ÉLECTIONS EUROPÉENNES: Danger méconnu

Ils sont les stars secrètes de ces élections européennes : les partis populistes et d’extrême droite qui mettent ouvertement en cause le projet européen. Face à cette menace, les partis établis semblent désarmés. Au Luxembourg, un colloque a tenté de trouver des réponses.

Syndrome typique des partis populistes : la méfiance exacerbée contre la démocratie européenne de l’Alternative für Deutschland.

Qui a peur du grand méchant loup ? Si on comptait les mentions de la menace d’une montée de l’extrême droite en Europe, on se rendrait vite compte que la majorité d’entre elles provient de politiciens du parti populaire européen (PPE), le plus grand bloc de droite de l’Union. En effet, on lit rarement une interview de leur candidat Jean-Claude Juncker dans laquelle il ne fustige pas ces partis et où il n’assure pas de ne jamais céder à leurs revendications. Pourtant, dire que le PPE serait un garant de la démocratie en Europe et un barrage efficace contre l’extrême droite est une erreur. Et non seulement parce que deux partis douteux – le Fidesz hongrois et la Forza Italia italienne – en sont membres, mais aussi parce que cette aversion contre l’extrême droite est intéressée d’un point de vue électoral. Entendez : la montée de ces partis pourrait coûter la victoire au PPE aux élections à la fin du mois. Car, au Parlement européen, il n’y a pas une, mais trois formations de droite (le PPE, les Conservateurs et réformistes européens et le groupe Europe libertés démocratie), et si l’union des extrémistes entre le FN de Marine le Pen, la BZÖ de Heinz-Christian Strache et le PVV de Geert Wilders aboutissait à une nouvelle fraction, ils seraient quatre et donc d’autant plus divisés.

Mais la montée de partis populistes en Europe n’est pas une menace pour le seul PPE, loin de là. Afin d’explorer le phénomène, le Luxembourg Institute of European and International Studies a organisé cette semaine son avant-dernier colloque avant sa disparition en fin d’année, comme Armand Clesse, son directeur, l’a confirmé, sur le thème « The Rise of Anti-EU Parties and the European Elections » avec une belle brochette d’experts en la matière.

Deux grands coupables : les partis établis et la presse.

Dans les grandes lignes, deux coupables ont été détectés : les partis établis et les médias. Les partis établis, donc le mainstream conservateur ou social-démocrate, se sont déjà rendus coupables par le passé, en n’intervenant pas. Que ce soit pour le FN en France, où la classe politique pensait au début qu’il serait un phénomène passager comme son prédécesseur, le poujadisme, le FPÖ en Autriche, où les pseudo-sanctions de l’UE en 2000 ont contribué à normaliser sa présence au pouvoir, la participation au pouvoir de la Lega Nord en Italie en 2001, qui est passée sans problème, la coalition entre conservateurs et extrémistes de la Ligue des familles en Pologne en 2006 ou encore le silence assourdissant de l’Union européenne et du PPE face aux agissements anti-démocratiques du Fidesz en Hongrie – à chaque fois, la classe politique régnante a brillé par son apathie et a donc tacitement toléré la montée de ces partis. Pire, on constate même que les conservateurs tentent récemment de singer le discours des extrémistes pour gagner des voix, tout en risquant que les électeurs préfèrent l’original à la copie. Un exemple en serait la droite française qui, depuis la chute de Sarkozy, ne se fait remarquer généralement que lorsqu’un de ses représentants dérape, comme l’a fait encore cette semaine le député UMP Thierry Mariani avec son tweet déplacé sur l’enlèvement de jeunes filles au Nigéria. Même si le socialiste Valls avec ses tirades anti-Roms n’est pas innocent non plus.

Les chaînes d’info se connectent directement sur la régie média du FN.

On constate donc que les grands partis sont désemparés face à la montée des populistes. Mais qu’est-ce qu’un populiste au juste ? Andrej Zaslove de l’université de Nijmegen en a probablement donné la définition la plus claire : un populiste est quelqu’un qui divise la sphère politique en deux blocs, d’un côté l’élite corrompue et de l’autre le peuple pur. C’est la croyance en la pureté du peuple qui ne serait pas représenté, mais au contraire exploité par la classe régnante, qui définit le populiste et qui peut le rendre très dangereux. Aussi dangereux que peut être la rhétorique des partis établis quand ils sont confrontés à des opinions dissidentes. C’est Marc Swyngedouw de l’université de Louvain qui a pointé le danger d’un « overstretching » du concept du populisme – en d’autres mots, il est devenu un argument marteau contre ceux qui s’opposent à l’orthodoxie libérale et aussi un moyen pour éviter, voire étouffer, toute discussion. Cela tient à la position carrément autiste du mainstream politique face aux populismes, mais aussi face à un autre phénomène qui est aussi à l’origine du problème : l’abstentionnisme. C’est lui qui a créé le vacuum que les formations anti-UE ont sabordé. Ou pour le dire avec la phrase assassine de Duncan Mc Dowell de l’université de Fiesole : « Le grand vainqueur des élections européennes sera l’apathie. »

En ce qui concerne les médias, la plupart des experts ont été unanimes pour leur attribuer une part de culpabilité. Ils auraient contribué largement à normaliser e discours populiste, voire à le surmédiatiser pour la seule raison que le scandale fait vendre. C’est Jean-Yves Camus de l’Iris, un des experts les plus connus en la matière, qui a rendu attentif à la dimension que la coopération entre médias et extrême droite, par l’exemple de chaînes d’info en direct françaises qui n’envoient plus de correspondants à des meetings du FN, mais qui prennent leurs images directement de la régie média du parti. S’il est vrai qu’une grande partie des médias mainstream est coupable d’une surmédiatisation de l’extrême droite, il faut aussi voir l’autre côté : le discours de ces partis. Et là c’est un phénomène à double tranchant. D’un côté on a assisté à une normalisation – en surface – de leur discours, laissant de côté des revendications ouvertement racistes en se référant à des concepts plus politiquement corrects. Tandis que de l’autre côté, ils menacent de poursuites les journalistes qui tentent de crever la surface en démontrant que ces partis se nourrissent bel et bien d’une base ouvertement raciste et que les discours d’en bas n’équivalent pas aux belles phrases de leurs leaders dans les médias. C’est surtout cet aspect qui fut absent de la discussion au colloque, malheureusement.

Quant à savoir comment définir un parti anti-UE, les idées sont très différentes. Mais en général on peut prendre en compte certains traits : un repli vers l’Etat national, une appréhension contre l’étranger et surtout l’islam, une mise en valeur de certaines « valeurs occidentales » tout comme – chez certains – une opposition fondamentale aux progrès sociétaux comme le mariage homosexuel ou l’avortement. Des traits que d’ailleurs l’historien luxembourgeois Lucien Blau a aussi identifés chez l’ADR, auquel il attribue un « nationalisme différentialiste dans la continuité de la National Bewegung des années 1990, voire une peterisation des esprits ».

Le constat final est donc plutôt catastrophique : face à une classe politique qui semble à la merci des lobbys et de la grande finance, les partis d’extrême droite ont tout à gagner. Même la gauche anti capitaliste ne semble pas en mesure de contrer la montée des ressentiments – ce qui est probablement du à l’anti communisme fervent encore à l’oeuvre dans une partie de ces partis. Et pourtant, la solution pourrait être très simple : prendre au sérieux les soucis des « petites gens » sans les traiter de haut et peut-être enfin oeuvrer effectivement à une meilleure redistribution des richesses.


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