. Or, en ce qui concerne la langue, elle n’a pas été épargnée par les influences actuelles que représentent la TVE-I (télévision espagnole internationale) et Internet. Ceci touche davantage les plus jeunes, qui, de plus en plus, sont amenés à „actualiser“ leur langue.

Est-il si évident, le sentiment d’appartenance à Séfarade?

Il est si évident que lorsqu’ils „rentrent“ en Espagne, d’habitude ils connaissent leur adresse et souvent ils ont les clefs de „leur“ maison. A partir de 1975 de nombreux retours se sont produits, depuis notamment Rabat et Casablanca.

Y a-t-il une attitude particulière face à la situation actuelle au Proche Orient?

En général, les Séfarades sont conservateurs. Or, il n’y a pas d’attitude commune à tous. Ceci dépend des pays où ils vivent et de l’éducation qu’ils ont reçue. Ainsi, ceux qui résident en Europe centrale ou en Amérique latine sont plus libéraux que ceux qui vivent dans des pays sans tradition démocratique.

Outre la langue et la musique, quel est leur héritage?

Plein de choses. C’est un style de vie, qui comprend aussi la cuisine et le sens de l’humour. Bien sûr, on remarque le mélange des cultures et en tant qu’Espagnole, quand je suis avec eux, je comprends que nous sommes les mêmes. Parfois, j’ai l’impression de parler avec ma voisine du cinquième étage! (rires). Cinq siècles après l’expulsion de leurs ancêtres, on dirait que les actuels Séfarades sont nés en Espagne. C’est extraordinaire! Un autre trait fondamental est, justement, la nostalgie, la tristesse d’avoir été chassés de chez eux. Ils aiment profondément l’Espagne. Ils ont leurs maisons pleines d’objets qui représentent des clichés de l’Espagne. Contrairement aux sentiments d’amour-haine qu’on trouve chez des gens de certains pays d’Amérique, comme le Mexique, chez les Juifs séfarades on ne trouve que de l’amour envers l’Espagne.

Y a-t-il des moyens pour préserver cette culture? Par exemple une production culturelle actuelle?

Il y a des publications en ladino („Aki Yerushalayim“), des émissions de radio et il faut souligner l’abondance et la richesse de la poésie actuelle.

Quelle est la situation actuelle du folklore? Compose-t-on encore aujourd’hui?

Il a beaucoup évolué au fil des siècles, mais actuellement il n’est pas très productif. Par exemple, les dernières chansons datent du XIXe siècle. Les sujets sont ceux de l’actualité du moment, avec les coordonnées correspondantes. Au XVIe siècle, l’amour est traité comme „amour de l’amour“, tandis qu’au XIXe siècle il devient plus concret.

Vous manque-t-il un instrument dans votre groupe?

Le kanoun! Mais il y a peu d’interprètes et nous ne pouvons pas jouer comme si nous étions des Séfarades … Nous faisons la musique avec nos moyens, comme ils ont dû le faire aussi.

Interview: Paca Rimbau Hernández

Airs séfarades méditerranéens. Voix: Julia León, Guitare / Luth: Iñigo Aguirre, Violon: Amaya Gutiérrez, Alto:

Nerea Gutiérrez, Percussion:

Andoni Zugasti.

1er mars 2003, 20 heures,

Villa Louvigny

Organisé par le „Círculo Cultural Antonio Machado“

Réservations: Billetterie Centrale (47 08 95)


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