CÉDRIC ANGER: L’homme à abattre

« La prochaine fois je viserai le coeur » est le récit poético-romanesque d’un des cas les plus bizarres que la gendarmerie française a dû traiter : celui d’un collègue meurtrier qui se chassait lui-même.

Le gendarme Neuhart est pris dans une machinerie infernale qu’il a lui-même déclenchée.

Dans l’Oise, fin de l’année 1978. A la déprime hivernale s’ajoute la terreur. Alors que la région vient à peine de se remettre des meurtres commis par Marcel Barbeault – connu aussi sous la dénomination du « tueur de l’ombre » -, une nouvelle série d’assassinats et d’agressions violentes commence. Les victimes sont toutes des jeunes femmes que rien ne lie, et que l’agresseur admet choisir au hasard dans ses lettres aux enquêteurs. Son but affiché est de semer un maximum de terreur dans la région.

L’enquête, d’abord confiée à la gendarmerie locale, est reprise par la police judiciaire venue de Paris. Un fait que les gendarmes, remisés au rang de sous-fifres, ne goûtent que très modérément. C’est surtout un des gendarmes, Franck Neuhart, le chouchou du chef, qui fait dans le zèle et répète à longueur de journée son envie de coincer le salopard. Juste que le salopard, en fait, c’est lui.

Alors qu’il participe à des barrages routiers, à des vérifications chez les prédateurs sexuels connus ou encore qu’il parcourt la nuit les lieux de rendez-vous des homosexuels, il nargue ses collègues. Car, dès qu’il est au repos officiel, la bête en lui se réveille et il se met à chasser près des lycées, dans les bars et le long des routes. Jusqu’à ce que ses supérieurs se rendent à l’évidence : l’impensable est bien la réalité, le tueur est l’un des leurs. D’abord confondu par le style de ses lettres d’aveux à la gendarmerie, puis par son emploi du temps, une perquisition chez lui va dévoiler la vérité.

Ce qui fait de « La prochaine fois je viserai le coeur » un film spécial est son parti pris dès le début. Certes, l’affaire narrée est bien celle d’Alain Lamare, les meurtres sont aussi réels que le fait que Lamare est toujours en ce moment interné en psychiatrie. De surcroît, il n’a jamais été condamné, à cause d’une héboïdophrénie – une forme grave de schizophrénie qui pousse souvent au passage à l’acte. Mais, dans le film d’Anger, le gendarme s’appelle Neuhart, un nom emprunté aux romans de l’écrivain Emmanuel Bove, ce qui pousse le film dans une autre direction.

Le réalisateur essaie en fait l’impossible : une plongée introspective dans l’âme du tueur. Il en fait un homme déchiré entre ses passions, son image et son environnement. Ayant manifestement absorbé les valeurs militaires de son service, son homosexualité – présumée par les créateurs de la fiction – le fait souffrir. Se punissant lui-même en premier lieu avec de longues séances d’autoflagellation, voire d’automutilation, il s’en prend ensuite aux femmes, ces êtres qu’il devrait chérir mais qu’il est en fait incapable de toucher. Même la relation qu’il tente d’établir avec Sophie, la fille qui s’occupe de son ménage et à laquelle il a promis le mariage, se termine en fiasco.

« La prochaine fois je viserai le coeur », pour lequel le réalisateur a refusé de consulter Lamare, est bien plus qu’un essai visant à rendre compréhensible l’innommable en l’affublant d’une explication quasi scientifique. C’est aussi l’histoire d’un homme tellement brisé par les conventions qu’il s’impose à lui-même qu’il est poussé à commettre des actes criminels. En d’autres mots, rarement un meurtrier en série aura provoqué en nous autant d’empathie que ce Franck Neuhart, brillamment interprété par Guillaume Canet. Et ça, ça fait très froid dans le dos.

A l’Utopia.


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