THÉÂTRE: Quand Jean-Marie rencontre Daphné

« Le mec de la tombe d’à côté » est à l’origine un roman auréolé du statut de best-seller planétaire. Le TOL s’empare de son adaptation théâtrale pour le plus grand plaisir du spectateur.

Ils ont passé des semaines à se recueillir chacun de son côté : ce premier sourire échangé augure-t-il pourtant une histoire idyllique ? (Photo: Ricardo Vaz Palma / TOL)

Le livre de Katarina Mazetti, publié en 1999, a connu un succès retentissant : près d’un demi-million d’exemplaires vendus en Suède et des traductions en 33 langues à ce jour. Véronique Fauconnet, directrice du Théâtre ouvert Luxembourg, a dû batailler ferme pour pouvoir monter la pièce au grand-
duché. Devant l’impossibilité d’obtenir une dérogation à l’exclusivité accordée il y a trois ans à la production parisienne, il a fallu patienter jusqu’à la récente reprise des droits par l’adaptateur Alain Ganas avant de pouvoir se mettre au travail, en reconduisant l’équipe de départ.

Si le TOL a été aussi persévérant, c’est que le roman mérite amplement son succès. Les deux personnages principaux, Désirée (rebaptisée Daphné dans la pièce) et Benny (devenu Jean-Marie), se rencontrent dans un cimetière. Elle visite la tombe de son mari, il entretient celle de sa mère. S’ignorant d’abord, se toisant même souvent, ils vont pourtant finir par tisser des liens amoureux. Mais voilà, la jeune veuve est une bibliothécaire citadine nourrie de Schopenhauer et le mec de la tombe d’à côté un paysan bosseur plutôt porté sur les lectures faciles. C’est cette histoire d’amour entre deux personnalités quasi opposées qui nous est contée. La relative banalité du sujet est transcendée dans le roman par une écriture aux accents humoristiques typiquement nordiques (on pense souvent à Arto Paasilinna) et par le procédé narratif, qui juxtapose les points de vue respectifs. Un procédé vu récemment au cinéma dans « The Disappearance of Eleanor Rigby »… avec l’humour grinçant en moins.

L’adaptation théâtrale avait tout du casse-tête : il fallait bien évidemment simplifier l’intrigue pour ne pas proposer une pièce interminable, mais cela au risque de recréer une banale histoire de rat des villes et de rat des champs. Alain Ganas s’en sort étonnamment bien, en évacuant les personnages secondaires mais en conservant les traits d’humour qui rythment la pièce et provoquent nombre de fous rires. Rires jaunes parfois, comme lorsque Jean-Marie déclare : « Dans la famille, on ne frappe pas les femmes parce qu’on veut pas gâcher la main-d’oeuvre. » Seule petite incongruité, la curieuse francisation des noms de personnages, de lieux ou d’entreprises place l’action au coeur de l’Hexagone et laissera songeurs les lecteurs du roman qui s’étaient réjouis de son exotisme venu du froid.

Sur scène, Colette Kieffer et Joël Delsaut sont irréprochables. Si les monologues se taillent la part du lion – alternance des points de vue oblige – les deux comédiens font preuve d’une complicité réjouissante lorsqu’il s’agit de jouer les dialogues qui virent à la prise de bec puis, évidemment, à la réconciliation. On a envie de croire à cette histoire d’amour improbable entre deux individus si différents dont le seul point commun, finalement, est d’avoir été emportés parfois malgré eux dans le tourbillon de la vie. On ne peut que souhaiter à Daphné, dont l’ovule rêve d’être « fécondé par un spermatozoïde convenable », d’avoir trouvé la perle rare. Enchanté par la verve des acteurs, soutenue efficacement par la sobre mise en scène de Jérôme Varanfrain, on se prend à rêver d’un happy end malgré le délitement inéluctable de cette relation. Et pourquoi pas, après tout, puisque les contraires s’attirent ?

Au Théâtre ouvert Luxembourg, jusqu’au 7 mars.


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