ÉLECTIONS MUNICIPALES: Endormis sur un volcan

A Metz comme partout en France, le Front national a obtenu d’excellents résultats lors du premier tour des élections municipales. Le taux d’abstention, lui, y est encore plus élevé que dans le reste de l’Hexagone.

Trop tard pour tirer la chasse d‘eau ? (Photo: tumblr)

« 21 pour cent ? C’est énorme ! » Le soir des élections municipales, à la mairie de Metz, l’ambiance n’est pas à la fête. Une bonne centaine de personnes s’y est retrouvée afin de suivre en direct l’issue du scrutin. A l’annonce des premiers résultats, quelques militants socialistes applaudissent. Une jeune fille, visiblement énervée, crie : « Vous êtes fiers de ça ? 21 pour cent pour le FN ? Bravo ! »

Le maire sortant, le socialiste Dominique Gros, a rassemblé 35,7 pour cent des Messins. Le soir même, il déclare : « J’aborde le second tour avec confiance. » Sa rivale, Marie-Jo Zimmermann, soutenue par l’UMP, a fait 34,2 pour cent : « On n’a pas perdu et je dirais même qu’on peut gagner. » Françoise Grolet, candidate du Front national, avait promis « une surprise qui explosera à la figure de la gauche et de la droite ». Pari réussi. Elle a obtenu 21,3 pour cent et sera au deuxième tour des élections. A la gauche du Parti socialiste, la liste du Front de gauche, le rassemblement « Basta ! » et la liste soutenue par Lutte ouvrière ont fait, ensemble, un peu plus de huit pour cent. L’abstention a atteint environ 50 pour cent.

« De toute façon, ils sont tous criminels ! »

Le samedi précédant les élections, dans un bar de la place Saint-Louis au centre-ville de Metz. C’est l’après-midi, il pleut dehors et le bar n’est pas très fréquenté. « Pourquoi il ne se passe jamais rien sur cette place ? », s’interroge à voix haute le patron en regardant par la fenêtre. Un type, assis au comptoir, tente la discussion politique : « Et vous, vous allez voter pour qui demain ? » Le patron du bar répond immédiatement : « Moi, j’ai 45 ans, et jamais je ne suis allé voter. » Rires. Il explique : « Pour moi, voter pour le moins pire, ce n’est pas un choix. De toute façon, ils sont tous criminels ! » « Bientôt, il faudra voter pour celui qui a fait le moins de prison, t’as vu l’histoire de Sarkozy ? », répond un autre. « Ben oui, et ce n’est pas le seul? de toute façon, ils n’en ont rien à foutre de nous. Que je vote ou pas, ce n’est pas pour ça que j’aurai plus d’argent à la fin du mois. »

Le 27 janvier 1848, Alexis de Tocqueville, dans un discours tenu à l’Assemblée nationale, prévoit la révolution qui aura lieu un mois plus tard. « On dit qu’il n’y a point de péril, parce qu’il n’y a pas d’émeute ; on dit que, comme il n’y a pas de désordre matériel à la surface de la société, les révolutions sont loin de nous. Messieurs, permettez-moi de vous dire, avec une sincérité complète, que je crois que vous vous trompez. »

Comparé au reste de la Lorraine, le résultat du Front national à Metz n’est pas des plus impressionnants. 25 élus FN vont siéger dans 11 communes lorraines de plus de 1.000 habitants. Onze listes soutenues par le parti seront au deuxième tour, y compris à Thionville et à Metz. A Forbach, le porte-parole du Front national, Florian Philippot, arrive en tête avec plus de 35 pour cent des voix. A Hayange, dans la vallée de la Fensch, l’ex-syndicaliste CGT Fabien Engelmann, aujourd’hui tête de liste pour le FN, arrive en première place avec 30 pour cent. Le maire sortant, socialiste, arrive en troisième place. Seule Nancy résiste : ici, le Front national atteint à peine six pour cent.

Un mardi matin à la gare de Metz. Sur le quai huit, les frontaliers attendent le train de neuf heures pour aller travailler au Luxembourg. Assis sur un banc, trois personnes, dont l’apparence laisse supposer qu’elles sont ce qu’on appelle des Roms. Trois agents de sécurité se promènent sur le quai. « Sûreté SNCF » est inscrit en grandes lettres sur le gilet pare-balles qu’ils portent. Carrures larges, matraques et pistolets à la ceinture, têtes rasées, ils ont l’air tout sauf sympathiques. Ils s’arrêtent à la hauteur des trois Roms et les observent. « C’est des gitans ? », demande l’un d’entre eux. « On dirait », répond son collègue. Le train arrive, les observés montent. Les agents de sécurité les suivent. Sitôt le train mis en route, ils appellent le contrôleur en renfort. « Bonjour, contrôle des tickets. » Les trois Roms sont contrôlés. Leurs titres de transport, ainsi que leurs documents d’identité sont examinés. A Hayange, ils sont priés de descendre du train. Personne ne proteste. Le train se remet en route. Plus personne ne sera contrôlé tout au long du trajet.

« Metz est devenue une plaque tournante pour les immigrés et faux demandeurs d’asile », déclare Marine Le Pen, en visite dans la ville le 14 mars pour soutenir Françoise Grolet. Elle fait le tour des petits commerces situés avenue de Nancy. Entourée de gardes du corps, prise d’assaut par les journalistes, elle entre dans une dizaine de magasins. « Marine, on peut faire une photo ? » Plusieurs jeunes se prennent en photo avec la présidente du parti d’extrême droite. « C’est scandaleux que des familles attendent un logement pendant des années, et qu’on leur dise : Désolé, il y a une famille kosovare qui prendra votre place », déclare-t-elle lors de la conférence de presse.

« On laisse les Français crever de faim ! »

« Je ne suis pas raciste », dit la dame chez le coiffeur. Elle est en train de se faire couper les cheveux et parle politique avec la coiffeuse. « Mais au bout d’un moment, il faut arrêter quand même. Pendant qu’on donne tout aux Roumains, on laisse les Français crever de faim, sans rien. L’autre jour j’ai vu une Roumaine qui faisait la manche. Après, elle est montée dans une grosse Audi. Ne me dites pas que c’est normal ! »

A la mairie de Metz, le soir du premier tour. La jeune fille qui s’est énervée lors des applaudissements des militants du PS s’explique : « Ca me dégoûte. Ils sont contents, alors que le FN fait plus que 20 pour cent. Ils devraient plutôt se poser des questions sur le rôle de leur parti dans tout ça. » Elle-même n’est pas allée voter. « J’ai toujours été voter. J’ai été socialisée dans une bonne famille de bourgeois républicains socialistes qui m’ont démontré pendant des années à quel point le vote était important? mais je n’y crois plus. On ne vit pas dans une démocratie ! » Pourtant, elle affirme avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon lors des dernières élections présidentielles. « Mélenchon, j’y croyais ! », se rappelle-t-elle. « Mais aujourd’hui, la gauche, la vraie, ne rassemble plus. Ils sont incapables de s’organiser autour d’une liste. Il y avait quatre listes de gauche ici ! » Mélenchon est pour elle « populiste et démago, incapable de présenter de vraies alternatives ».

Alexis de Tocqueville, en 1848, ne croit pas à l’indifférence de la société face à la politique. « Sans doute, le désordre n’est pas dans les faits, mais il est entré bien profondément dans les esprits. Regardez ce qui se passe au sein de ces classes ouvrières, qui aujourd’hui, je le reconnais, sont tranquilles. Il est vrai qu’elles ne sont pas tourmentées par les passions politiques proprement dites, au même degré où elles ont été tourmentées jadis ; mais ne voyez-vous pas que leurs passions, de politiques, sont devenues sociales ? »

« Leurs idées, ça fait longtemps qu’elles sont au pouvoir »

Un jeune homme se mêle à la discussion. Lui aussi semble déçu par le résultat du Front national dans sa ville. « Mais en s’abstenant, tu ne changeras rien non plus ! » « Et la gauche au pouvoir, qu’a-t-elle changé ? », réplique la fille. « Je te donne raison, mais je préfère encore la fausse gauche à la vraie droite. La différence, tu la verras le jour où le FN prendra le pouvoir. » – « Pour moi, il n’y a plus de différence. T’as qu’à voir leur politique en matière de sécurité et d’immigration ! Ce que le FN dit, l’UMP et le PS le font depuis longtemps. Ils n’ont juste pas les couilles de l’affirmer ouvertement ! » L’homme n’est pas d’accord. « Justement, plus le Front national gagne de terrain, plus les autres partis se décalent vers la droite. » « Donc, ils font la politique des fachos, pour les empêcher d’arriver au pouvoir ? Mais alors, leurs idées, ça fait longtemps qu’elles sont arrivées au pouvoir ! » « Voilà, il faut donc que les gens de gauche se mobilisent ! » « Oui, mais 50 pour cent d’abstention, ça aussi, ça veut dire quelque chose. Ça veut dire que les gens en ont marre, surtout ceux qui croyaient en la gauche ! »

Tocqueville, en 1848, donne l’alerte : « Ne voyez-vous pas qu’il se répand peu à peu dans leur sein des opinions, des idées, qui ne vont point seulement à renverser telles lois, tel ministère, tel gouvernement, mais la société même, à l’ébranler sur les bases sur lesquelles elles reposent aujourd’hui ? »

« Il se passe quelque chose, incontestablement, tout ça crée un immense élan d`espoir, les Français n`en pouvaient plus d`être coincés entre l`UMP et le PS. » Quelques minutes après l’annonce des premiers résultats, Marine Le Pen est confiante. Sur France 2, elle déclare : « Le Front national s`implante comme il le voulait et il le fait avec un cru exceptionnel. » Elle a de quoi être heureuse. A l’échelle nationale, son parti est arrivé en tête dans plusieurs villes, notamment à Avignon, Fréjus, Perpignan ou encore Béziers. A Hénin-Beaumont, ville du Pas-de-Calais de 25.000 habitants, où Marine a fait ses débuts politiques en tant que conseillère municipale, Steeve Briois, secrétaire général du parti, gagne au premier tour. Le Pen s`était fixé l`objectif de plus de 1.000 conseillers municipaux. Le soir du premier tour, selon le ministère de l`Intérieur, le parti en avait déjà fait élire 456. Il sera présent dans plus d’une centaine de triangulaires à travers la France.

« Elle non plus, elle n’est pas mieux que les autres »

Le lendemain du premier tour, au stade du FC Metz. L’équipe locale a gagné, il fait nuit, les gens sont de bonne humeur. Une discussion entre deux jeunes s’engage. « T’as entendu, le score du FN ? », demande le premier. « Oui, pas évident. Mais bon, moi je ne peux rien dire, je ne suis pas allé voter », répond le deuxième. « Moi non plus », acquiesce le premier. « Aux présidentielles, j’ai voté Hollande pour empêcher Sarko de gagner. Maintenant, je regrette. » Son interlocuteur est du même avis : « Pour moi, Hollande n’est pas assez à gauche. Même l’extrême gauche n’est pas assez à gauche ! » L’autre lui donne raison. « Mais ça fait un peu peur quand même, toute cette histoire de Front national. » « Moi, ça ne me fait pas peur. C’est normal, c’est les jeunes qui n’ont pas de travail et qui sont dans la merde, ils votent Marine. Tôt ou tard, ils verront qu’elle non plus, elle n’est pas mieux que les autres. »

En 1848, Alexis de Tocqueville continue son discours : « Ne voyez-vous pas que, peu à peu, il se dit dans leur sein que tout ce qui se trouve au-dessus d`elles est incapable et indigne de les gouverner ; que la division des biens, faite jusqu`à présent dans le monde est injuste ; que la propriété y repose sur des bases qui ne sont pas des bases équitables ? »

L’extrême gauche, elle, a du mal à expliquer son échec à Metz. La liste « A Metz, l’humain d’abord » soutenue par le Front de gauche, a déclaré : « La stratégie de l’indépendance du Front de gauche a payé ailleurs, ici l’ambigüité entretenue par certains sortants sur leur investiture, l’utilisation abusive par d’autres du logo Front de gauche, nous a objectivement fait mal. » « A Metz l’humain d’abord » appelle à « faire barrage à la droite et à l’extrême droite » lors du deuxième tour. La liste « Basta ! », rassemblement de la gauche libertaire, anticapitaliste, écologiste et syndicaliste, a déclaré : « Nous ne donnons aucune consigne de vote. Pour notre part, les choix porteurs d’avenir sont dans les luttes sociales. » Au sujet du taux d’abstention au premier tour, « Basta ! » tente l’explication : « Bien souvent  cette abstention reflète non pas l’indifférence, mais l’indignation, voire le dégoût et la défiance car les jeux politiciens entre des personnages qui font semblant de s’opposer ont cessé d’amuser les classes populaires. »

« Ne croyez-vous pas que, quand de telles opinions prennent racine, quand elles se répandent d’une manière presque générale, quand elles descendent profondément dans les masses, elles amènent tôt ou tard, je ne sais pas quand, je ne sais comment, mais elles amènent tôt ou tard les révolutions les plus redoutables ? Telle est, messieurs, ma conviction profonde ; je crois que nous nous endormons à l’heure qu’il est, sur un volcan, j’en suis profondément convaincu. »


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