CYBERSÉCURITÉ: « L’homme qui valait cinq millions »

Le professeur Paulo Veríssimo, éminent spécialiste en sécurité informatique, a quitté l’université de Lisbonne pour rejoindre celle du Luxembourg. Son projet et son curriculum ont convaincu le Fonds national de la recherche : l’expert portugais s’est vu octroyer une bourse de cinq millions d’euros pour ses recherches.

Paulo Vérissimo obtient son doctorat en « Electrical and Computer Engineering » en 1990 à l’université technique de Lisbonne. Par la suite, il sera professeur dans le département des sciences informatiques et d’ingénierie de la même université, ainsi que professeur adjoint à la Carnegie Mellon University. En 2011, il est élu au conseil d’administration de l’université de Lisbonne, où il siégeait au conseil scientifique depuis 2009. Il a également été directeur du « Large-Scale Informatics Systems Laboratory, LaSIGE » avant de prendre ses fonctions au Luxembourg.

woxx : Comment vous est parvenue l’invitation de venir au grand-duché pour intégrer l’Interdisciplinary Centre for Security, Reliability and Trust (Security and Trust, SnT) de l’Université du Luxembourg ?

Paulo Veríssimo : Les choses n’ont jamais une seule cause. En ce moment, au Portugal, tout ce qui a trait à la science, à la technologie et au milieu universitaire est dans un état un peu déprimant. Dans ce contexte, j’ai eu une conversation fortuite avec un collègue sur ce qui se passait ici à l’Université du Luxembourg, une université récente mais en plein développement. Je trouvais que la recherche au SnT dans les domaines « Security and Dependability », des domaines où je travaille, était très significative. Cette idée a germé en moi. Plus tard, le SnT m’a demandé si j’étais intéressé par la rédaction d’une proposition pour le programme « Excellence Award for Research in Luxembourg » (Pearl), qui est un programme avec des ressources importantes à partir du moment où un programme stratégique de recherche, de développement et de transfert de technologies est pertinent.

Y a-t-il des raisons particulières pour que le Luxembourg s’intéresse à ces questions ?

Au fur et à mesure que je commençais à connaître le Luxembourg, c’est devenu parfaitement évident pour moi, parce que le pays fait d’énormes investissements dans les technologies de l’information et de la communication (TIC). Une grande partie de son PIB en provient directement ou indirectement. Cela serait une catastrophe que les systèmes informatiques de l’administration cessent de fonctionner. La même chose s’applique au secteur financier, au commerce électronique, aux télécommunications et aux infrastructures qui dépendent du réseau électrique. Aujourd’hui, rien ne fonctionne sans systèmes informatiques interconnectés par des réseaux. Dernièrement, j’ai travaillé dans le domaine des infrastructures essentielles de l’information. Il m’est ainsi venu une idée, qui a abouti à une proposition concrète. Mon idée était simple : si le Luxembourg veut devenir le coffre-fort des données en Europe, il doit bénéficier d’infrastructures essentielles de l’information dotées d’une grande résilience. Et cela plus qu’aucun autre pays, à cause de sa dépendance élevée aux TIC. La proposition que j’ai faite au SnT puis à l’Université du Luxembourg a été très bien reçue. A partir de là, la proposition a été transmise au Fonds national de la recherche (FNR) et j’ai eu le plaisir de la voir acceptée.

« Si le Luxembourg veut devenir le coffre-fort des données en Europe, il doit bénéficier d’infrastructures essentielles de l’information dotées d’une grande résilience. »

Vous avez reçu une bourse de cinq millions d’euros du FNR pour une période de cinq ans. A la fin de cette période, quels objectifs aimeriez-vous voir matérialisés ?

J’ai fait un plan à un horizon de dix ans. Dans une première phase, j’ai détaillé ce qui allait être fait pendant les cinq premières années de financement du FNR, avec une certaine participation de l’université. Ensuite, les financements seraient obtenus non seulement à travers l’Université mais également à travers des projets internationaux. Je dois dire que c’est un domaine où j’ai déjà une dizaine de projets de ce type menés à bien. Dans l’immédiat, je veux former une équipe en essayant de recruter les meilleurs chercheurs au niveau international dans ce domaine.

Concrètement, quel type de recherche allez-vous mener ?

Je veux créer ici une capacité de recherche hors pair focalisée sur la sécurité et sur la fiabilité, c’est-à-dire dans les infrastructures essentielles de l’information. Avec cette équipe, je veux cibler des domaines qui auront de l’impact dans le futur. D’un côté les domaines liés aux infrastructures à caractère plus physique, comme les réseaux d’eau, d’électricité, etc., et de l’autre les domaines à caractère plus virtuel, « complex internet cloud » par exemple, qui aujourd’hui soutiennent la majeure partie de l’activité économique et sociale, non seulement avec les réseaux du monde de la finance et de l’administration, mais aussi avec les réseaux sociaux. A la fin des cinq premières années, j’espère avoir élevé le SnT au rang de référence scientifique mondiale dans ce domaine.

« Le Luxembourg est peut-être le pays le moins étranger parmi les pays étrangers où je pourrais aller. »

La bourse du FNR vous a été attribuée pour une période de cinq ans, mais vous avez parlé de dix ans.

C’est un projet qui va continuer. On ne va pas fermer boutique au bout de cinq ans. L’idée est de créer une structure qui, en cinq ans, prenne ses marques et soit capable d’être parfaitement intégrée avec les autres activités de l’Université du Luxembourg. L’intention est aussi de compléter le financement de l’université avec un apport externe, notamment de la Commission européenne.

Si des pays comme la Russie ou le Qatar vous avaient attribué une bourse nettement supérieure à celle du Luxembourg, auriez-vous accepté l’invitation ?

(Rit.) Il y a pays et pays. Je connais un chercheur qui a travaillé avec moi et qui, par coïncidence, est parti au Qatar. Nous en avons beaucoup parlé et il m’a raconté la vie là-bas. Il y a toujours des pour et des contre. Je me sens extrêmement bien ici, parce que le Luxembourg est peut-être le pays le moins étranger parmi les pays étrangers où je pourrais aller. Jusqu’à maintenant, c’est fantastique. Je trouve des produits portugais partout. J’entends parler le portugais partout. Je sais que les Portugais sont une partie importante de la société luxembourgeoise et qu’ils font partie du passé, du présent et de l’avenir du pays. Je crois que cela a également constitué un facteur décisif dans ma décision. Je suis déjà venu plusieurs fois au grand-duché donner des conférences et, dès la première fois, cela a été l’une des choses qui m’ont aidé à me sentir bien ici.

Un journaliste portugais décrit votre ministre de l’Education et de la Science comme un « science killer », pour avoir soumis la recherche à de drastiques réductions budgétaires. Comment expliquez-vous que votre travail ne soit pas reconnu et valorisé au Portugal ?

J’ai été athlète de haut niveau, et cela m’a appris une chose très importante : nous ne sommes pas bons parce que nous le croyons ; nous sommes bons à travers les résultats que nous obtenons et à travers de ce que nos pairs pensent de nous. Dans les équipes, cela passe évidemment par ce que les adversaires craignent de notre groupe et aussi par ce que les critiques peuvent dire. A ce sujet, je n’ai donc plus rien à dire, car mon travail est reconnu à l’étranger. Au niveau de la communauté scientifique, mon travail est associé au laboratoire LASIGE (Large-Scale Informatics Systems Laboratory) que j’ai fondé en 1997 et dirigé. Ce laboratoire a toujours su évoluer avec une tendance positive et il est considéré comme excellent par plusieurs pays. Vous devez donc poser la question aux dirigeants qui l’ont suspendu jusqu’à nouvel ordre. Le laboratoire est en réévaluation. J’ai quitté le Portugal à cause de cette évaluation négative, indirectement. Mais une conséquence directe a été que l’un des meilleurs jeunes chercheurs a lui aussi quitté le pays. Je me demande ce qui pourrait arriver encore.

Gardez-vous l’espoir d’un jour retourner au Portugal pour exercer votre activité ?

Je crois que les Portugais ne disent jamais qu’ils n’y retourneront jamais. En ce qui me concerne, dire quand cela arrivera est très incertain pour le moment. Je suis très motivé par mon projet avec le SnT et je ne pense qu’à ça.


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