POLITIQUE CULTURELLE: Manoeuvres dans le noir

Depuis qu’elle a repris les rênes de la culture, Maggy Nagel a beaucoup remué dans un secteur jusque-là plutôt pépère. Pourtant, parler d’une avancée coordonnée serait un peu trop déférent.

C’est vrai qu’elle n’aime pas la poésie. Mais de là à se foutre de la vie d’un poète qatari… Maggy Nagel lors de la signature du « Memorandum of Understanding » avec son homologue Hamad Bin Abdulaziz Al-Kuwari.
(SIP)

Parmi les dossiers pressants que la toute nouvelle ministre de la Culture a trouvés dans ses tiroirs en octobre dernier figurait l’« avant-projet de loi relatif au titre d’artiste, aux mesures sociales au bénéfice des artistes professionnels indépendants et des intermittents du spectacle et à la promotion de la création artistique ». Un gentil cadeau empoisonné laissé par sa prédécesseure, la ministre conservatrice Octavie Modert, qu’elle avait présenté à la presse juste avant de quitter son poste et qui avait créé son lot de polémiques dans les milieux artistiques. Notamment à cause d’une réglementation qui prévoyait que, à chaque nouvelle demande de renouvellement du statut d’artiste, les demandeurs devaient prouver l’augmentation de leurs revenus de dix pour cent depuis la dernière demande en date (woxx 1233). Une loi flinguée par les syndicats, mais aussi par la CSL, quoique pour des raisons tout autres.

Interrogée en février, Maggy Nagel se disait prête à laisser tomber cette mesure tant critiquée, vu qu’elle posait des conditions absolument inédites à l’obtention d’aides sociales, et souhaitait aller plutôt vers un lien plus fort entre les aides et la résidence fiscale, pour donner un nouveau visage au projet (woxx 1256). Un véritable nouveau visage, puisqu’elle prévoyait aussi d’en enlever carrément la notion de statut d’artiste, pour réglementer autrement l’accès à des aides ou des mesures sociales. Le tout devant se faire le plus vite et dans la plus grande transparence possible.

6612 disparu des radars.

Pourtant, le projet de loi 6612 n’a pas donné de nouvelles depuis. Même si les amendements doivent être présentés prochainement au Conseil de gouvernement, la commission de la Culture n’a encore rien entendu de la direction préconisée par Maggy Nagel pour mener à bien ce projet. Un projet qui a pourtant un potentiel explosif, vu que le futur de tout un secteur en dépend. Et si on a appris une chose du nouveau gouvernement, c’est que quand il ne communique pas sur un sujet, c’est que le plus souvent il y a anguille sous roche. En d’autres mots : le « storytelling » de la coalition bleu-rouge-vert veut une surenchère sur les bonnes nouvelles, de façon à ce que les mauvaises passent en douceur. Ce n’est pas pour rien que certaines mesures, comme la nouvelle taxe de 0,5 pour cent prévue pour janvier prochain, ont dû être tirées comme des vers du nez d’un gouvernement qui s’était inscrit la transparence sur le drapeau. Certes, l’existence d’un obscur « accord de coalition bis », dans lequel seraient inscrites toutes les atrocités à venir, reste encore à démontrer. Mais on peut difficilement nier que la transparence n’est pas totale.

D’un autre côté, la nouvelle ministre de la Culture a tenu sa promesse sur une autre mesure de transparence en publiant pour la première fois le détail des conventions et des subventions allouées chaque année par son administration.

Une mesure bien sûr liée au fait que toutes les conventions vont être annulées pour mieux être adaptées, voire redistribuées de façon plus équilibrée. Toujours est-il qu’on peut questionner l’efficacité de la mesure tellement radicale qu’est l’annulation pure et simple de toutes les conventions – surtout en sachant que la culture est le seul secteur à l’employer : aucune mesure similaire dans le social ou pour les communautés religieuses conventionnées. Fallait-il vraiment en arriver là, ou ne s’agit-il que d’un caprice d’une ministre qui veut démontrer par là sa volonté de fer de réformer la culture ? Car on aurait aussi bien pu imaginer passer par une renégociation des conventions en cours. Ce qui aurait abouti aux mêmes résultats, avec en prime une certaine assurance pour les instituts culturels et associations dépendant de leurs conventions, qui souvent ont des projets sur plusieurs saisons, voire années, et qui ont, en conséquence, besoin d’une certaine sécurité financière. Vue sous cet angle, l’annulation pure et simple des conventions peut bel et bien s’avérer contre-productive.

Aussi contre-productive que les deux « scandales » déjà provoqués par Maggy Nagel : l’annulation d’une tournée chinoise de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg et celle de l’exposition ? alors déjà en préparation – sur la Première Guerre mondiale au Luxembourg. C’est surtout l’exposition qui a créé l’émoi, et cela pour plusieurs raisons : primo parce qu’il s’agissait d’une commande passée par l’ancien gouvernement sur laquelle une équipe de chercheurs était déjà mobilisée, et deuzio parce que le Luxembourg, face à ses voisins, a l’air bien pauvre, pour ne pas dire con, en n’organisant rien de spécial pour les commémorations du début de la guerre de 1914-1918. Ce qui pèse lourd, même par rapport à l’argumentation du ministère quant à une mauvaise budgétisation de la commande passée par l’ancien gouvernement. D’autant plus que les « pistes pour valoriser les recherches réalisées » pour ne pas « perdre le travail de recherche scientifique mené par l’Université du Luxembourg » n’ont pas donné grand-chose. L’idée d’une exposition itinérante en Grande Région n’est plus réapparue depuis, même si elle faisait partie de l’argumentaire gouvernemental pour contrecarrer les critiques quand la décision est tombée fin mars. D’un autre côté, aller expliquer aux Verdunois la Première Guerre mondiale avec une exposition itinérante luxembourgeoise n’est peut-être pas la meilleure idée? et même la piste d’une coopération avec le land allemand de la Sarre est restée silencieuse jusqu’ici. Heureusement qu’il nous reste jusqu’en 2018 pour faire quelque chose.

Mémorandum qatarien sans scandale.

Pourtant, ces mesures d’économie drastiques et décidées de façon pas vraiment transparente deviennent encore plus absurdes à la lumière de ce que Maggy Nagel signait le 12 mai de cette année. En effet, la signature du « Memorandum of Understanding » avec le Qatar a été rendu public à cette date – sans préciser les engagements financiers pris pour honorer les obligations générées par ce mémorandum. Mais il y a pire encore : signer un tel document, c’est se dire implicitement d’accord avec les pratiques politiques et culturelles du Qatar – un pays peu démocratique après tout. Comme a pu le sentir le poète qatari Mohamed Rashid Al-Ajami, qui a été condamné fin 2013 à 15 ans de prison pour avoir osé publier le « Jasmine Poem » en faveur du printemps arabe. Une telle peine de prison est tout simplement contraire aux droits de l’homme et le Luxembourg devrait s’abstenir de collaborer avec de tels régimes autocratiques, du moins culturellement s’il ne peut pas le faire au niveau économique. Surtout qu’est prévue la « traduction d’une oeuvre littéraire par an », une pratique que le Luxembourg a déjà avec plusieurs pays, sans qu’il en soit résulté grand-chose jusqu’à présent. Curieusement, pas grand monde ne s’est offusqué de ce « Memorandum of Understanding ».

Autre projet qui prend plus de temps que prévu : l’Institut du temps présent. Alors qu’en février Maggy Nagel avait affirmé vouloir présenter un projet de loi avant la fin du mois, il n’en est toujours rien début août. D’après nos informations, ce serait bien l’avocat de la Commission de surveillance du secteur financier – et candidat malheureux à la tête du Centre culturel de rencontre Abbaye de Neumünster l’année passée – Marc Limpach qui est en charge de la rédaction du projet de loi créant cet institut. Un institut qui, selon Nagel, devrait prendre la forme d’un établissement public qui pourrait aussi englober les deux centres de documentation – sur la Résistance et sur les enrôlés de force. Mais peut-être que prendre un peu plus de temps avant de finaliser un projet de loi aussi sensible, car les tractations en coulisses sont grandes, n’est pas une mauvaise idée, quitte à rompre certains engagements. Pas comme avec le Film Fund, qui lui s’est vu réformer très rapidement. Mais de mauvaises langues diront que cela ne tient qu’à la proximité politique entre la ministre et ses responsables.

Pour conclure, cette première session parlementaire a été mouvementée pour le secteur culturel. Certes, hériter d’un ministère quelque peu endormi par la non-politique du CSV des dernières décennies n’est pas une chose facile, et faire bouger les choses est bien la seule possibilité. Pourtant une approche plus équilibrée et vraiment transparente pourrait rassurer un secteur nerveux par nature et tout de même essentiel à l’économie nationale.


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