ROLAND SCHAULS: Saintes figures

Alma Tadema, Vélasquez et Delacroix sont „ses saints“. L’histoire de l’art, sa muse. Dans son travail actuel,
Roland Schauls rend hommage à Joseph Kutter. Portrait(s) d’artiste.

L’exposition de Roland Schauls „Hommage à Joseph Kutter“ est à voir jusqu’au 31 octobre à la galerie Clairefontaine.

Jan van Eyck l’a fait, Vincent Van Gogh aussi. Le premier s’est représenté dans „Les Époux Arnolfini“, discrètement, à l’arrière-plan de l’image, dans un miroir réfléchissant la paisible scène d’intérieur. Le second montre moins un homme en train de (se) peindre, qu’un homme qui se regarde: son autoportrait, de type psychologique, reflète les tourments et inquiétudes de son âme. Boticelli et Lippi, plus humbles, se représentent parmi une foule de personnages. Roland Schauls, lui, se dépeint, non sans une note
d’ironie, orné d’une auréole dorée: „A vrai dire, il y a une part ‚d’autoportrait‘ dans toutes mes oeuvres, même si la ressemblance physique n’y est pas“, nous dit-il. „Je suis dans chacun des mes tableaux, dans chacune des figures que je peins.“

L’artiste luxembourgeois Roland Schauls vit et travaille à Stuttgart. Il présente actuellement plusieurs séries d’oeuvres dans son exposition „Hommage à Joseph Kutter“, à la galerie Clairefontaine. Parmi ces séries, il y a d’abord celle des grands formats, qui montrent des figures de peintres. Schauls les représente debout, pinceaux et palette à la main, tous pourvus d’une auréole. Parmi eux, Vélasquez, Delacroix, Alma Tadema et d’autres maîtres, plus ou moins connus, de la peinture occidentale. Sans oublier, Schauls lui-même.

Roland Schauls veut ainsi rendre hommage à tous les peintres. Mais, en particulier, à ceux que la postérité a oublié, à ceux qui sont aujourd’hui tombés dans l’anonymat. Il met ces peintres inconnus sur un pied d’égalité avec les „stars“ de l’histoire de l’art. L’art de Schauls met en évidence les mécanismes douteux d’une histoire de l’art occidentale, qui a fait ses choix, et qui n’a ainsi rendu la gloire qu’à ceux qui comptent parmi les „plus représentatifs“ d’un style ou d’une époque.

Gloire et échec relativisés

On retrouve ces mêmes réflexions sur l’histoire de l’art dans son projet monumental „The portrait society“, réalisé entre 1995 et 1998. Sur une toile immense de cent mètres carrés, Schauls présente 504 portraits d’artistes. Pour réaliser ces derniers, il s’est inspiré de la fameuse collection d’autoportraits des Offices de Florence, une collection initiée par la famille des Medici. Là encore, Dolci, Doblhoff et Drost trouvent leur place aux côtés de Rubens, Rembrandt et Delacroix.

Sur cette grande surface, où sont juxtaposés 504 visages d’artistes, il est néanmoins très difficile de reconnaître des personnalités individualisées. Ce que l’Histoire a voulu honorer est remis en cause. La gloire et l’échec de tout un chacun se relativisent. La
réflexion de Richard Sennet ne pourrait mieux formuler
l’intention de Schauls: „If 500
people are famous, no one is, and so to find someone you can call a recognizable personality, a man who stands out, at least 490 must be pushed into the background. This is not benign neglect. Those 490 must be positively unrewarded in the same measure the 10 are rewarded; by denial as much as approval, a few people will then be brought forward as recognizable individuals.“

Suite au travail consécrateur aux peintres (in)connus de l’histoire de l’art occidentale, Roland Schauls rend aujourd’hui hommage à Joseph Kutter. Un hommage qui ne se définit nullement en un simple recopiage du style du maître. Non, Schauls cherche l’âme de Kutter dans ses tableaux: „J’essaie en tant que peintre à comprendre l’homme et son oeuvre. Pour cela, j’entame un véritable dialogue avec Kutter et ses peintures. A travers des moyens purement picturaux, je tente de trouver des réponses aux questions que je me pose. Kutter est le catalyseur pour mes tableaux.“

Un côté nostalgique

Schauls choisit des détails issus des oeuvres de Kutter, il les interroge, les interprète et les intègre dans son propre univers formel. Dans les tableaux, les cruches et les clowns issus du vocabulaire de Kutter, s’harmonisent avec les grandes surfaces colorées de Schauls. Devant l’image de la vielle ville de Luxembourg se détache une figure du petit garçon: ce personnage frontal au regard tourné vers son for intérieur dégage un air de mélancolie … et il s’appelle Gilles: Kutter est là. Schauls aussi. Watteau n’est pas loin.

Dans ce travail aussi, on retrouve la préoccupation constante de Schauls avec l’histoire de l’art: „Lorsque je cite un élément ‚typiquement‘ kuttérien dans un des mes tableaux, je n’interprète pas uniquement son oeuvre, mais je me réfère en même temps à des racines qui sont beaucoup plus éloignées. Prenons l’exemple du clown: Kutter n’est pas le premier peintre a avoir intégré ce motif dans ses oeuvres; le clown, avec son sourire et ses larmes éternelles, se trouve dans d’innombrables représentations qui lui sont antérieures.“

En 1988, les noms de Schauls et de Kutter ont été cités pour la première fois ensemble: „A l’époque, j’exposais une toile intitulée ‚Der Queen die Hand geschüttelt'“, raconte Schauls. „Un journaliste a rapproché mon tableau de l’oeuvre de Kutter. Au départ, je n’y prêtais pas attention. Ce n’est que des années plus tard que cette réflexion m’est revenue à l’esprit; c’est ainsi qu’est née l’idée de faire ce travail sur Kutter.“

Enfin, Schauls nous dit que ce travail lui a permis d’évoluer dans sa propre tâche d’artiste: „Jadis mes oeuvres étaient très analytiques et assez distantes. Je n’y ai pas laissé libre cours à mon âme. Dans les oeuvres originales de Kutter, on voit très aisément l’homme qui se cache derrière le tableau: cet artiste nous dévoile une grande partie de sa personnalité. On y voit transpercer la profonde mélancolie qui le caractérisait tant. Dans mon dialogue artistique avec
Kutter, j’ai pu, d’un côté reconnaître l’âme de cet homme. D’autre part, et grâce à ce travail, j’ai pu ‚intégrer‘ davantage mon âme dans mes tableaux. Je ne peux plus
cacher mon côté nostalgique et sentimental.“


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