Tax Rulings : un patrimoine qui pue

(lc) – Mercredi soir, juste après la révélation de ce qu’on appellera désormais les « Luxembourg-Leaks » le défilé de poulets sans tête affolés entamait sa danse, comme c’est toujours le cas lorsque la place financière luxembourgeoise est attaquée. Certes, ce n’est pas la première fois que le grand-duché est pointé du doigt et les fameuses « décisions anticipées » – comme on appelle les Tax Rulings – ne sont pas un phénomène nouveau. L’existence et les pratiques du fameux bureau numéro six de l’administration des impôts et de son tenant Marius Kohl étaient bien connus aussi bien de la presse nationale qu’internationale. En effet, l’intéressé a donné une savoureuse interview au Washington Post, où il détaillait les procédés abracadabrantesques de son bureau. Evidemment, réussir à remplir jusqu’à 54 Tax Rulings – donc des montages ultra-complexes établis par la société de consulting PriceWaterhouseCoopers (PWC), qui s’est fait voler les données publiées cette semaine déjà en 2010 – par jour, est soit surhumain, soit naïf. Bien sûr, le tout s’est passé dans le cadre des lois luxembourgeoises et le grand-duché est loin d’être le seul pays à pratiquer les Tax Rulings. Mais il est de la responsabilité de chaque Etat et de chaque administration de non seulement appliquer ses lois, mais aussi de voir si ces dernières sont légitimes. Et surtout de contrôler les connivences entre administrations et grandes multinationales. Des milliards d’impôts évités, ce n’est pas ce qu’on appelle être un bon voisin. Surtout si on prend en considération que d’autre part, le Luxembourg se veut un Etat comme les autres, membre de l’Union et qu’il dispose d’une vraie économie hors place financière – ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’autres paradis fiscaux et nous avait valu les accusations qu’on sait de la part de l’économiste Gabriel Zucman.

Opération veste blanche pour la place financière à la poubelle

Deux facteurs rendent cette affaire encore plus difficile : primo l’ampleur des leaks, 28.000 pages de documents et 343 firmes internationales impliquées et deuxio le malheureux hasard du calendrier : ces révélations tombent juste après l’intronisation de Jean-Claude Juncker à la Commission Européenne – alors que les Tax Rulings rendus publics par l’International Consortium of Investigative Journalism (ICIJ) tombent tous sous le mandat d’un certain Juncker Jean-Claude, ancien premier ministre du Luxembourg. Notre JCJ national se trouve donc sous une grande pression, et le Parlement Européen, qu’il avait encouragé à prendre plus de responsabilités, ne tardera sûrement pas à le convoquer. En même temps, ses successeurs au Luxembourg passent eux aussi un très mauvais quart d’heure. Sur les mines de béton des dirigeants de la nouvelle coalition se lisait la consternation ce jeudi matin lors de la conférence de presse convoquée d’urgence. La réaction gouvernementale a été un curieux mélange entre d’une part répéter le mantra du « tout est légal » et de l’autre se déclarer prêt à tout faire pour améliorer la transparence du Luxembourg – pas très cool en tout cas. Et on comprend : après avoir déclaré partout que son objectif était de procurer à la place financière une veste blanche, les « Luxembourg – Leaks » détruisent durablement cette perspective. Même si Pierre Gramegna a assuré vouloir transposer la « Directive Mère-Fille anti-abus » – qui discrimine justement cette sorte d’ « optimisation » fiscale – au plus vite. Car en même temps il a dû admettre que sous la nouvelle coalition ces pratiques ont aussi continué, quoiqu’un peu moins rapidement, vu que l’administration des contributions a été renforcée. Gageons que dorénavant, déclarer que les Tax Rulings « font partie de notre patrimoine » sera un peu plus dur. Mais que les amoureux de ces petits arrangements se rassurent, ils ont aussi des partenaires très stables au Luxembourg qui ne baissent pas leur froc à la première occasion : les populistes de droite de l’ADR, qui ont immédiatement attaqué le gouvernement pour le traiter de lâche. Avec des amis pareils, PWC et le reste de la place ont tout à gagner…


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