POLITIQUE CULTURELLE: Tempête de sable

La messe est dite : les conventions « nouvelle génération » ont été présentées à la presse par la ministre de la Culture. Pourtant, cette présentation à grand renfort médiatique ne réussit pas à calmer un secteur sérieusement secoué.

out comme Godzilla, Maggy Nagel souffle le chaud et le froid sur le secteur culturel.

Commençons par une bonne nouvelle : pour évaluer les conventions en cours dans le secteur culturel, la ministre Maggy Nagel n’a pas eu recours à un cabinet d’audit des « Big Four » dont raffolent pourtant ses collègues coalitionnaires. Elle a donc confié cet exercice à son personnel du ministère de la Culture, qui a dû en quelques mois faire passer sur la table d’opération tout un secteur dépendant plus ou moins de la manne ministérielle, et cela dans un climat délétère sous une pression médiatique, politique et personnelle assez forte. Pas vraiment des conditions idéales donc pour une prise de décision sereine – et plutôt un fourre-tout à l’arrivée.

Résultat des courses : sur les 71 conventions résiliées manu militari en plein mois d’août dernier, 60 rescapées ; neuf conventions ont été remplacées par des subsides (dont une grande partie de festivals, selon nos informations) ; deux conventions n’ont pas été renouvelées – notamment celle avec l’Université du Luxembourg, qui apparemment n’aurait pas renvoyé le fameux questionnaire joint à la lettre de résiliation des conventions – voire suspendues, comme dans le cas des « Lëtzebuerger Bicherediteuren ». Et puis, deux nouvelles conventions ont vu le jour : celle avec les « Beeforter Schlassfrënn » et l’école de musique de l’Union Grand-Duc Adolphe. Fait intéressant, selon les dires de la fonctionnaire Danièle Kohn-Stoffels, pas moins de 21 associations auraient déposé des demandes de première convention dans la foulée. Une preuve que le vent nouveau promis par la ministre de la Culture a certainement aussi éveillé des espoirs
çà et là.

Si l’annulation de la convention avec l’université s’explique d’elle-même, la suspension de celle avec les éditeurs serait due à un « manque de contact » entre l’association et le ministère et « l’absence d’une base de travail commune », selon la ministre. Dès lors, les éditeurs peuvent, s’ils souhaitent se présenter à une foire internationale, demander une subvention pour le stand et un per diem pour payer les frais de voyage et d’hôtel au ministère.

Sur les 60 rescapés, 24 ont vu leur convention augmenter, dans 22 cas elle a été reconduite et 14 recevront moins dans le futur – du moins jusqu’en 2018. Entre-temps, les associations devront remplir tous les ans un questionnaire similaire à celui envoyé en août 2014, afin de vérifier si elles tiennent bien le cap des engagements inscrits dans la convention.

Du diktat des économies à faire vers des conventions « nouvelle génération »

Voilà en bref le bilan d’une action ministérielle qui aura fait bouillir la scène culturelle et qui a fait couler beaucoup d’encre. Si dans la présentation « PowerPoint » montrée à la conférence de presse tout semblait clair comme de l’eau de roche, il reste pourtant de nombreux hics dans la gestion de l’après-crise des conventions. Disons que si vous traversez une zone sensible avec un bulldozer, vous générez beaucoup de poussière et il n’est pas possible de vraiment y voir clair.

D’abord, il y a un changement de ton dans la communication du ministère de la Culture. Alors qu’avant l’effort de faire des économies était mis en avant, soulignant le « courage » nécessaire pour enfin nettoyer les écuries d’Augias laissées par la ministre précédente, la même administration préfère parler aujourd’hui de conventions « nouvelle génération » et suggérer que tout le monde aurait trouvé son compte avec les réformes. Que cela soit dû à l’arrivée d’un ancien journaliste de RTL dans le service de communication de Maggy Nagel n’est qu’une hypothèse ; toujours est-il que le secteur – surtout s’il est artistique et donc rompu aux jeux des nuances – n’est pas dupe. Surtout si le discours officiel est saupoudré de belles phrases sur les « analyses transversales » qu’on aurait effectuées secteur par secteur, mais que personne ne pipe un seul mot sur les critères selon lesquels ces décisions, parfois difficiles, ont été prises. Alors que la transparence sur les critères d’attribution des aides financières est depuis longtemps une revendication du secteur. Sur ce point, Maggy Nagel reste aussi opaque que sa prédecesseure et ne remplit pas une des promesses faites quand elle a pris la tête du ministère.

Autre chose intéressante : au cours de la conférence de presse, l’accent a été mis de façon récurrente sur le fait que, en fin de compte, le budget des conventions avait augmenté par rapport à l’année dernière. S’il est certes passé de 12.948.882 euros à 13.158.008 euros, cela n’est assurément pas dû à la magnanimité du ministère, mais plutôt à une progression budgétaire normale. Donc, même si la ligne budgétaire pour les conventions a un peu évolué vers le haut, cela n’empêche pas que la part culturelle dans le budget de l’Etat est en pente descendante depuis des années et va continuer à diminuer, du moins jusqu’en 2018. C’est un peu le même petit jeu statistique qu’on a employé avec le budget du Carré Rotondes – même s’il recevra plus, ils se retrouvera avec moins (woxx 1299-1300).

La fronde ne s’arrêtera pas là

D’ailleurs, plus on va dans les détails, plus ça devient hideux, et les petites guéguerres politico-politiciennes réapparaissent. C’est le cas pour l’Alac (Agence luxembourgeoise d’action culturelle), dont dépendent les sites plurio.net et culture.lu, tout comme la billetterie nationale. Ciblée dès le début par les économies budgétaires que le ministère voulait promouvoir, l’association s’est défendue au moyen de communiqués et de pétitions envoyées au ministère. Avec comme résultat que Maggy Nagel accepte que les sites internet restent actifs, tout comme la billetterie nationale, mais que le tout dépendrait « d’une décision de personnel à venir encore cette semaine ». D’après nos informations, ce serait la tête de Jean Reitz, le directeur de l’agence, qui devrait rouler, après des mois d’une campagne politique que des sources internes qualifient de « franchement dégueulasse ». De plus, arrêter la billetterie nationale, à laquelle Nagel reprochait de ne plus être « à la hauteur » sans jamais donner de raisons précises, aurait été un double non-sens. D’abord parce que cela aurait engendré des coûts supplémentaires pour les nombreux centres culturels qui en dépendent, et puis parce que, pour une ministre qui ne cesse de rêver de nouvelles synergies, une telle évolution aurait été une grande anti-synergie, dans le sens où les ardoises additionnelles des centres culturels se seraient de toute façon répercutées sur le ministère. Certes, l’Alac n’est pas une agence irréprochable, mais la façon de procéder du ministère – deux pas en avant, un en arrière – n’est pas non plus idéale.

Egalement dans le collimateur : Ralf Britten, le directeur du Trifolion d’Echternach, auquel on a reproché de trop faire dans le tourisme – surtout depuis qu’il est devenu « City Manager » de la ville – et à l’institution culturelle duquel on a enlevé quelque 30.000 euros. Certaines voix suggèrent que ce serait dû à des animosités personnelles.

La Theater Federatioun est aussi particulièrement mécontente de sa situation. Le ministère lui a non seulement diminué le montant de sa convention, mais aussi reproché de « communiquer trop », afin de la sommer d’arrêter la « Theaterzeitung » à partir de juin. Selon nos sources, les membres de la fédération auraient dans un geste d’une rare unanimité refusé le diktat ministériel – même si la plupart des associations membres s’en sont plutôt bien tirées. Mais il est vrai que le reproche sur la communication de trop est particulièrement absurde, surtout au vu du fait que, en fin de compte, les membres paient leur cotisation annuelle à la fédération en grande partie pour ce service. Ils menaceraient donc d’annuler pleinement et simplement la « Theaterfest », pour laquelle le ministère les aurait encouragés à s’engager plus. Et ces exemples sont loin d’être exhaustifs. Au contraire, d’autres associations vont certainement suivre, pour dire à la presse leur mécontentement face au traitement qui leur est réservé.

Autrement dit : la fronde contre la politique culturelle menée par Maggy Nagel ne fait peut-être que commencer. D’autant plus qu’après les associations conventionnées ce sera, au cours des prochains mois, au tour des établissements publics, des subventions et des bourses à la création.


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