PILE OU FACE (2): „Je veux garder ma liberté“

Si le papillon bat des ailes en Asie, le monde change.“ (Lao-Tse)

Jeannot Schmitz: „Si on est prêt à affronter les défis, on peut travailler n’importe où.“

Les cheveux longs, des petites lunettes „à la Trotski“- on pourrait s’imaginer que Jeannot Schmitz fait partie d’un groupe de musique ou d’un mouvement Post-soixante-huitard. C’est pourtant au Bureau des Enregistrements et domaines qu’il nous accueille. Surprise.

Woxx: Jeannot, que faites- vous pendant les heures de bureau?

Jeannot Schmitz: Je travaille dans un service de l'“Enregistrement“ qui concerne l’application directe d’un taux de TVA inférieur au taux normal. Je reçois le courrier des demandeurs, je le trie, et je vérifie si les demandes sont bonnes pour accord ou à refuser.

Vous consacrez une bonne partie de votre temps libre à des activités sociales. Vous animez une émission sur Radio Ara, „Iwert d’Maueren ewech“, et vous êtes président de l’a.s.b.l. Infoprison. De quoi s’agit-il plus exactement?

„Infoprison“ fournit des informations concernant la vie carcérale. Les demandeurs peuvent être aussi bien des avocats que des politiciens, des parents des personnes incarcérées, ou encore les détenus eux-mêmes. On essaye de satisfaire leur demande en les orientant vers les services spécialisés susceptibles de les aider. Parfois, des personnes qui ont des problèmes d’endettement, de logement ou de travail nous demandent d’intervenir auprès d’autres institutions. On donne un coup de main, mais on les met aussi devant leurs responsabilités: C’est eux qui doivent s’investir.

Vous n’avez pas l’air très „fonctionnaire“

Après mes études secondaires „classiques“, je me suis dit qu’afin de réellement apprendre ce qui m’intéressait – à l’époque, c’était la psychologie, la psychiatrie et l’économie – je devais faire encore cinq ou six années d’études. Or, jusque là, j’avais plus appris de la vie que de l’école … j’ai donc décidé de faire l’examen-concours de l’Etat. Je l’ai réussi et je suis entré à l’Enregistrement. Au départ, je ne voulais y rester qu’une dizaine d’années, mais j’y suis toujours. Souvent, on croit que ce n’est qu'“en haut“ que ça se joue, mais j’ai vu que même un petit fonctionnaire peut faire bouger les choses, si il y met du sien. En fait, si on est prêt à affronter les défis, on peux travailler n’importe où.

Quels sont ces défis pour un fonctionnaire?

Parmi les plus importants se trouvent celui de veiller à ce que les lois s’appliquent à tout le monde, éviter les abus, et traiter les clients sur un pied d’égalité.

Vous êtes donc resté dans l’administration à cause de votre sens humanitaire du travail?

Bien entendu. Si je n’étais pas motivé, j’arrêterais. Ceci dit, il est également vrai qu’un travail comme celui-ci, outre sa stabilité, donne une certaine liberté pour faire d’autres choses.

On dit parfois que les fonctionnaires sont des fainéants. Seriez-vous une exception à la règle?

Pas du tout, il y a beaucoup de fonctionnaires motivés par le service aux citoyens. Des fainéants, on en trouve aussi dans les entreprises.

D’où vous vient votre intérêt pour la condition des personnes incarcérées?

A l’âge de 16 ans, je suis entré en contact avec le centre autogéré des jeunes de Luxembourg-ville, dont j’ai été le président pendant plusieurs années. On s’engageait beaucoup au niveau de l’écologie. Plus tard, je me suis engagé auprès des Verts alternatifs, mais je ne voulais pas me limiter à la militance dans un parti politique, je préférais des initiatives plus „à la base“. On a créé l’a.s.b.l. „Direkt Demokratie“. J’étais actif dans les radios pirates et notamment dans l’atelier de radio „UkaWeechelchen“ (ARU), auquel participait le centre des jeunes. Ensuite, on a créé „Radio Radau Letzebuerg“, qui est à l’origine de „Radio Ara“. A „Radau“, suite à la lettre d’un détenu, j’ai commencé à réaliser une émission sur la prison. A l’époque, il s’agissait d’un champ totalement oublié par les médias luxembourgeois. A partir de ce moment, je me suis familiarisé au fur et à mesure avec le monde carcéral. J’ai aidé à préparer une fête en été et j’ai voulu organiser d’autres activités, comme des cours, par exemple. Je me suis quelque peu heurté à l’administration, qui ne croyait pas avoir les moyens pour m’aider. Des détenus m’ont demandé de créer une association „extérieure“, afin d’informer le public sur la réalité „à l’intérieur“. Selon eux, les médias n’étaient pas objectifs et n‘ informaient le public que dans le sens du parquet. Par ailleurs, ils estimaient qu’on n’informait pas sur les raisons des crimes … C’est pourquoi nous avons créé „Infoprison“, avec des anciens détenus et des familles concernées.

Apparemment, vous aimez les défis. Mais croyez-vous réellement qu’il est possible d’améliorer les conditions de vie des personnes détenues à travers des initiatives comme la vôtre?

Pour améliorer les choses, il faut des personnes engagées. Il faut des initiatives de base, populaires, à l’extérieur, mais il faut aussi une certaine organisation de la part des personnes directement concernées. Il faut aussi des personnes ouvertes au niveau de la direction, qui essayent d’intervenir auprès de l’administration pénitentiaire. Toutes les roues doivent rouler.

Voudriez-vous travailler pour l’administration pénitentiaire?

Non! En tant que fonctionnaire de l’administration pénitentiaire, j’aurais des restrictions. Je perdrais une certaine liberté de pensée. Je crois que je peux faire plus en restant „en dehors“. Si mon travail rémunéré n’est pas directement lié à tout le reste, c’est parce que je veux garder ma liberté, sans interférences. Dans une administration pénitentiaire, il faut un regard extérieur. Ce qui ne signifie pas que celui-ci a toujours raison.

D’après Alexis de Tocqueville, les démocraties se jugent à l’état de leurs prisons. Etes-vous d’accord?

On devrait dire la même chose par rapport aux écoles ou aux hôpitaux. La prison ,ce n’est qu’une partie, une pièce de l’image. Au Luxembourg, la prison a une bonne façade, mais il faudra toujours essayer de voir ce qu’il y a derrière celle-ci.

A qui s’adresse votre émission du vendredi soir sur Radio Ara?

Aux détenu(e)s, aux gens qui n’ont rien à voir avec la prison, et pour lesquelles l’émission est une petite fenêtre ouverte sur ce monde-là. L’émission est un moyen de sensibilisation sur l’existence de la prison, tout d’abord, et sur les différents aspects qui y sont liés, ensuite.

Considérez-vous votre vie familiale comme une partie importante de votre engagement?

Pour être bien assis, il faut au moins trois pieds: un bon métier, une famille ou un entourage social direct et un engagement qui va au delà du privé. Etre membre d’une société, c’est s’engager pour celle-ci.

Après toutes ces années d’engagement auprès d’Infoprison, quelle conclusion en tirez-vous?

Que ça vaut le coup. Et qu’il serait bien que de nouvelles personnes s’engagent, pour donner une nouvelle dynamique.

Quel est le fil conducteur entre les différents aspects de votre vie?

La volonté d’agir pour que les droits de chacun soient respectés.


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