ENSEIGNEMENT UNIVERSITAIRE OUVERT: Le soufflé retombe

Annoncés comme une révolution dans l’éducation, notamment pour les plus défavorisés, les MOOC* sont-ils en train de s’essouffler sous la pression du néolibéralisme ? Malgré un dynamisme toujours réel, certains événements récents semblent le confirmer.

Identité vérifiée oui, mais quelle est donc la valeur réelle des certificats payants délivrés par les MOOC ?

Au coeur de l’été, le ministère de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur français a publié un appel à manifestation d’intérêt plutôt étrange : il s’agit de transférer la gestion et l’animation de « France Université Numérique » (FUN – voir woxx 1255) à un groupement d’établissements d’enseignement supérieur.

La surprise a été vive parmi les grandes écoles et universités participant à la plate-forme de MOOC française. Tout d’abord, la période choisie, pendant les vacances scolaires des institutions visées – la date de remise des réponses était fixée au 24 juillet – et si peu de temps après le lancement en début d’année scolaire 2013-2014 a de quoi rendre perplexe. D’autre part, comme le souligne un professeur actif sur FUN sous le couvert de l’anonymat, les établissements d’enseignement supérieurs français jouissent d’une certaine autonomie et il n’est pas toujours facile pour eux de créer des projets communs ; sans compter qu’un groupement d’institutions suppose l’exclusion de certaines autres. Les relations seraient quelquefois déjà tendues avec le ministère aux commandes, au point de donner l’idée à certains de continuer l’expérience des MOOC sur une autre plate-forme, peut-être même privée.

Appel au mécénat

Mais la lecture de l’appel à manifestation d’intérêt réserve également d’autres surprises, notamment au chapitre « modèle économique ». Si le ministère français affirme qu’il « mettra à disposition de [FUN] la plate-forme dans sa configuration actuelle » et que « par ailleurs des moyens en emplois et financements seront attribués », il ne manque pas d’évoquer les recettes attendues. Et là, bien évidemment, pointent les possibilités de « services payants proposés aux utilisateurs », d’« exploitation commerciale des cours publiés sur FUN », voire d’« actions de mécénat ».

Faut-il le répéter ? Un financement venant de telles sources extérieures, particulièrement de mécènes, pourrait « orienter » l’offre vers des cours plus utilitaires. Quelle entreprise commerciale souhaiterait financer un cours théorique pointu pour une minorité d’étudiants, plutôt qu’assurer la diffusion de connaissances qui puissent servir ses intérêts ? Les sommes d’argent destinées au fonctionnement de la plate-forme sont-elles si énormes qu’elles ne puissent être financées publiquement ? FUN dans sa forme actuelle pourrait donc faire les frais de la rigueur budgétaire française en se transformant en clone semi-public de l’offre commerciale que propose par exemple la plus grande entreprise privée du secteur, Coursera.

Les changements vont bon train dans le privé également. Si, il y a quelques mois, l’autre grand acteur commercial, Udacity, avait en quelque sorte capitulé et annoncé son intention de se recentrer sur la formation au service des entreprises, Coursera continue de vanter sur son site « un futur où tout le monde aura accès à une éducation de première qualité ». Mais ses forums bruissent d’une contestation larvée : comme Udacity, dont les dernières attestations gratuites de suivi ont été délivrées en mai dernier, la société a décidé de progressivement privilégier son offre payante de « certificat vérifié ».

Un enseignant moucharde

Le professeur Emmett Sullivan, dont le MOOC « The Camera Never Lies » offrait des attestations gratuites dans sa première mouture, a révélé à ses étudiants des extraits d’une lettre de Coursera à ce propos. Selon la firme de Mountain View, en Californie, la principale raison pour l’arrêt des attestations gratuites est d’« augmenter la valeur de la certification des cours, ce qui peut être obtenu par l’offre d’un seul type de certificat pour les étudiants ». Cette augmentation de valeur se matérialise par un contrôle de l’identité de l’apprenant lors de la réalisation des activités obligatoires (principalement des quiz). Il est d’abord nécessaire de copier un court texte certifiant que l’activité a été effectuée en accord avec les conditions générales de Coursera, afin que le rythme de saisie au clavier soit authentifié ; il faut ensuite prendre une photo via une webcam, qui sera comparée à une pièce d’identité elle aussi fournie par webcam. Ces contrôles peuvent être différés jusqu’à la date butoir de réalisation de la première activité du MOOC.

On peut s’interroger sur le sérieux de telles mesures, qui au plus garantissent la présence de l’apprenant mais pas la réalisation par celui-ci des activités notées, le tout pour la modique somme de 49 dollars américains. De là à conclure que la raison principale est en fait économique… nombreux sont les étudiants qui franchissent le pas et s’épanchent sur les forums, en particulier dans les pays en développement. En effet, il semble que les apprenants soient particulièrement attachés à la signification symbolique d’une attestation de suivi, même si elle ne constitue pas un diplôme ou un crédit officiel pour l’enseignement supérieur.

Certes, seule la certification devient payante ; les cours restent entièrement gratuits, et n’est-ce pas là l’essentiel pour certains (woxx 1255) ? Toujours est-il que la direction de Coursera déploie des trésors de patience pour expliquer sa politique dans chaque fil de discussion sur le sujet et ne cède pas à la pression des utilisateurs. Prémices d’une généralisation de la formation payante ? Les inquiétudes sont réelles, même si rien ne le laisse objectivement supposer pour l’instant. De fait, certains professeurs s’organisent même hors de la plate-forme pour proposer leurs propres certificats gratuits, telle Rosemary Redfield, de l’université de Colombie Britannique, qui dispense un cours de génétique.

Un autre acteur majeur, edX, consortium à but non lucratif fondé par le Massachusetts Institute of Technology et l’université Harvard, a cependant fait preuve d’une surprenante flexibilité sur le sujet des certificats. Lors du MOOC « Engaging India », proposé par l’Australian National University au deuxième trimestre 2014, il était prévu de ne délivrer que des attestations payantes. Devant la déception de dizaines de participants s’exprimant dans les forums, le corps enseignant a finalement annoncé qu’edX avait décidé de délivrer une attestation gratuite à tous ceux qui justifieraient d’une note finale suffisante. Pour 50 dollars américains – ou plus, puisque ce montant est un « don » minimum -, on pouvait donc aller plus loin et acquérir un « certificat vérifié » mentionnant le fait que l’identité de l’étudiant avait été contrôlée.

Quelle valeur pour un certificat vérifié ?

Cependant, si la nécessité de prendre une photo personnelle et de fournir une pièce d’identité par webcam était bien réelle, comme chez Coursera, il n’a été procédé à aucune vérification par la suite, lors de la réalisation des exercices. Quelle valeur ajoutée accorder donc à un certificat vérifié de cette manière ? Le temps où les employeurs donneront une importance accrue aux attestations payantes semble par conséquent encore éloigné, au vu de la confusion qui règne sur les pratiques des leaders des cours en ligne. Et, surtout, le procédé pourrait rester en travers de la gorge des étudiants qui reçoivent finalement bien peu pour leur argent, même si leur obole doit servir à « améliorer l’offre de cours », selon edX. Quand, évidemment, ils peuvent investir de l’argent dans ce service.

Comme si le spectre d’une gratuité qui pourrait être réduite à la portion congrue ne suffisait pas à inquiéter les étudiants des pays du Sud, qui à raison fondaient de grands espoirs sur le phénomène des MOOC, voilà que l’administration des Etats-Unis veut également faire appliquer strictement la loi sur la restriction des exportations de technologies sensibles à des pays supposés soutenir le terrorisme.

Depuis le début de l’année, les utilisateurs se connectant depuis Cuba ou le Soudan – pour peu qu’ils ne sachent pas utiliser un réseau privé virtuel simulant une connexion depuis un autre pays – se voient donc refuser l’accès au site de Coursera, tandis que les Iraniens ne peuvent s’inscrire à certains cours approfondis de sciences, techniques, ingénierie ou mathématiques. Rien de tel chez edX cependant ; si le consortium a un temps bloqué l’émission d’attestations pour les trois pays précités, plus aucune mention de ce fait n’est visible depuis février sur la page du site dédiée aux questions fréquentes.

Il est ironique de constater que les Etats-Unis reprochent à l’Iran son contrôle de l’internet tout en mettant en place un mécanisme similaire ; mais l’arbitraire dans le choix des pays pourrait également faire sourire s’il n’était pas si politiquement marqué, et ne constituait pas un coup de plus contre ceux à qui le mouvement des MOOC avait promis rien moins que la lune – une éducation gratuite de qualité pour le plus grand nombre, y compris dans les pays défavorisés.

Monétarisation suggérée du service public, absence de clarté sur la certification payante, restrictions d’accès… le petit monde des MOOC est donc sous la pression d’une société résolument néolibérale et peine au final à assurer l’objectif altruiste d’une éducation accessible au plus grand nombre. L’intérêt reste cependant énorme, à la mesure de la demande que l’émergence du phénomène a provoquée : selon les statistiques d‘Open Education Europa, une initiative financée par la Commission européenne, le nombre de MOOC offerts en août 2014 était de 3.036, dont 742 européens – environ quatre fois plus qu’il y a seulement un an. Et les imperfections dues au phagocytage par la dure réalité politique ne doivent pas masquer les réels avantages d’un modèle encore en devenir.

* Massive Open Online Course : formation ouverte à tous, de niveau universitaire en général, et dispensée à distance. Enseignants et élèves sont dispersés géographiquement et communiquent uniquement par l’internet. Le qualificatif « massif » se rapporte au grand nombre de participants : certains MOOC peuvent regrouper des dizaines de milliers d’étudiants.


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