AVORTEMENT: Lissage

Moins révolutionnaire que le mariage pour tous, mais pas moins importante : l’adaptation des règles concernant l’avortement est aussi un moyen de réparer les erreurs de 2012 – elle démontre en outre que la coalition n’avance que sur la politique sociétale.

Pas satisfaits à cent pour cent : Maddy Muhlheims et Gilbert Pregno de la Commission consultative des droits de l’homme.

Quand, en novembre 2012, l’ancienne coalition entre CSV et LSAP s’est décidée enfin à mettre en place une nouvelle réglementation sur l’avortement – ce qui ne constituait pas un geste de bonne volonté de sa part, mais donnait juste suite à une résolution de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – la bataille fut âpre. Et le résultat, somme toute, minable. La deuxième consultation allait rester obligatoire et l’avortement resterait inscrit au code pénal. Deux dispositions donc qui insultaient la liberté des femmes à prendre leur décision en toute souveraineté. Deux dispositions aussi qui contrecarraient toujours une des prédispositions de l’ancienne loi de 1978 sur la prévention de l’avortement clandestin. A l’époque, cette loi avait mis l’ensemble de la droite en émoi : le CSV, qui redoutait une répétition du drame de la bataille pour l’euthanasie au parlement et qui avait donc fait le forcing contre son partenaire junior socialiste, et l’ADR qui, face aux positionnements ultracatholiques de son président d’alors, Fernand Kartheiser, avait frôlé l’implosion avec le départ de deux de ses députés.

Moins de deux ans et un équilibre politique renversé plus tard, la situation est largement différente. Et comme avec le mariage pour tous, le gouvernement, et en l’occurrence le ministre de la Justice Felix Braz, est prompt à ajuster les lois luxembourgeoises au juste progrès – comme toujours dans le sociétal, généralement parce que cela ne coûte presque rien, mais peut rapporter l’approbation de l’électorat de la coalition.

Adaptation sans prévention

Première grande nouveauté du projet de loi 6683 : « La législation relative à l’interruption volontaire de grossesse ne fera plus partie du Code pénal et sera intégrée dans la loi du 15 novembre 1978. » En d’autres mots, l’avortement n’est plus passible de peine pénale. Vraiment ? Les jeunes conservateurs du CSJ, une des rares organisations à avoir réagi au projet de Braz, relèvent quant à eux une « supercherie ». La cause en est une disposition qui introduit les mêmes vieilles sanctions contre la femme qui avorte hors du cadre de la nouvelle loi. Ce qui veut dire, pour le CSJ, que le gouvernement maintient la pénalisation, juste à un autre endroit que l’ancienne loi. C’est un peu le monde à l’envers : de jeunes conservateurs qui reprochent à un gouvernement qui se veut progressiste de ne pas aller assez loin.

Pourtant, un autre organe qui a aussi réagi, la Commission consultative des droits de l’homme (CCDH), ne voit pas cette disposition du même oeil : « En tant que CCDH, nous acceptons que l’IVG reste criminalisée si elle se passe hors du cadre légal prévu par la nouvelle loi », a indiqué Maddy Muhlheims de la CCDH, en marge d’une conférence de presse tenue mercredi passé.

Si la CCDH ne semble pas avoir le même problème avec le projet de loi 6683 que les jeunes conservateurs, cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas de critiques, ni de recommandations à formuler. Mais en premier lieu la CCDH – d’ailleurs saisie par le gouvernement en avril 2014 – se « réjouit que le projet de loi suive les recommandations qu’elle avait formulées dans ses avis » sur le projet de loi de 2012. Elle « constate avec satisfaction que le gouvernement entend redresser dans les meilleurs délais le statut de la femme enceinte décidée à recourir à une interruption volontaire de grossesse non désirée et confirmer son autonomie dans la prise de décision courante ». Maddy Muhlheims a précisé se réjouir particulièrement du fait que l’IVG ne soit plus dépendante d’une autorisation, mais
devenue purement une interruption à délai.

En somme, les revendications satisfaites de la CCDH correspondent largement aussi à celles du collectif « Si je veux », qui protestait encore contre la réforme de 2012 mais qui ne s’est pas manifesté – et pour cause – lors de la présente réforme. A l’époque, le refus du caractère obligatoire de la deuxième consultation de la femme enceinte était son principal cheval de bataille. Celui-ci a disparu, tout comme l’obligation de la femme de signer une déclaration écrite avant l’IVG ? dans le futur une confirmation orale suffira.

La loi de 1978 jamais mise en oeuvre.

Pourtant, la deuxième consultation n’a pas disparu, même en n’étant plus obligatoire – sauf pour les mineures. C’est en tout cas ce qu’espère la CCDH, qui souhaite même que celle-ci soit ouverte aux hommes et aux parents de la femme, qui eux aussi pourraient avoir besoin d’aide. La CCDH recommande donc au gouvernement de « garantir aux femmes, souhaitant faire ou ayant pratiqué une interruption volontaire de grossesse, l’offre de consultation dans un service d’assistance psychosociale, de qualité et de neutralité ». Et aussi de garantir les ressources humaines et financières de ces services. Un autre point sur lequel la CCDH insiste, car il n’est pas assez clarifié dans le texte présenté par Braz, concerne les personnes à besoins spécifiques. Selon la commission, il manquerait des précisions pour garantir leur bonne prise en charge.

Mais c’est sur le sujet de l’information, voire de l’éducation sexuelle, que le bât blesse pour la CCDH : « Même si le précédent gouvernement a mis en place un plan d’éducation sexuelle et affective, ce dernier n’est pas entièrement transposé », constate Maddy Muhlheims. Certes, elle se réjouit d’une réponse parlementaire au député ADR Fernand Kartheiser du ministre de l’Education Claude Meisch sur l’éducation sexuelle, dans laquelle il promet de réagir vite et de mettre en place une stratégie transversale dès l’école primaire mais la CCDH regrette le manque d’une formation obligatoire pour tous les enseignants en vue d’un cours interdisciplinaire. Ce serait le seul moyen pour arriver à « encourager les hommes et les femmes à adopter un comportement responsable dans la relation sexuelle et affective, afin qu’ils soient mieux outillés pour assumer leur responsabilité dans la procréation et aussi dans la parentalité ».

C’est que le Luxembourg dans ce domaine a longtemps traîné les pieds. Sous les gouvernements précédents, c’était certainement aussi à cause de la peur d’affronter l’Eglise catholique et autres milieux plus conservateurs que les choses n’ont pas bougé. Alors que, depuis 1978, les gouvernements successifs avaient tous les outils en mains pour pallier la situation : « La loi de 1978 était extrêmement progressiste pour l’époque. Mais elle n’a jamais été pleinement appliquée, surtout en ce qui concerne l’éducation sexuelle », regrette le nouveau président de la CCDH, Gilbert Pregno. Et de rappeler des colloques internationaux sur la question ayant eu lieu au Luxembourg, pendant lesquels les experts locaux faisaient piètre figure.

Il reste encore du pain sur la planche avant que le projet de loi 6683 – qui ne sera pas voté pendant la session en cours – passe devant les parlementaires : la possibilité de quelques amendements çà et là n’est donc pas exclue. Car la voie semble assez libre et la résistance plutôt molle : excepté un avis séparé et donc minoritaire du Conseil d’Etat – qui devrait provenir de la même frange conservatrice de la haute corporation qui s’était déjà opposée au mariage pour tous -, seuls les « usual suspects » de l’asbl « Pour la vie naissante » ont signifié leur opposition fondamentale à l’assouplissement de l’IVG. Malheureusement pour eux, ils ont 36 ans de retard.


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