THÉÂTRE: Cent pour cent multiculturel

Ambitieux, le collectif théâtral luxembourgeois Independent Little Lies présente pour ses 20 ans la pièce « 99 % », aboutissement scénique d’une collaboration internationale de deux années. Si une certaine confusion des langues règne, le propos n’en est pas dilué pour autant.

Le pape, mâle alpha des catholiques et pourtant sans descendance, est évoqué comme parangon de la minorité par un conférencier déjanté.

La création qui s’est déroulée ce mercredi à Esch-sur-Alzette est le point culminant d’un projet un peu fou. Sur un concept de départ très vaste, l’opposition entre majorité et minorité, il aura fallu en effet deux ateliers d’écriture en Italie puis en Espagne pour forger la matière dont la pièce est construite, avant que celle-ci ne voie le jour à deux plumes, écrite finalement par le Catalan Elies Barberà et le Luxembourgeois Ian De Toffoli.

Pourquoi des ateliers ? C’est qu’Independent Little Lies, associé au Teatre de l’Enjòlit de Barcelone et rejoint rapidement par le Teatro Cinema Excelsior de Reggello, dans la province de Florence, souhaitait mettre en place un projet international et multilingue. C’est l’action Grundtvig de la Commission européenne – du nom d’un pasteur danois considéré comme le fondateur de l’éducation populaire – qui lui a offert un financement de départ. Celui-ci était lié à l’organisation de sessions de formation continue, destinées en priorité à des adultes en recherche d’emploi. Si les deux premiers ateliers ont donc fourni idées et histoires pour la pièce, le troisième, qui s’est déroulé cette semaine à Esch, était lui consacré à la « communication alternative ». Avec, en guise de travaux pratiques, la promotion de « 99 % ». De la suite dans les idées, on ne peut le nier.

Sur scène, une série de saynètes rythment la représentation. Elles sont jouées principalement en catalan, luxembourgeois et anglais, même si d’autres langues s’y ajoutent épisodiquement, et des surtitres français et anglais sont proposés. Si l’on peut faire un reproche sérieux à la pièce, c’est d’ailleurs celui de la gymnastique mentale imposée au spectateur pendant près de deux heures : difficile en effet de lire les surtitres, regarder les acteurs et apprécier les effets visuels du grand écran au centre du plateau sans perdre le fil, ne serait-ce qu’un instant. D’autant que la majorité des dialogues sont en catalan et que la pièce joue, plutôt intelligemment, avec les usages linguistiques grand-ducaux : un acteur catalan s’offusque à un moment du surtitrage en français et en anglais, et force pendant quelque temps la traduction en luxembourgeois. Une joyeuse cacophonie donc, mais peut-être le prix à payer
pour une véritable représentation multilingue…

« 99 % », c’est bien entendu une référence au slogan du mouvement Occupy Wall Street, et chaque situation s’interroge sur la place et le rôle des minorités, qu’elles soient rurales, économiques, politiques, linguistiques, etc. La galerie de personnages variés porte à la fois un regard tendre et acerbe sur les minorités, leurs revendications légitimes et leurs préjugés qui, parfois, ne les rendent pas bien plus sympathiques que les majorités dont elles se prétendent victimes. Ainsi en va-t-il, sans vouloir trop révéler, de celle des riches par exemple. La pièce essaye d’éviter l’écueil du manichéisme, même si un biais affirmé contre les injustices sociales est clairement revendiqué et fait figure d’acte militant.

Omniprésent, l’humour sert de médiateur dans ce grand jeu de dupes et désamorce certains conflits. Mais parfois le comique vire au tragique, comme dans cette scène où une leçon de mathématiques décalée tourne à l’énumération de statistiques déprimantes sur la population mondiale. Comique et tragique se retrouvent dans les dialogues bien sûr, mais aussi dans la gestuelle des acteurs sur scène : c’est en effet à une véritable performance physique à laquelle les Catalans du Teatre de l’Enjòlit, épaulés par Claire Thill, nous convient, et cela dans des sketches de longueurs et de rythmes différents.

Cela n’empêche pas la pièce de former un tout cohérent, notamment grâce à la mise en scène d’Anne Simon, qui relie habilement les épisodes à la faveur d’expressions scéniques récurrentes. Malgré les difficultés liées au principe même de la pièce et évoquées plus haut, « 99 % » déborde d’énergie et propose un regard ludique et sans concession sur les minorités qui résonnera longtemps dans la tête du spectateur.

La pièce « 99 % » sera encore jouée ce vendredi 23 janvier au Théâtre municipal d’Esch-sur-Alzette, puis ces samedi 24 et dimanche 25 janvier au Théâtre national du Luxembourg.
Le site internet du projet : https://playingapartproject.wordpress.com


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