RICHARD LINKLATER: La banalité du bien

Attendu depuis une douzaine d’années, « Boyhood », sans doute le projet le plus fou du cinéma de ces dernières décennies, vaut chaque minute de ses presque trois heures de longueur.

Jours heureux dans « Boyhood ».

Qu’il a de la suite dans les idées, Richard Linklater l’a déjà démontré avec les mises en scène consécutives de « Before Sunrise », « Before Sunset » et « Before Midnight » avec Julie Delpy et Ethan Hawke en couple franco-américain qui se rencontre, se perd et évolue au cours des années. Pour « Boyhood », c’est Ethan Hawke, un des acteurs fétiches de Linklater, qui s’est porté volontaire pour tenter l’expérience. Il y joue le père – biologique – d’un jeune garçon, qu’on voit grandir au cours d’une douzaine d’années.

C’est en 2002 que Linklater engage Ellar Coltrane pour le rôle principal de Mason Jr. dans son projet, qu’il appelle alors encore le « 12 Year Project » – un titre finalement abandonné à cause de la similitude avec le titre du film « 12 Years a Slave ». Alors âgé de sept ans, Mason Jr. grandit dans une famille monoparentale, avec sa mère Olivia (Patricia Arquette) et Samantha (Lorelei Linklater), sa grande soeur. Tandis qu’Olivia reprend ses études afin de pouvoir offrir un futur meilleur à ses enfants, Mason Sr. est toujours à la recherche de lui-même. A cette époque, il ignore encore que dans le futur il sera un pôle de calme et de stabilité pour ses deux enfants. Car Olivia se remariera avec un professeur d’université et cette brève période de bonheur bourgeois – grande maison de famille avec piscine et tournois de golf – ne durera pas longtemps. Après le deuxième mariage brisé, Olivia et ses enfants se remettront sur pied, quoique dans un environnement plus modeste – mais, pour la première fois, en autonomie totale. Pendant tout ce temps, le spectateur voit Mason Jr. et Samantha grandir, s’affronter dans des querelles enfantines, puis apprendre à s’apprécier mutuellement au cours des grandes crises de l’adolescence. De petit garçon peureux mais intelligent, Mason Jr. va devenir un jeune photographe de talent, exprimant son désarroi intérieur par la capture d’images. Le film s’achève avec son premier jour d’université, où il s’installe après une scène d’adieux pénible avec sa mère.

Reprocher à Richard Linklater d’avoir fait un film respirant la banalité serait une grossière erreur d’appréciation, vu que c’est exactement ce qu’il planifiait : mettre en images, le plus fidèlement possible, l’évolution d’une relation parent-enfant sur une longue durée. Ainsi, Linklater a réuni son équipe d’actrices et d’acteurs tous les deux ans pour tourner chaque fois un épisode de son film. Et au lieu de le séparer en chapitres, il a opté pour un montage sans césures. Avec le résultat que le spectateur met parfois une petite minute pour s’apercevoir que le film vient de faire un saut dans le temps, tellement le montage et la qualité du film sont uniformes. C’est là probablement la plus grande réussite technique et artistique de « Boyhood » : des passages fluides d’une période à l’autre.

Si Mason Jr. traverse l’une ou l’autre crise grave dans la vie, il va pourtant toujours avoir l’occasion de retrouver un équilibre, que ce soit grâce à sa mère, son père biologique, ses conquêtes de lycée ou encore sa grande soeur. Ce qui fait que, finalement, même si la fin reste un peu ouverte, on peut très bien parler d’un « happy end ». Et ce n’est pas pour gâcher votre plaisir de spectateur-trice-s qu’on écrit cela, mais bien pour vous dire que, dans « Boyhood », ce n’est pas la fin qui importe mais bien le chemin parcouru.

A l’Utopia.


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