ART CONTEMPORAIN: Art mobile cherche domicile fixe

Au bout d’une vingtaine d’années en quête d’espace(s), le Fonds régional d’art contemporain de Lorraine vient de poser ses bagages au „49 Nord 6 Est“. Avant l’inauguration officielle, une visite des lieux s’impose.

„L’art réinvente l’espace qui le contient“: Le Frac Lorraine s’installe dans ses nouveaux locaux.

Investir prisons, jardins publics et usines désaffectées avec un art mobile et vagabond, voilà le défi auquel s’est vu confronté le Fonds régional d’art contemporain de Lorraine lors de sa création en 1984. Dépourvue d’espace d’exposition, l’équipe du Frac Lorraine, avec à sa tête son actuelle directrice Béatrice Josse, s’est retrouvée dans la position inhabituelle de devoir, pendant des années, dénicher des lieux d’exposition qui, à priori, „ne sont pas faits pour montrer de l’art“. Dans le but de tirer profit de cette situation peu commune, le Frac Lorraine a depuis traditionnellement défendu un art nomade, provocateur, pensé comme une rencontre avec le public et dans l’espace public. Au lendemain du déménagement dans de nouveaux locaux, le Frac devra dès à présent tenter de préserver son identité multiforme ou alors l’abandonner au profit d’une conception plus définie.

Petite leçon d’histoire: Implantés dans toutes les régions de France depuis 1983, les Fracs ont pour mission l’acquisition, la diffusion et la valorisation des ´uvres d’art contemporain. Ils s’engagent à la promotion et à la production de la création actuelle, et ils mènent une politique de sensibilisation et d’éducation. Très tôt, le Frac Lorraine s’est forgé une identité propre en tant que „structure itinérante“. Béatrice Josse se souvient comment, en 1993, elle a été recrutée avec la mission d’implanter un Frac sans lieu, sans personnel et sans réserve. „Les actions urbaines et autres manifestations éphémères dans l’espace public avaient pour ambition de s’interroger sur la possibilité de faire de l’art sans médiation, et contre toute attente elles ont permis d’ancrer le Frac dans sa réalité urbaine et humaine.“

Cette existence nomade appartient désormais au passé: A partir du 15 mai, le Frac Lorraine s’installe dans l’Hôtel Saint-Livier à Metz, qui a été fraîchement restauré pour l’occasion. Le choix de ce lieu est pour le moins étonnant, puisqu’il s’agit là du plus ancien bâtiment civil de la ville. Béatrice Josse envisage le changement d’adresse avec philosophie: „On oubliera très vite que nous avons programmé durant des années des actions éphémères dans l’espace public. Nous nous inscrirons dans l’histoire d’un lieu dont les fondations remontent au 12e siècle et nous poursuivrons nos missions dans des conditions bien plus confortables.“ Pour la directrice, le lieu est avant tout prétexte à des remises en question. Pour éviter tout malentendu, elle ajoute: „Vous ne croyez pas que nous allons nous pâmer dans ce bâtiment historique et jouer les agents du patrimoine.“

Baptisé „49 Nord 6 Est“, l’édifice se situe rue des Trinitaires, au c´ur d’un quartier qui l’avoisine à des salles de spectacles et autres lieux d’exposition. Dans la plus pure tradition des Fracs en France, une visée pédagogique y trouve sa place. Pour encourager les échanges, des conférenciers de tous bords seront invités à s’exprimer sur divers sujets de l’actualité artistique et des résidences de critiques d’art seront mises en place à partir de septembre 2004. Au sujet du site proprement dit, Béatrice Josse explique: „Comme tous les projets d’intervention initiés par le Frac, le site invitera au dialogue et à la poursuite d’une éternelle transformation des espaces architecturaux. L’espace servira à l’expérimentation physique des ´uvres de la collection du Frac Lorraine qui sont le plus souvent achetées sous formes de protocoles.“ L’art doit réinventer l’espace qui le contient et le Frac Lorraine a par conséquent choisi d’ouvrir sa collection également à des formes comme la performance, la danse, le cinéma.

Des acquisitions conjuguées au féminin

A coté de son identité nomade, une autre particularité du Frac Lorraine restera comme dans le passé sa politique d’acquisition „conjuguée“ au féminin. Le comité technique d’achat, qui est responsable de l’acquisition des ´uvres, favorise l’achat d’´uvres d’artistes femmes: „Nonobstant les ‚critiques traditionalistes‘ et les critiques ‚queer‘, nous avons acquis des ´uvres d’artistes femmes de générations différentes, allant de Meret Oppenheim à Su-Mei Tsé, de même que des performances de Dora Garcia ou des films de Chantal Akerman ou Marguerite Duras, par exemple“, explique Béatrice Josse. Et elle ajoute: „Le fait d’acheter ces ´uvres pour une collection publique constitue une revendication d’ordre politique, c’est-à-dire qui engage la vie de la cité.“

La région lorraine, qui pendant longtemps n’était que peu enclin au développement de l’art contemporain, accueille aujourd’hui des structures très diverses vouées à la création actuelle. En ce qui concerne l’avenir de cette scène artistique, les prévisions sont optimistes puisque l’on confirme la construction de l’annexe du Centre Pompidou dont l’ouverture est prévue pour 2007. La capitale a encouragé la création d’une antenne avec la ville de Metz, pour répondre à un besoin de décentralisation. Face à ce „géant“ qui se profile à l’horizon, Béatrice Josse ne voit pourtant nullement l’avenir de son Frac menacé, au contraire: „Concernant notre lieu, je vous avoue avoir beaucoup de chance car, au moment même où le Frac va s’installer au risque de ’s’institutionnaliser‘ on annonce à Metz la construction d’un ‚Petit Beaubourg‘. Nous sommes saufs. L’institution, la vraie, s’implantant, nous sommes nécessairement dans une autre logique.“

Mais quelle sera précisément cette logique dont nous parle la directrice? Après tant d’années d’expériences hors les murs, il convient aujourd’hui à s’interroger sur le devenir du Frac Lorraine. Ce Frac qui, pendant de longues années a excellé dans le développement de nouvelles stratégies d’exposition, pourra-t-il réellement se retrancher complètement derrière les quatre murs d’un immeuble?

Le projet inaugural „White Spirit“ veut prouver dès à présent que tel ne sera pas le cas puisqu’il se déploiera aussi bien dans les nouveaux espaces de l’Hôtel Saint-Livier que dans la ville de Metz, impliquant à la fois les visiteurs et les habitants du quartier. De plus, l’inauguration du „49 Nord 6 Est“ est fêtée le 15 mai avec la „Nuit de l’art contemporain“. Cette nuit pourra également être l’occasion pour le public luxembourgeois de (re)découvrir le Frac Lorraine, qui continuera sa voie „exploratoire“ et qui nous incitera, toujours selon Béatrice Josse, „à refuser les idées reçues, à nous laisser surprendre et à déranger…“


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