SU-MEI TSE: „Je suis artiste et, par hasard, je suis Luxembourgeoise“

Une femme menue, à l’apparence fragile et au regard déterminé, qui dégage l’assurance de ceux qui consacrent du temps à l’observation et à la réflexion … Su-Mei Tse (Luxembourg, 1973) représentera le Luxembourg, avec l’oeuvre „air conditioned“, à l’édition 2003 de la Biennale de Venise.

Su-Mei Tse: „L’éducation est très importante dans mon travail, car je pense qu’elle fait partie de nous, qu’elle nous marque, qu’on y est liés, même si on n’est pas forcément d’accord avec ce qu’on a reçu.“ (photo: Christian Mosar)

woxx: Que diriez-vous sur votre travail?

Su-Mei Tse: La technique, même si elle est très présente dans mon travail, m’intéresse très peu au départ. Je pars toujours d’idées ou de choses que j`ai envie d’exprimer. Ce n`est qu’après que je choisis le médium dans lequel je peux le mieux les transmettre. J’utilise des langages qui me sont proches, comme la musique ou le visuel. Pour moi tout est lié à une sorte de propre interprétation, c’est-à-dire, si je lis une phrase ou un texte, ma lecture sera différente de la vôtre, car tout est lié à ses propres références, intellectuelles et émotionnelles. Je travaille souvent sur des normes qui sont très personnalisées. Je pars de moi pour parler des choses que je connais, pour être honnête dans le travail et pour connaître mes limites de territoire. L’humour est aussi très important pour moi. J’ai envie de faire de l’art non seulement pour me casser la tête mais aussi pour m’amuser.

Comment s’est fait en vous le passage du privé au public?

Assez naturellement. Au départ, je le faisais pour moi, mais ensuite j’ai eu envie de montrer mon travail, d’en parler, de ne pas rester enfermée. Il n’y a pas d’évolution si on s’enferme dans ses propres idées. Exposer son travail au public signifie aussi avoir des échanges avec d’autres personnes, recevoir des avis et prendre de la distance, ce qui est très important pour continuer son travail. Lorsqu’on montre celui-ci, on se rend compte aussi de ce qu’on aimerait y changer, ou des choses qu’on aime et qu’on veut garder.

Vous parlez de l’interaction. Le public finit ou continue le travail entamé par l’artiste. Mais qu’en savez-vous?

Parfois il y a des articles ou des commentaires. J’aime parler avec les gens. L’écho est quelque chose de très symbolique. C’est quelque chose qui est lancé et qui peut aller plus loin que ces pavillons. Les réactions des gens peuvent être très différentes. Moi-même, j’ai besoin de m’inspirer, soit dans l’art, dans la danse, dans la rue … Les échanges comptent beaucoup pour moi.

Su-Mei Tse … votre nom ne semble pas très luxembourgeois …

J’imagine que les gens se disent „Ce n’est pas une vraie Luxembourgeoise“. Mais je ne crois pas que la nationalité puisse résumer un individu. Pour moi ce ne sont pas les nationalités mais les cultures, qui jouent un grand rôle. La culture luxembourgeoise m’a marquée et je ne suis pas la seule à avoir un nom „bizarre“ au Luxembourg. D’autre part, je ne veux pas mettre trop d’importance sur le titre d’artiste luxembourgeoise. Je suis née ici, j’ai mes amis ici, comme j’en ai ailleurs. Et justement une des choses contre lesquelles je me révolte dans mon travail, ce sont les généralités. Je ne le nie pas du tout: je suis artiste et, par hasard, je suis luxembourgeoise. Je vis entre Luxembourg et Paris et c’est cet „entre“, qui me permet d’avoir de la distance. Par exemple, quand je vais à Paris, je remplis un peu mes piles et ici je vis la phase de digestion, de recul, de distance, qui me permet de me concentrer sur mon travail et de le réaliser.

Comment voyez-vous le panorama artistique au Luxembourg?

A nouveau, je ne peux pas parler de manière générale. Il y a plusieurs scènes, dont une artistique, qui est connue du public et de la presse. La mienne est composée par des amis qui ne sont pas forcément des artistes. Ce qui compte pour moi ce sont des gens intéressants et surtout passionnés. Bien sûr, j’ai beaucoup d’amis qui sont artistes, mais cette amitié ne s’est pas créée parce qu’ils sont artistes, mais parce que des échanges se sont établis ou parce qu’il y a des affinités entre nous.

Votre réaction au commentaire „Au Luxembourg, il ne se passe rien“ …

Je ne suis pas du tout d’accord! Tout se passe partout. On parle toujours d’une sphère globale, mais il y a une intimité qui ne se montre pas tout de suite et qu’il faut chercher et découvrir. On voit un tas, mais, à l’intérieur, plein de choses se passent sans que l’on s’en aperçoive.

Il y a encore énormément de choses à réaliser au Luxembourg, mais on ne peut pas partir d’une base négative – „ici, il ne se passe rien“ – pour construire quelque chose de positif. Le Luxembourg est un petit pays et les échanges avec d’autres pays sont importants: il doit être ouvert à ses voisins et doit être présent aussi à l’étranger.

Comment est perçu le Luxembourg à Paris?

C’est bizarre. Si vous demandez à un Chinois, fort probablement il saura quelque chose du Luxembourg, mais pas tous les Français savent que leur pays touche le Luxembourg! Je crois que maintenant la situation commence à changer, car beaucoup de choses bougent autour de la culture, qu’on invite plus de gens de l’extérieur et que plus de Luxembourgeois sont présents dans des manifestations internationales.

Votre père est Chinois et votre mère Britannique. Avez-vous gardé des traits particuliers de vos cultures originales? Les remarque-t-on dans votre travail?

L’éducation est très importante dans mon travail, car je pense qu’elle fait partie de nous, qu’elle nous marque, qu’on y est liés, même si on n’est pas forcément d’accord avec ce qu’on a reçu. Par après, c’est à nous de mettre notre grain de sel. Je ne parle pas chinois, mais je suis des cours depuis deux ans, comme n’importe qui d’autre qui n’aurait pas mes origines. La langue de ma famille était très émotionnelle et très personnalisée. On s’exprimait beaucoup avec la musique – mes parents sont musiciens. Notre langue se basait sur une sorte de code et il fallait faire un effort, ailleurs, pour exprimer les choses différemment. Je me situe toujours dans l'“entre“. Par exemple, j’ai fait un travail sur les pieds bandés des femmes en Chine. Cela représente l’étouffement, l’oppression. Visuellement et symboliquement c’est quelque chose de très choquant. J’ai fait une série de photos sur ces pieds bandés, mais j’ai recréé cette image, parce que c’était trop dur pour moi et aussi parce que c’était trop évident: je vois des pieds bandés et je montre des pieds bandés. Guidée par mon inconscient, j’ai fini par faire danser les pieds sur de la musique pop anglaise. C’était cela dont j’avais envie de parler! Je voulais montrer des pieds complètement libérés, qui dansent, qui s’éclatent.

En tant que musicienne, quelle est votre musique préférée?

Très classique et très pop. J’aime beaucoup les contrastes. J’adore les grands classiques, cela peut être un concerto d’Elgar joué par Jacqueline du Pré, que je considère comme très expressive, mais cela peut être aussi Madonna. Tout dépend du moment. En voiture j’adore la pop. On est en mouvement, on se déplace …

Quelle attente avez-vous vis-à-vis de ce que le spectateur ressent?

Je propose et j’ai envie que ce que fais touche les gens, mais je ne peux rien imposer. Tant mieux si cela fait partie d’une chaî ne et peut provoquer d’autres créations, comme cela peut m’arriver à moi-même, lorsque je suis inspirée par un concert, ou par un musicien de rue, ou par une oeuvre. Je travaille sur mon idée, je veux proposer quelque chose qui attire le regard. Quand j’ai montré le travail sur les pieds, cela m’a fait très plaisir de voir des gens qui prenaient les casques, qui dansaient, qui riaient et s’éclataient. Or, j’insiste, cela ne peut pas s’imposer, cela doit venir spontanément.

Interview: Paca Rimbau Hernández


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