POLITIQUE CULTURELLE: Le bulldozer

Projets retirés en cours de route et annulation de toutes les conventions – pour réformer la culture au Luxembourg de façon correcte et efficace, un peu plus de retenue serait de mise.

Gageons que ça ne va plus durer longtemps avant que quelqu’un se mette à comparer Maggy Nagel à son homonyme anglaise Maggy Thatcher. Certes, l’ancienne bourgmestre de Mondorf n’est pas première ministre du pays, mais là où elle a son mot à dire, et surtout dans le domaine culturel, elle est en train de se faire la même image : celle d’un bulldozer, très réticent aux conseils de son entourage. Celle d’une ministre cowgirl aussi : d’abord on tire ; après on réfléchit.

Rappelons les faits d’armes en matière d’économies aux dépens de la politique culturelle : la tournée de l’OPL en Chine annulée, tout comme l’exposition « La Petite Guerre au Luxembourg ». Ce n’est pas tant le fait que ces deux événements soient passés à la trappe pour des raisons d’économie. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois. Non, c’est le comment de l’affaire qui est proprement scandaleux quand on connaît les ambitions de ce nouveau gouvernement. Car les décisions ont été prises en catimini, sans que les principaux intéressés aient été invités à dialoguer, à justifier leurs projets ou même tenus au courant du vacillement de ce à quoi ils se préparaient. Cela n’a plus rien à voir avec la transparence et la démocratie tant promises. C’est plutôt un retour à l’ancien régime, avec en prime la certitude que rien n’est certain, excepté le fait qu’il y aura moins de moyens.

Certes, la culture doit être réformée et la non-politique culturelle menée par Octavie Modert n’était pas une solution, mais un éternel statu quo qu’elle tentait de maintenir en équilibre pour ne décevoir personne. Il est vrai aussi que la façon dont le ministère de la Culture allouait ses subventions et conventions était souvent aléatoire et non précise. Quand on voit par exemple avec quels soins pénibles chaque petite subvention est contrôlée au ministère de la Coopération, on peut dire que la culture était jusqu’ici plutôt bien servie. Pourtant, s’acharner sur les milieux culturels en annulant toutes les conventions est doublement erroné. Premièrement, parce que les institutions qui bénéficient de conventions (théâtres, centres culturels, mais aussi troupes sans institution fixe) planifient toujours à long terme – tandis que le consommateur découvre la saison courante, celle d’après est souvent déjà presque réglée dans les derniers détails. Cela vaut encore plus pour les musées. Or, comment pourront-ils travailler s’ils ne savent pas ce qui les attendra dans un an ? La deuxième raison pour laquelle une annulation est fausse et non nécessaire pour réformer le financement de la culture (car on peut très bien changer une convention sans la dénoncer unilatéralement) est que les renégociations prendront beaucoup de temps et de ressources. Le risque est grand que, dans ce cas, le ministère de la Culture ait les mêmes réflexes que d’autres ministères et qu’il paie des boîtes de conseil pour l’aider. Et confier la politique culturelle à des boîtes de conseil, ce n’est pas vraiment ce qu’on s’imaginait avec le nouveau dynamisme promis? Finalement, s’en prendre aux milieux culturels pour faire des économies n’est pas anodin. Entre-temps, les milieux créatifs ne sont plus peuplés par des fonctionnaires qui font un peu de culture pendant leur temps libre, mais il y a des personnes qui ont bâti leur existence là dessus. Des existences souvent précaires et difficiles, mais nourries par la passion de créer. S’en prendre à celles-ci en premier, c’est aussi montrer combien le gouvernement estime cette passion.

Du moins ces derniers sursauts ont-ils abouti à une chose (encore) assez rare sous cette législature : ils ont uni l’opposition. Aussi bien Déi Lénk – qui se sont offusqués via une question parlementaire – que l’ADR, où Gast Gybérien a même déposé un amendement à la loi budgétaire créant les 256.000 euros « manquants » à l’exposition sur la « Petite Guerre ». Et même le CSV a réagi. Outre les contre-arguments pas vraiment crédibles d’Octavie Modert, le CSJ a pondu un communiqué qui, s’il ne portait pas leur insigne, pourrait aussi bien passer comme celui d’un parti d’extrême gauche. Ils vont même jusqu’à prétendre que la « politique culturelle ne peut être réduite aux lois du new public management. » Et ça, en revanche, c’est du grand art.


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