POLICE: Communication Breakdown

Comme toutes les administrations étatiques, la police grand-ducale est sujette à de fortes mutations sous la nouvelle coalition. Des réformes certes nécessaires, mais la question reste la même : peut-on faire mieux avec moins ?

En attente de la réforme qui devrait en finir avec le climat malsain à l’intérieur de la police.

Evoquer la police grand-ducale dans un hebdomadaire qui se considère alternatif et de gauche est toujours une chose délicate. L’empathie avec celles et ceux qui incarnent jour après jour le bras armé de l’Etat dans nos rues est souvent difficile à ressentir, d’autant plus que les nombreux dérapages et affaires ne contribuent pas à la meilleure image de nos forces de l’ordre – quoiqu’elles semblent partager ce problème avec presque toutes les polices du monde. Pourtant, derrière l’uniforme, il y a toujours des êtres humains et, derrière la façade lisse d’un corps qui se veut homogène, des batailles font parfois rage. Nous nous en tiendrons donc à Pier Paolo Pasolini qui, en mars 1968, commentait de ces mots une bataille rangée entre étudiants et policiers à Valle Giulia : « Valle Giulia était un fragment de lutte de classes : vous, amis – bien que du côté de la raison -, étiez les riches, alors que les policiers – du côté du fort – étaient les pauvres. » Ce qui lui valut l’excommunication du parti communiste à l’époque. Cela ne nous empêchera pas, bien sûr, de commenter et de critiquer dans le futur les dérapages – comme nous l’avons fait lors de la manifestation au Kirchberg l’année dernière – et les scandales au sein des forces de l’ordre.

Mais là où Pasolini a définitivement raison, c’est quand il évoque la lutte des classes, car elle existe bel et bien aussi dans la police grand-ducale entre les carrières inférieures et les officiers – voire toute la hiérarchie. Des classes tellement étanches que le SNPGL (Syndicat national de la police grand-ducale) ne s’est pas plaint ces dernières années d’un mauvais dialogue, mais a plutôt dû constater l’absence de dialogue, tout simplement.

C’est que le corps de la police grand-ducale a une histoire complexe et reste toujours traversé par des strates de pouvoir qui ne s’entendent pas forcément entre elles. Un des reproches fréquents qui lui est fait est celui d’un esprit de corps exagéré et d’une obéissance quasi militaire, donc ne questionnant rien, aux ordres hiérarchiques. Si on veut comprendre ce phénomène, il faut remonter un peu dans le temps. Après la guerre – où la police de l’époque ne s’était pas toujours couverte de gloire, ni de courage devant l’ennemi comme l’a détaillé encore récemment le rapport Artuso -, la police passe sous le contrôle de l’armée avec la réforme de 1952. Ce qui veut dire essentiellement que tous les policiers engagés après cette date ont eu un statut militaire.

Guerre des classes dans la police.

Le problème est que cette réforme n’a pas aboli les deux corps de forces de l’ordre existant à l’époque au Luxembourg, la gendarmerie et la police. Et qui dit deux corps dit en même temps concurrence et méfiance. Bien que des idées de fusion aient été discutées à partir des années 1970 sur la place publique, il a fallu, comme toujours dans notre pays, quelques décennies avant que celles-ci ne soient réalisées avec la réforme de 1999, qui réorganisa complètement les forces de l’ordre en les unifiant une fois pour toutes.

Toujours est-il que cette réforme n’a pas satisfait tout le monde et a surtout introduit les différentes castes étanches existant dans la police jusqu’à nos jours. Celle des « petits », qui sont sur le terrain chaque jour, qui sont directement exposés à la population et aux actes criminels, et celle de la haute hiérarchie qui dirige le business depuis son bureau et qui souvent ne communique pas, mais se contente de donner des ordres. S’y ajoute le manque de personnel dans certains commissariats régionaux, ce qui donne souvent lieu à un personnel en surmenage et qui, en plus, est en permanence exposé à la critique publique, tout comme celle de certains médias qui s’évertuent à mettre de l’huile sur le feu quand il s’agit d’attiser un certain sentiment d’insécurité.

Les dérives d’un tel système sont déjà apparues avant la dernière réforme et ont éclaté au grand jour au plus tard l’année dernière, au cours du premier procès « Bommelëer ». Tout le grand-duché devenait témoin du sentiment d’impunité qui régnait – et qui selon certains règne toujours – dans la haute hiérarchie policière. Et aussi de ce fameux esprit de corps qui fait que certaines personnes, dont le boulot est de protéger et d’appliquer la loi, se sont définitivement senties autorisées à se mettre au-dessus de celle-ci.

Mais ce ne sont pas uniquement les hauts gradés qui, de temps en temps, ne prennent pas leur travail au sérieux et commettent des bavures, des dérapages ou se retrouvent en complicité avec des éléments criminels. L’affaire dite du « Crazy » à Esch-sur-Alzette, où des policiers locaux avaient manifestement sympathisé avec le propriétaire d’un night-club de la célèbre rue d’Audun près de la frontière, a assez fait jaser et écorné encore un peu plus l’image déjà pas très réjouissante de la police grand-ducale parmi la population. Que l’ancien directeur régional d’Esch-sur-Alzette Donat Donven soit maintenant nommé directeur régional adjoint de la police a déjà suscité des commentaires – l’affaire du « Crazy » s’étant déroulée sous ses yeux sans qu’il intervienne à temps. Alors que le fait que la mentalité policière dans la métropole du fer était un peu « spéciale » a toujours été de notoriété publique.

Retour de la chape de plomb ?

Mais, quoi qu’il en soit, la nouvelle coalition au pouvoir depuis octobre 2013 a aussi fait état de son ambition de laisser souffler un vent nouveau sur la police grand-ducale. Le programme gouvernemental est plutôt précis sur ce point : les bleus-rouges-verts préconisent des changements en profondeur, alors que le gouvernement précédent avait déjà élaboré une réforme de la loi de 1999 qui visait surtout la réorganisation de la direction générale, des services régionaux et de la police judiciaire – sans que celle-ci ne soit mise en place, l’immobilisme étant chose commune sous le ministre précédent Jean-Marie Halsdorf. Un ex-ministre qui, juste pour la petite histoire, s’est montré la première fois au rassemblement annuel du SNPGL l’année dernière, alors que pendant des années il n’avait pas daigné les écouter. Comme quoi, passer sur les bancs de l’opposition, ça donne des idées et du culot.

Et, comme presque toujours, la coalition procède d’abord à un audit externe, qui selon le programme gouvernemental « constitue une condition fondamentale pour une réforme transparente, dans le cadre de laquelle il est possible de discuter et de collaborer avec tous les acteurs impliqués sur une base objective ». Seulement, pour cet audit, c’est doublement mal parti. D’un côté parce qu’il y a eu apparemment des problèmes dans l’attribution de ce marché (gagné d’ailleurs non pas par un représentant des « Big Four » , mais par la société de consulting luxembourgeoise « Mindforest », détenue en partie par la BCE). Car, en décembre 2014, les ministères de l’Intérieur et de la Force publique ont bel et bien été perquisitionnés dans le cadre de cette attribution, sans qu’on en sache plus à cette date du résultat de cette enquête. Toujours est-il que cette situation, où des policiers perquisitionnent des ministères dans le cadre de l’affaire d’un audit les concernant directement, n’est pas sans ironie.

Et puis, selon les dires de la SNPGL, la façon dont l’audit a été mené n’aurait nullement été équitable. Ce qui les a poussés au coup de gueule de vendredi dernier, juste avant la cérémonie de la passation des pouvoirs, invoquant notamment un manque de dialogue et de transparence et craignant des réductions de salaire, surtout pour les carrières inférieures. Depuis, le nouveau directeur général Philippe Schrantz a tenté de minimiser les revendications du syndicat, faisant même entendre sur les ondes de RTL que ses collègues seraient « allés un peu trop loin ». En tout cas, on n’entend plus le SNPGL depuis la semaine dernière et, malgré des demandes répétées de notre part, son président n’a pas souhaité répondre aux questions du woxx. Quelqu’un aurait-il réinstallé la chape de plomb ?


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