POLITIQUE CULTURELLE: Nouveau pôle

Depuis la fin du mois de janvier, c’est officiel : la Kulturfabrik d’Esch se dote d’un pôle pédagogique. Un bon moyen de se replacer sur l’échiquier culturel pour cette structure un peu oubliée.

Pour tous les goûts et les couleurs :
le pôle pédagogique de la Kulturfabrik.

Depuis sa création, la Kulturfabrik à Esch – Kufa pour les intimes – souffrait de troubles de l’identité. D’abord en tant qu’ancien abattoir squatté par des férus de la culture, ce qui provoquait des pincements de nez chez les amateurs d’une culture plus bourgeoise, qui préféraient sans doute le désert culturel qui les entourait. Et puis, après son officialisation en tant qu’établissement parmi d’autres, elle était bien devenue un peu blême. Certes, son statut d’incubateur de la culture underground grand-ducale attirait encore le public intéressé par la culture alternative, mais force est de constater que contre une Rockhal, un Atelier ou encore un TNL elle ne faisait pas forcément le poids – faute aussi de moyens, sa convention paritaire (moitié ministère de la Culture, moitié commune) étant pendant longtemps bloquée par la commune d’Esch et son ancienne bourgmestre depuis devenue ministre de la Santé, Lydia Mutsch, pour laquelle l’ancien abattoir n’était probablement pas un endroit assez chic pour disposer de ses faveurs subventionnées.

En tout cas, depuis la semaine dernière, la Kufa s’est sérieusement réorientée en devenant le premier centre culturel du pays à se doter d’un pôle pédagogique destiné aux jeunes, et plus particulièrement aux jeunes en difficulté. En effet, comme le dit sa charte pédagogique : « L’éducation et la pratique culturelles sont des éléments essentiels et tangibles de la socialisation de l’individu. Toutefois, aujourd’hui encore de nombreuses personnes en sont exclues. Consciente de cette réalité, l’équipe du centre culturel Kulturfabrik a décidé de créer un pôle pédagogique et de faire de la formation des publics, notamment des jeunes en situation de décrochage scolaire, l’un des axes majeurs de son futur développement. »

Pourtant, l’idée n’est pas nouvelle et ne tient pas d’un opportunisme lié au fait que le ministère de la Culture est devenu récemment plus exigeant quant aux composantes pédagogiques des projets qu’il subventionne. Comme nous l’a expliqué Jérôme Netgen, un des deux responsables du nouveau pôle avec Fred Entringer : « L’idée flottait déjà dans l’air depuis que j’ai rejoint l’équipe de la Kulturfabrik, donc depuis plus ou moins 2007, l’année culturelle. On voulait se repositionner sur le marché, vu que nos finances n’étaient pas des meilleures et que souvent on organisait des événements ou des concerts à perte. En fait, la concurrence sur le marché culturel était devenue trop grande et la Kufa ne pouvait tout simplement pas tenir tête à d’autres infrastructures plus grandes et parfois plus riches. Et puis on s’est posé la question suivante : pourquoi devrions-nous porter des projets qui, de toute façon, ne feraient pas le poids face à d’autres ? De plus, depuis ses tout débuts, la Kufa a toujours eu en quelque sorte une tradition pédagogique. Même à l’époque des squats, des ateliers et des académies d’été pour enfants, jeunes et adultes ont été organisés. Mais le problème était que le grand public ne le percevait pas forcément ainsi. »

La réponse a été le développement de longue haleine d’une nouvelle identité pour la Kulturfabrik, qui s’est donc tourné vers les réalités sociales du Sud qui l’environnent et qui sont plus dures que dans le reste du pays. Car le chômage des jeunes et le décrochage scolaire sont en effet plus fréquents dans cette région très peuplée et très mixte.

La pédagogie n’a pas été étrangère à la Kulturfabrik depuis ses débuts.

La Kufa n’en est pas à son coup d’essai, comme le montrent les projets déjà amorcés ces dernières années et qui seront désormais intégrés au programme du pôle pédagogique. Par exemple la deuxième édition du « Kufa’s Urban Art » (woxx 1273), qui cette fois ne se limitera pas uniquement aux murs de l’ancien abattoir. Même si les négociations avec la commune restent encore à finaliser, Fred Entringer a bien voulu nous en toucher quelques mots : «  L’idée est d’intégrer la ville d’Esch à ce concept et de ne pas uniquement se limiter à des graffitis, mais d’ajouter aussi d’autres disciplines d’art urbain, les stencils par exemple. En plus nous voulons garder la dimension internationale et transfrontalière du premier projet », raconte-t-il.

Le pôle pédagogique a été rendu possible par une nouvelle convention, qui ne passe pas cette fois-ci par le ministère de la Culture, mais par celui de l’Education. Celle-ci – qui dans un premier temps est financée par un montant de 15.000 euros (des peanuts en fait, en comparaison avec certaines conventions signées dans la culture et pour les cultes) – stipule entre autres « l’avancement des bonnes pratiques en matière d’activités culturelles dans le cadre scolaire et parascolaire », ainsi que l’utilisation de « la dynamique spécifique des arts et de la culture pour contribuer à favoriser l’apprentissage et affirmer la personnalité des jeunes impliqués ».

C’est surtout sur ce dernier objectif que doit porter le travail, selon Jérôme Netgen : « Beaucoup de ces jeunes, et surtout ceux qui risquent le décrochage scolaire, ne connaissent pas leurs talents et manquent cruellement de confiance en soi. Ces projets permettent et ont déjà permis à nombre d’entre eux de se redécouvrir et de s’affirmer en tant que personnalité. » Et c’est sûrement aussi comme moyen pour réduire la criminalité juvénile – voire éviter des recrutements djihadistes – que des projets avec des jeunes qui n’ont pas un accès direct à la culture de par leur foyer peuvent être efficace. Des projets similaires dans les banlieues françaises et d’autres zones sensibles européennes et ailleurs de par le monde l’ont déjà prouvé. En ce sens, un accès à la culture pour celles et ceux qui n’y accèdent pas automatiquement peut être un premier « incentive » pour des jeunes à ne pas choisir la « mauvaise » voie. C’est aussi dans cette perspective que la lutte contre le décrochage scolaire est à voir : « Nous ne proposons certes pas un remède miracle contre le décrochage, mais je suis persuadé que cela peut aider quand on remonte le moral et la confiance en soi de certains élèves. Nous verrons cela dans les années à venir, si oui ou non les projets proposés par notre pôle pédagogique ont eu une incidence réelle sur les statistiques. »

Mais le pôle pédagogique n’est pas uniquement un moyen de contrer la précarisation sociétale ; il s’adresse aussi à d’autres groupes qui trop souvent se retrouvent en marge de la société. Comme le spectacle de danse créé par l’Apemh (Association de parents d’enfants mentalement handicapés – fondée en 1967 et exploitant le centre d’accueil du Nossbierg à Esch) et Sylvia Camarda prévu pour juillet.

Un pôle contre la précarisation culturelle.

Les projets dédiés aux jeunes sont aussi divers que variés : d’ateliers en écriture proposés par des écrivains (comme Francis Kirps), en passant par le graffiti et l’« Urban Art Festival », au monde cinématographique avec notamment deux projets, les « Kufa Smart Films » et « Mythochaotica » où des élèves du lycée Bel-Val feront connaissance avec la mythologie et compareront leurs acquis avec de grands classiques du cinéma montrés au Kinosch, la salle de cinéma afférente à la Kulturfabrik. Il y en aura donc pour tous les goûts et couleurs.

Et cette offre attractive montre déjà ses effets. Car, comme le précise Netgen : « L’idée derrière est de ne pas seulement offrir des possibilités, mais aussi d’accueillir des demandes ou des projets de différents établissements scolaires. Ce qui s’est déjà fait par exemple avec le lycée Bel-Val ou l’ECG, qui sont venus vers nous pour nous proposer des projets scolaires et parascolaires. » Toutefois, le contact avec tous les établissements n’est pas toujours très simple : « Cela ne fonctionne pas avec un claquement de doigts », constate-t-il. « Il faudra construire de longue haleine un réseau qui réunit les établissements scolaires, la Kulturfabrik et d’autres institutions, si nous voulons faire bien tourner ce pôle. »

En tout cas, le premier pas est fait, et la Kufa dans un certain sens retrouve la position qu’elle occupait à ses débuts : celle de pionnière dans le domaine culturel luxembourgeois.

www.kulturfabrik.lu


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