S’OUVRIR VERS LA CHINE: « J’ai voulu faire comme eux »

En plus du Nouvel An lunaire, ce 19 février, Esther Sanchez a célébré son « work anniversary » à la Chambre de commerce Chinalux. Un emploi idéal pour cette passionnée de la Chine.

Un projet et des ressources. Esther Sanchez, après avoir développé son intérêt pour la Chine, a pu y travailler pendant trois mois. Depuis un an, employée à Chinalux, elle développe les relations commerciales et culturelles.

woxx : Comment fêtes-tu le Nouvel An ?

Esther Sanchez : En fait, j’ai déjà commencé à le fêter – au Luxembourg, il n’y a pas de grande fête publique le jour même. Mais il y a de nombreuses célébrations organisées par des associations autour de cette date. La semaine dernière, on a aidé à organiser la réception de la Chambre de commerce Chine-Luxembourg. C’était en collaboration avec la Chambre de commerce du Luxembourg et le Hong Kong Economic and Trade Office, dont les représentants sont venus de Bruxelles exprès pour l’événement. Je terminerai les fêtes début mars avec le réseau « Young and China » autour d’un « hot pot » . Le jour même du Nouvel An, j’essayerai de suivre le grand gala de la télé chinoise sur internet. C’est très intéressant.

D’où provient ton attirance pour la Chine ?

Ça a commencé il y a quatre ans, un peu par hasard : j’avais lu un roman policier, « Death of a Red Heroine », de Qiu Xiaolong, et j’ai voulu visiter les endroits mentionnés dans le livre. J’ai trouvé un voyage organisé proposant le bon parcours. Mon premier contact avec la Chine, ça a donc été comme touriste ! Parfois il y a des petits trucs comme lire un livre, faire un voyage, qui changent la vie.

Sur place, quelle impression t’a laissée la Chine ?

Je me suis rendu compte des lacunes de notre perspective d’Européens – mes covoyageurs et moi nous sommes trouvés tout petits dans un pays énorme. Entourés d’une multitude de gens – des gens très capables, mus par un espoir, un désir, une confiance de réussir. Pour moi, le déclic ça n’a pas été la Grande Muraille, les beautés du pays, la Chine impériale, mais voir les gens vivre sur place. J’ai été surprise de voir comment une partie d’entre eux était capable de parler nos langues, l’anglais, le français. Surtout nos guides : j’ai été époustouflée de constater qu’ils parlaient le français, suivaient l’actualité en Europe… et cela sans avoir jamais quitté la Chine. Alors que nous, on ne comprenait rien au chinois, on aurait été perdus sans eux. Je me suis dit : dès que je rentre, je vais faire comme eux, et d’abord apprendre leur langue.

Perdue mais conquise

Par la suite, tu as vécu à Shanghai. Comment ça s’est fait ?

En revenant, je me suis donc inscrite à l’Institut national des langues. A l’époque, j’avais un emploi dans le secteur financier – l’apprentissage du chinois n’était qu’un loisir. Un an après mon voyage, il y a eu un plan social dans mon entreprise. Ça m’a donné l’occasion de faire des études de « China Business Development » à Bruxelles. C’est dans ce cadre, à la recherche d’un stage, que j’ai demandé de l’aide au consulat général du Luxembourg à Shanghai – après tout, j’habitais au Luxembourg depuis plus de quinze ans. J’ai eu la chance que, à ce moment précis, une des employées soit en congé de maternité, et que le consulat me propose un remplacement de trois mois. Je n’ai pas eu à réfléchir – c’était exactement ce que je voulais : être en Chine et avoir une initiation aux relations d’affaires avec le Luxembourg. Cela reste une des meilleures expériences de ma vie professionnelle.

En parallèle, tu as continué à étudier la langue ?

Oui, mais à Shanghai ce n’était pas une immersion complète. Aller vivre avec une famille là-bas et être obligé de parler chinois tout le temps, ça, je n’ai malheureusement pas pu le faire. Et puis, c’est une ville très ouverte sur l’Occident, et les Chinois qui travaillent avec les étrangers préfèrent parler anglais. J’avais tout de même pris une tutrice, et à mon retour j’ai continué les leçons avec elle en utilisant Skype.

Pour toi, est-ce une langue difficile ?

Apprendre le chinois apporte beaucoup de plaisir, à condition de pouvoir y consacrer du temps – plus de temps que pour des langues plus familières. Je viens d’Espagne, j’ai appris le français, l’anglais, l’allemand et j’ai fait du portugais à l’université. En apprenant des langues européennes, on trouve des ressemblances, des racines communes sur lesquelles on peut s’appuyer. Mais avec une langue comme le chinois, au début, on ne reconnaît rien. Et quand on rencontre un nouveau caractère, on n’a aucune idée de ce qu’il signifie ni comment le prononcer. Il faut vraiment être persévérant pour voir, après quelque temps, la lumière au bout du tunnel.

Vous avez dit qing ?

Qu’est-ce qui est le plus difficile ?

Tout. Mais le moins difficile, c’est la grammaire. Certes, elle est parfois très différente de la nôtre, mais il suffit de comprendre sa logique et de pratiquer. Parler, ça s’apprend par la pratique. Il est vrai que ce n’est pas facile au Luxembourg, même si de plus en plus d’expatriés chinois viennent pour travailler dans les banques. La prononciation et l’écoute par contre, c’est très difficile. Il faut avoir l’ouïe fine, parce qu’il y a beaucoup d’homophones, des syllabes comme « qing » [prononcer tching] qui sonnent pareil ou presque pareil mais ont cinquante sens différents – et s’écrivent différemment.

Justement, les caractères, si difficiles, ne peut-on pas s’en passer ?

Les caractères, il faut au moins savoir les lire. Pour les écrire, on peut avoir recours à la technologie disponible sur les ordinateurs et les smartphones. Mais si on s’intéresse sérieusement à ce qui se passe en Chine, il faut savoir naviguer sur le web chinois, suivre les microblogs, donc lire les caractères.

Avec ton travail à la Chambre Chinalux tu as intégré ton intérêt pour la Chine à ta vie professionelle. Comment as tu été embauchée ?

En revenant de Shanghai, j’ai cherché du travail, sachant que je pouvais avoir certaines exigences et que je voulais faire quelque chose en relation avec ce que je venais de faire. Je ne voulais pas que ça se termine là. Ça a pris plusieurs mois, et c’est en menant mes recherches que j’ai été en contact avec les personnes qui avaient lancé la Chambre de commerce Chine-Luxembourg. Et, là encore, c’était le bon moment : ils cherchaient quelqu’un avec mon profil pour développer leur projet. J’ai été embauchée il y a presque un an, le 19 février 2014.

En quoi consiste ton travail ?

En fait, je suis la seule employée permanente. Je fais le travail administratif, je rédige des rapports, je prépare les réunions du conseil d’administration une fois par mois. Les affaires courantes sont gérées par le comité de direction, qui comporte deux Occidentaux et trois Chinois. Cette mixité est très importante pour notre crédibilité du côté de la Chine.

Est-ce que cela te donne l’occasion de parler chinois ?

Mes langues de travail sont l’anglais et le français. Mais pour renforcer nos liens avec la Chine, il faudrait que j’aie quelqu’un à mes côtés qui m’aide à suivre ce dont parlent les gens en Chine. A Shanghai, c’était facile : je regardais la télé le soir et, le lendemain, au bureau, les Chinois en parlaient et m’expliquaient les choses qui m’échappaient.

Est-ce que tu as eu des expériences de différences culturelles au travail ?

Pas vraiment. Les Chinois qui sont ici ont l’habitude de travailler avec des Occidentaux. Par exemple, même si on va boire un café, c’est difficile de s’entretenir en chinois. Les Chinois sont très pragmatiques : plutôt que d’avoir une conversation décousue dans leur langue, ils préfèrent revenir à l’anglais ou au français, qu’ils maîtrisent. La seule fois où mon chinois m’a réellement été utile, c’était à Shanghai, dans une pharmacie, quand j’étais malade.

Est-ce que ça changera le jour où tu parleras vraiment bien ?

Oui, mes interlocuteurs sauraient qu’on peut avoir une conversation fluide avec moi. Par exemple, notre directeur général, Mikkel Strørup, s’entretient toujours avec les Chinois dans leur langue. Néanmoins, pour les affaires, parler chinois, c’est bien, mais ce n’est pas obligatoire. Les Chinois comprennent qu’il n’est pas donné à tout le monde de l’apprendre – ils trouvent des solutions pour communiquer. S’il faut avoir une priorité, se familiariser avec les différences culturelles est bien plus important. D’ailleurs, en mars, notre Chambre proposera un séminaire à ce sujet. La langue, on l’apprend d’abord parce qu’on y trouve du plaisir.

Le rêve chinois

Et ce gala du Nouvel An, tu le regardes pour améliorer ton chinois ?

Pas seulement. C’est très intéressant parce que c’est l’occasion pour le gouvernement chinois de de proposer de nouvelles idées. L’année dernière, c’était le « Chinese Dream ». Ensuite il y a eu des débats entre journalistes experts occidentaux pour interpréter le sens de ce terme. C’était très interessant de comparer avec l’avis des Chinois eux-mêmes. Le rêve chinois, proposé dans le cadre de ce gala, ça peut être quoi ? Réussir, avoir une voiture, fonder une famille ? Ou avoir de l’air pur, comme il était dit dans une des chansons présentées ce soir-là à la téle ? La manière dont les débats fonctionnent en Chine est très différente de la nôtre.

Quelles différences culturelles jouent au niveau des relations d’affaires ?

La perception temporelle des Chinois est très éloignée de la nôtre. Ils privilégient la vision à long terme. Cela permet de comprendre certaines questions posées par les partenaires chinois, ou le fait qu’il y ait parfois des mois de silence avant qu’une décision ne soit prise. En Occident, nous privilégions la communication et l’agitation.

Et qu’en est-il des « guanxi », les « relations » ?

Effectivement, cela facilite les rapports entre Chinois parce que, tout en attendant, ils peuvent compter sur leurs contacts. Mais les « relations », c’est important en Occident aussi. La différence, c’est qu’ici il y a les relations plus d’autres facteurs. On ne peut pas s’appuyer uniquement sur les relations. En Chine par contre, celles-ci sont indispensables – si on n’a pas un contact, ou un moyen d’obtenir un contact à travers quelqu’un d’autre, on n’a aucune chance. Par exemple, quand j’ai postulé au consulat, je n’avais aucune guanxi. En Chine, ça n’aurait jamais marché. Tandis qu’eux, ils ont regardé mon dossier et m’ont prise – heureusement.

Interview effectuée le 28e jour du 12e mois du calendrier lunaire, à savoir le 16 février. L’interviewée et l’intervieweur étudient le chinois à l’Institut des langues (www.insl.lu).
Chambre Chinalux : www.china-lux.lu


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