ALLAIN LEPREST: Nu, je continue

Éléments épars d’une passion durable et subjective pour le dénommé Allain Leprest.

„C’est bien simple, je considère
Allain Leprest comme un des plus foudroyants auteurs de chansons que j’aie entendus au ciel de la langue française.“
(Claude Nougaro, 28 novembre 1993)

Peut-on, raisonnablement, ne pas vouloir un jour se retrouver en tête à tête avec celui ou celle dont on a écouté les disques pendant des années en se disant à chaque fois „Quel talent …“? Évidemment que non. Et voilà donc pourquoi ce qui suit aurait tout aussi bien pu vous arriver …

Pourquoi t’as si tôt
Couché les glaïeuls
Ça t’aurait fait beau
Des rides sur la gueule
Rimbaud …

C’est, de mémoire, à ce quatrain là, attrapé au vol durant une émission de radio, que je dois mon premier contact avec Allain Leprest. Le présentateur y commentait avec conviction la sortie du deuxième album de cette „révélation du Printemps de Bourges 1985“ et moi, qui croyais tout connaître – ou presque – de la „nouvelle chanson française“, je me demandais bien comment j’avais pu passer à côté d’un artiste du calibre de celui que je venais d’entendre!

Mec, tu dis jamais rien
et moi je cause, je cause
Comme j’ai rien à te dire, je te parle de tout
J’fais comm‘ si ton silence racontait la mêm‘ chose
On préfère les muets
quand on a du bagout
On se vend les questions et les mensonges avec
Mec …

Le lendemain, laborieuse tournée des disquaires avec, en fin de parcours, les deux fameux albums de Leprest dans mon escarcelle. Ils occuperont durablement le tourne-disque du salon et le lecteur cassettes de la voiture, au point qu’un bon copain, conquis mais saturé, désertera un temps la maison en lançant „Avec toi, même les murs devraient aimer Leprest“. Ce copain reviendra malgré tout et nous réécouterons sans nous lasser ces petites perles d’écriture et d’interprétation qui avaient pour titres Bilou, Martainville, Saint Max, et bien d’autres …

On s’entend bien, on s’entend comme
Un et un font une jolie somme
Qu’a pas besoin d’courir les planques
Ni d’ronfler sur un compte en banque …

1992. Mes deux chers 33 tours de la préhistoire Leprest sont inaudibles depuis belle lurette, mais qu’importe, puisque les années CD ont désormais balayé les années vinyle. Autre nouveau choc, et de taille: avec „Voce a mano“, Allain Leprest lance à voix nue (… mérisée!) un défi à l’accordéon de Richard Galliano. L’album est loin de pulvériser les chiffres de vente d’une quelconque lambada, mais un Grand Prix de l’académie Charles Cros vient à point nommé récompenser les 15 chansons décoiffantes qui le composent. La cote de Leprest grimpe en flèche, lui, en dépit de trompeuses apparences, travaille.

Chien d’ivrogne,
c’est plus dur qu’on croit
On part à six heures
à l’embauche
Faire tous les bars
du côté droit
Redescendre
par ceux de gauche …

Moins de deux ans après la sortie de „Voce a mano“ Allain Leprest est à nouveau dans les bacs avec „4“, un copieux album de 16 titres mitonnés façon classique et que les exégètes ne tarderont pas à considérer comme la quintessence de ce qu’un artiste peut offrir au sommet de son art. Les désormais fameuses apocopes prolétariennes et la poésie de Leprest, toute imprégnée du quotidien des petites gens, s’ouvrent à un public de plus en plus large, dont celui de l’Olympia, pour un concert unique – mais, heureusement, enregistré pour la postérité – le 20 février 1995.

Dix doigts, c’est bien
pour se compter
On ne rajoute
pas d’allumettes
On est si peu, de ce côté
Ah! ce que nos mains
sont bien faites …

C’est, grosso modo, à cette époque que nous nous rencontrons „pour de vrai“, dans son fief d’Ivry-sur-Seine. On est là, tous les deux, en avance au rendez-vous et l’après-midi passe à la terrasse du café où Leprest a pris l’habitude de recevoir. Impossible d’avoir une conversation suivie à cause du bruit de la circulation et du défilé des connaissances qui n’arrêtent pas de venir le saluer. Sur le soir, nous convenons de nous revoir deux semaines plus tard, „au calme“ (!?) dans le cadre d’un concert „pour
les amis“. Je m’y rendrai bien évidemment, sans imaginer que j’allais, comme beaucoup d’autres, être proprement sonné pour deux bonnes heures. Les habitués savourent, les néophytes encaissent: ce que Leprest fait devant nous sur scène est encore mieux que tout ce à quoi il nous avait habitués sur disque …

Mais nu, je continue
Mon chemin de tempête
En gueulant à tue-tête
La chanson des Canuts …

Nous nous reverrons beaucoup par la suite et malgré quelques vicissitudes de parcours, l’amitié née ce soir là arrivera à tenir le coup … „Chanteur-citoyen“ s’impliquant dans les luttes à caractère social, Leprest crée aussi à la fin des années 90, un atelier d’écriture gratuit, ouvert à tous et qui fonctionne toujours, pour aider les artistes débutants. A la même époque, les „institutionnels“ s’avisent (enfin …) de son existence et il reçoit en rafale moult distinctions, dont la plus inattendue fut sans doute sa nomination de Chevalier dans l’Ordre National du Mérite qu’un de ses camarades de Parti, devenu ministre de la gauche plurielle, vint solennellement lui remettre en janvier 2001!

Il a grandi
sous une banderole
Entre une affiche
et un seau d’colle
La moindre manif‘ il y go
Sacré Coco …

Tout ce qui précède étant dit, il reste quand même à
aborder ce que, pour simplifier, nous appellerons „l’énigme Leprest“. Pourquoi un si talentueux personnage, reconnu et courtisé par les plus grands du métier et en qui de nombreux professionnels voyaient, non sans raison, poindre un authentique nouveau Brel, n’est-t-il pas devenu la „grande vedette“ à laquelle la multitude de ses dons (dessinateur, artiste-peintre, auteur, interprète …) semblait tout naturellement le prédestiner? D’aucuns diront que la fréquentation assidue des bistrots (dont il ne cache d’ailleurs pas avoir fait „son bureau“) est, en l’espèce, incompatible avec la gestion rigoureuse d’une carrière conventionnelle … D’autres évoqueront son refus de compromissions avec le „showbiz“ autant que sa fidélité aux principes de la classe ouvrière dont il est issu et dans laquelle il se sent le mieux accueilli et protégé.
Allez savoir …

Le seul début de vraie réponse à cela ne peut être trouvé que sur scène, là où, sans fard, timbre rauque et cinquantaine cabossée, le fragile Leprest vient distiller à son auditoire de poignantes tranches de vie découpées au scalpel de sa poésie et de sa tendresse pour les autres. C’est donc là aussi que pour son second passage au Grand-Duché, huit ans après une prestation remarquée aux Capucins, Allain Leprest donne rendez-vous au public luxembourgeois. Ce sera le mercredi 17 mars prochain, à 20h, au Théâtre d’Esch et le meilleur conseil que l’on puisse donner aux indécis ou à ceux qui ne le connaissent pas encore, est de ne pas manquer l’occasion d’aller découvrir cet artiste d’exception. Quant aux autres, les „initiés“, ils lui ont depuis longtemps réservé leur soirée!

Allain Leprest sur internet : www.ccdille.ch/leprest/
cadleprest.htm et à la radio: le mardi 16 mars 2004,
en direct de 20 à 21 heures, sur Radio ARA, 103.3 et
105.2 MHz en FM.


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